A répétition, pendant les deux heures de l’audition de Raouf Gulbul, Paul Lam Shang Leen a montré son agacement à l’égard de l’avocat. Les «you are wasting time» se sont enchaînés. Insistant pour répondre aux questions du président de la commission d’enquête sur la drogue avec force détails, l’ancien candidat du MSM se fait reprendre à plusieurs reprises. «I am asking you a simple question. Answer by yes or no. Don’t give details», prévient l’ancien juge de la Cour suprême. La directive tombe dans l’oreille d’un sourd : «I have to», persiste Gulbul. Qui se fait à nouveau reprendre. «Don’t be too defensive with me», s’exclame Lam Shang Leen.

Les travaux du jour avaient pourtant bien commencé, Raouf Gulbul arrivant tout sourire devant la commission d’enquête. Après avoir dit bonjour aux journalistes, il regarde autour. Ne voyant pas de membre du public assis dans les travées, il s’enquiert de leur absence auprès du chef inspecteur Hector Tuyau. Les mondanités ne durent pas longtemps. Paul Lam Shang Leen arrive en compagnie de ses deux assesseurs.

Le président demande au témoin du jour de se mettre à l’aise et de s’asseoir, s’il le souhaite. Mais Gulbul dit vouloir rester debout et évoque immédiatement toutes les «disturbing things» dites et écrites sur sa famille et lui. L’ancien juge le coupe net en lui rappelant que la commission d’enquête ne travaille pas sur la simple base d’allégations. «We are not here to punish you, but give you an opportunity to explain.»

Gulbul le remercie, en terminant sa phrase par «my lord». La manière coutumière de s’adresser aux juges de la Cour suprême. Il est immédiatement repris par Lam Shang Leen qui lui explique qu’il est président de la commission, rien d’autre. Il commence illico à poser le cadre de l’audition et débute immédiatement avec l’actuelle fonction de président de la Gambling Regulatory Authority (GRA) qu’occupe Gulbul. A-t-il déclaré ses avoirs ? lui demande l’ancien juge. L’avocat précise que la Gambling Regulatory Act ne lui fait pas cette obligation, mais qu’il est disposé à donner les détails de son patrimoine devant la commission.

Le membre du MSM dit posséder trois propriétés résidentielles. Un terrain à Bagatelle acheté pour Rs 10 millions, un autre à Highlands financé par un prêt bancaire de Rs 5,6 millions ainsi que la demeure familiale à Mesnil. Et quid du financement des achats ? Tout a été fait par chèque, «everything can be traced», assure l’avocat. Qui précise, par ailleurs, qu’il est également propriétaire d’espaces de bureau au Hennessy Tower de Port-Louis qu’il loue.

Des propriétés à Londres ? questionne le président de la commission. Non, aucune, explique Gulbul. La réponse satisfait moyennement Lam Shang Leen qui rappelle au témoin qu’il dépose sous serment. Celui-ci maintient sa réponse. Pourtant, l’ancien juge dit avoir été informé qu’il a acheté un appartement pour sa fille à Tottenham. Dans la foulée, il précise que l’appartement peut ne pas être au nom de l’avocat. Celui-ci esquisse un sourire mais persiste : il n’a pas de propriété à Londres.

Si Gulbul affirme effectuer des déplacements réguliers en Grande-Bretagne, il affirme qu’il est habituellement hébergé chez l’une de ses sœurs qui y réside. Ou, le cas échéant, chez un ami homme d’affaires qui a un hôtel en Angleterre.

Après les propriétés de Gulbul, la commission d’enquête s’intéresse à ses comptes bancaires.  L’avocat dit n’en détenir qu’un depuis 1983 et un deuxième compte d’où sont payées les mensualités de son prêt logement. Place aux cartes bancaires de l’avocat. Après quelques minutes passées à expliquer à quels comptes elles sont liées, Gulbul explique les transferts effectués sur les comptes de ses enfants en Angleterre. Chaque mois, ses locataires de Hennessy Tower et de son terrain résidentiel de Highlands lui permettent de transférer Rs 34 600 et Rs 80 000 à ses enfants à Londres, le montant est divisé équitablement entre ses enfants, explique-t-il.

