La tactique a été poussée jusqu’à sa limite par Pravind Jugnauth. Ne pas donner à l’adversaire le temps de respirer, le tenir aux aguets alors que sa logistique, à lui, est déjà ficelée – des billboards, à la déclinaison de son contenu digital en passant par son messaging playbook. Ce faisant, le leader du MSM produit aussi l’une des législatives les plus difficiles à administrer. Pour deux raisons distinctes. L’une est juridique. L’autre, opérationnelle.

Il ne faut pas minimiser l’importance de l’amendement communément appelé Shall–May qui avait été voté en juillet 2014. Cinq bons mois avant la tenue des législatives. La Constitution (Declaration of Community) (Temporary Provisions) Act 2014 avait permis d’amender les National Assembly Elections Regulations, rendant optionnelle la déclaration ethnique pour se porter candidat aux législatives.

En ne faisant pas voter un nouvel amendement temporaire de ce type, Pravind Jugnauth condamne chaque candidat aux scrutins du 7 novembre à décliner son ethnie lors du Nomination Day de ce 22 octobre. Au-delà de l’ironie – le Premier ministre n’avait pas déclaré son ethnie pour les législatives de décembre 2014 –, cette situation peut déboucher sur un casse-tête sans précédent dans notre histoire électorale.

Nous savons que tous les candidats de Rezistans ek Alternativ (ReA), ainsi que leurs potentiels alliés de 100% Citoyens, refuseront de décliner leur appartenance ethnique lors du Nomination Day. Forçant les Returning officers, agissant dans le strict respect de la loi actuelle, à rejeter leurs candidatures.

Lésés dans leur droit constitutionnel à participer à une élection, ils pourront alors faire appel à la Cour suprême dans les trois jours suivants. Celle-ci aura alors 7 jours pour se prononcer sur la question. Si les uns et les autres se décident rapidement, ReA saisira la justice dès le 23 octobre. Qui devra alors rendre sa décision au plus tard le 30 octobre.

Cette situation peut prêter à deux séries de conséquences. D’une part, admettons que le trop progressiste Eddy Balancy tranche lui-même la question, en faveur de ReA. Nous serions alors éventuellement dans un no man’s land juridique dans lequel un Chef juge aura déclaré que les candidatures rejetées doivent être acceptées. Sans qu’une Assemblée Nationale ne soit en session pour voter à nouveau un amendement rendant cela possible.

D’autre part, le litige étant sub judice pendant une dizaine de jours, la publication d’un peu moins d’un million de bulletins de votes devra attendre la décision de la Cour suprême. Or, l’impression des bulletins par le Government Printing prend plusieurs jours, pour ensuite être suivie par leurs longues et fastidieuses vérification par la Commission électorale. Ce délai inhabituel et exceptionnel ajouté au processus électoral créera dans son sillage une folle course contre la montre durant laquelle d’éventuels couacs – techniques ou logistiques – pourraient enrayer une mécanique d’habitude parfaitement huilée.

Dans son empressement de «snapper» ses législatives, Pravind Jugnauth a aussi créé un clash de calendrier aux fâcheuses conséquences opérationnelles. Des examens de fin de cycle du secondaire ayant lieu le 7 novembre, 36 collèges, utilisés comme polling stations à Maurice et Rodrigues, ne pourront accueillir les électeurs. Forçant la commission électorale à devoir trouver, dans l’urgence, 36 autres lieux pouvant accueillir les quelque 100 000 électeurs qui devront se rendre à un nouveau centre de vote pour choisir leurs trois candidats.

Ces centres de vote connaîtront d’ailleurs une pénurie de staff de soutien car un certain nombre d’enseignants du cycle secondaire ne pourront faire partie du contingent prêtant main forte à la commission électorale… étant pris avec l’administration et la surveillance des examens de Cambridge.

La mise en place des nouveaux centres de vote à l’avant-veille des législatives créera une autre complexité. Si quelques circonscriptions – 7, 8, 18, 19 – n’ont aucun établissement secondaire faisant office de centre de vote, les autres en comptent 2 en moyenne, voire 5 à Rodrigues. Logiquement, la Commission électorale devra donc s’engager dans une campagne d’explication, y compris par un envoi massif de quelque 100 000 lettres, pour préciser aux électeurs déplacés le lieu où ils devront exceptionnellement voter le 7 novembre.

On sait à quel point les personnes – souvent négligentes – râlent en ne trouvant pas leurs noms sur la liste électorale de leurs centres de vote respectifs le jour du scrutin. Il faudra donc deviner leur colère ou leur frustration, quand n’ayant pas eu ou vu la communication les informant du changement, ils se rendront à leur polling stations habituels, seulement pour découvrir qu’ils ne votent pas là-bas pour cette élection.

«Gouverner, c’est prévoir», rabâche-t-on. De toute évidence, Pravind Jugnauth a seulement prévu de couper l’herbe sous les pieds de son principal adversaire et de ne pas lui donner l’occasion de reprendre du poil de la bête si jamais la justice lui est clémente dans l’affaire des coffres forts, le 15 novembre. L’homme de parti Jugnauth a réalisé un bon coup tactique. L’homme d’Etat Jugnauth a transformé les législatives 2019 en un casse-tête juridique et organisationnel.

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