A-t-il le relevé bancaire de son fils ? lui demande Paul Lam Shang Leen. Non, répond Gulbul qui s’étonne que la Barclays n’ait pas communiqué l’information à la commission d’enquête. «Je vous le demande maintenant», insiste Lam Shang Leen. A qui Gulbul promet de remettre les détails demandés.

La discussion bifurque à nouveau sur les propriétés de Gulbul. Qui insiste : toutes les transactions ont été effectuées «by cash». Puis se reprend immédiatement : «Oh sorry, by cheque. No cash transaction!» Lam Shang Leen rassure : l’avocat aura l’occasion de s’expliquer mais dit trouver étrange que ce sont surtout des transactions en cash qui sont répertoriées sur le compte bancaire du président de la GRA. «I will explain», assure Gulbul. «Do you want to explain or do you want to put it on paper?» rétorque le president, sarcastique.

Après son compte bancaire, ce sont les relations de Gulbul avec le fisc qu’épluche la commission. Entre 2015 et 2017, il a reversé Rs 522 000 de TVA à la Mauritius Revenue Authority, explique l’avocat. Mais ce n’est pas la réponse que cherche Lam Shang Leen, qui cherche plutôt à connaître les revenus du témoin. L’ex-juge l’arrête, lui expliquant lui avoir donné suffisamment de temps. Et lui redemande de donner le montant de ses revenus. «Sit down and reflect», conseille l’ancien juge. La réponse de Gulbul ne tarde pas : «We should all sit down and reflect.» Le trait d’esprit agace son interlocuteur. L’ex-juge hausse le ton, lui rappelant qu’il a donné les années durant lesquelles il a acquis des propriétés. Mais que c’est la source de cet argent qui intéresse la commission.

«It comes from my bank account», persiste Gulbul. La boutade met Lam Shang Leen hors de lui. L’avocat paraît visiblement agacé aussi. «Be quiet!» tance le président. Le secrétaire de la commission le relaie et demande au témoin de se calmer. Mais Gulbul a perdu son sang-froid. «You be quiet!» lance-t-il à celui-ci.

Lam Shang Leen revient à la charge, demandant au témoin de reprendre à partir de l’achat de ses propriétés. «C’est tout ce que je vous demande.» Raouf Gulbul acquiesce et s’engage à fournir les informations réclamées. L’ex-juge semble toujours agacé, l’avocat interjette : «Alright, take it easy.» La Remarque n’a pas l’effet escompté : l’irritation de Lam Shang Leen monte d’un cran, il hausse le ton. Car après analyse des comptes de Gulbul, il ne comprend toujours pas d’où provient l’argent. Gulbul se défend, arguant être victime de lynchage dans la presse. «Ce n’est pas mon problème», l’interrompt l’ancien juge. Qui laisse là le volet financier pour aborder les visites aux détenus de l’homme de loi.

Lam Shang Leen note ainsi que la dernière visite de Gulbul en prison remonte au 10 juillet 2013, selon le registre. L’avocat le corrige : il s’y est rendu l’année dernière en compagnie d’un avocat. L’ex-juge insiste : son nom n’y figure pas, «je ne peux pas inventer des visites». «La question est simple : quand y êtes-vous allé la dernière fois ?» En 2013, Gulbul était accompagné d’un avocat junior, relève Lam Shang Leen. Qui veut alors savoir le nombre que compte le Gulbul Chambers. Il est le seul avocat à pratiquer, répond le principal intéressé, mais collabore avec d’autres au cas par cas. Deux personnes utilisent, en revanche, son papier à en-tête.

Lam Shang Leen veut savoir : qui sont ses collaborateurs ? Cela se fait au cas par cas, maintient Gulbul, qui commence à lister des noms pour ensuite expliquer qu’il y en a trop pour tous les citer. Qu’en est-il des cas de drogue ? veut savoir  l’ex-juge. Qui ont été ses clients récemment ? Gulbul cite plusieurs noms, se perd en détails, Lam Shang Leen le reprend vertement et hausse de nouveau le ton : «Vous ne répondez pas à ma question.»

Les nombreux rappels à l’ordre n’y changent rien. Gulbul poursuit son énumération détaillée. Lam Shang Leen finit par y mettre un terme et passe aux avocats ayant collaboré avec Gulbul. Ce dernier nomme trois avocates, dont Tisha Shamloll.

Alors que le président de la commission tente de l’interroger de nouveau sur des trafiquants de drogue, Gulbul se plaint à nouveau de la presse. Lam Shang Leen ne se laisse pas démonter : «Nous sommes là pour faire notre travail.» En face, Gulbul est sarcastique : «Oh, je suis soulagé.» Ce qui n’est pas au goût de Lam Shang Leen. Qui l’interpelle : Gulbul, dit-il, tente de manipuler ses propres clients pour qu’ils incriminent d’autres personnes. La réponse ne se fait pas attendre : «Jamais.»

Interrogé sur d’autres clients impliqués dans des cas de drogue, Gulbul tergiverse. Interrogé pour savoir qui, dans le cas de l’un d’eux, a retenu ses services et quand, il insiste que le père du prévenu a des reçus. Lam Shang Leen sort de ses gonds, frappant même la pile de papier devant lui.

S’agissant de Parwiza Jeeva, proche de Peroomal Veeren qu’il a défendue, Gulbul promet de fournir des documents, dont une lettre de la cliente, pour démontrer qui a retenu ses services. «Vous en avez d’autres ?» ironise l’ex-juge, qui fait ressortir que Gulbul est sur la défensive. Entendue par la commission en juin dernier, la famille de Parwiza Jeeva, condamnée à 16 ans de prison suivant une saisie de drogue en 2005, a allégué que Peroomal Veeren a réglé les honoraires de l’avocat.

Le président de la commission s’intéresse justement à ce trafiquant qui a été client de Gulbul. «Quand l’avez-vous représenté pour la dernière fois ?» «En 2006», répond l’avocat. Est-il toujours son homme de loi ? «Non», déclare le témoin, qui affirme avoir rencontré le trafiquant de drogue pour la dernière fois en 2010. Il se lance, encore, dans des détails dont le président de la commission n’a que faire.

Lam Shang Leen l’interompt, lui faisant remarquer que cette visite est intervenue au lendemain de celle de Shamloll au trafiquant. L’ex-juge réitère de nouveau sa requête pour une réponse claire. Gulbul répète : dernière rencontre en 2010. Lam Shang Leen le coupe, rouge de colère. «Je vous demande quand vous avez arrêté de le représenter. Pas la dernière visite.» En 2012 ou 2013, Raouf Gulbul n’en est pas certain. Ce qui ne manque pas d’étonner le président de la commission : «Un avocat de votre trempe ne connaît pas ses dates…»

Lam Shang Leen n’en a pas fini. Tisha Shamloll, rappelle-t-il à Gulbul, affirme avoir suivi les instructions de ce dernier quand elle a été voir Veeren en prison. L’avocat nie toute implication et renvoie le président aux registres. Parce qu’il consigne aussi ses instructions à ses juniors quand il leur demande de se rendre au poste de police ? demande Lam Shang Leen, ironique. Gulbul maintient sa réponse, et précise qu’il ne représente plus Veeren depuis que Shamloll  a prêté serment en 2013.

Etait-il éthique de représenter Veeren et Jeeva en même temps ? a voulu savoir Lam Shang Leen. Le trafiquant ayant incriminé son ex-maîtresse. Et de renchérir ? Quand Gulbul a-t-il représenté Veeren pour la dernière fois ? L’avocat ne répond pas tout de suite. Il balbutie, veut encore consulter son agenda. Lam Shang Leen jette l’éponge. Il interrompt l’audition, qu’il renvoie au lundi 30 octobre. Mais pas avant de déclarer : «Il est contraire à l’éthique de représenter Jeeva et Veeren en même temps. Ce n’est que le sommet de l’iceberg.»

Gulbul a, par ailleurs, confirmé que Sada Curpen est son client et avoir rendu visite à Siddick Islam, en compagnie de Noor Hussein, la dernière fois en 2014. Quant aux allégations de la «reine de Plaine-Verte» à l’effet que Gulbul l’aurait volée, ce dernier affirme avoir fait son travail : «Ce n’est pas de ma faute si Siddick Islam a été incarcéré.»

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