Les anciens deputy campaign manager et campaign manager de Raouf Gulbul sont arrivés décontractés à la séance du jour de la commission d’enquête sur la drogue. Après quelques questions sur sa carrière, Paul Lam Shang Leen interroge Ashley Hurhangee, le premier des deux à déposer, sur l’équipe de campagne du candidat du MSM lors des législatives de 2014.

L’avocat égrène les noms. A part lui, Athon Murday, Noor Hussenee et Samad Golamaully faisaient partie de l’équipe. Mais aussi Sabiir Gungapersad, qui a été dépêché par le bookmaker Jean Michel Lee Shim, alors en Grande Bretagne, pour aider Gulbul, affirme le témoin.

Celui-ci montre des photos pour étayer ses dires, dont celle du 4×4 rouge, mis à disposition du candidat par un sympathisant du MSM. Gungapersad et Gulbul se déplaçaient quotidiennement à bord de ce véhicule. L’affirmation attise la curiosité du président de la commission. Il trouve cela «odd» car durant leurs auditions devant la commission, Murday et l’ancien candidat du MSM ont affirmé que c’est Murday qui agissait comme chauffeur pour Gulbul durant la campagne.

Hurhangee persiste et montre d’autres photos de Gungapersad, en compagnie de Roubina Jadoo-Jaunbocus, de Gulbul et son fils, et même avec l’ancien vice Prime minister Showkutally Soodhun. Le témoin est catégorique: c’est un «total lie» de la part de Murday de dire qu’il était le chauffeur attitré de Gulbul durant la campagne des législatives de 2014. Car «tout le monde savait» qu’il était véhiculé par Sabiir Gungapersad. A une question de l’ancien juge, l’avocat décrit l’ancien candidat comme étant «surrounded with bouncers». Notamment avec la présence quotidienne de Patrick Auguste, impliqué dans une affaire de meurtre et de drogue.

Le témoin raconte le quotidien de la campagne notamment par rapport aux finances. Contrairement à l’affirmation de Raouf Gulbul, Hurhangee explique que l’argent n’était pas géré par la régionale du MSM mais plutôt par l’avocat Noor Hussenee qu’on surnommait «le ministère des finances». L’avocat prend Sam Lauthan, un des deux assesseurs de la commission, à témoin. Ce dernier, dit-il, sait très bien, pour avoir été un ancien candidat aux législatives et un ancien ministre, d’où sort l’argent. Sam Lauthan sourit à ces propos.

Paul Lam Shang Leen poursuit en demandant au témoin de confirmer si les deux autres colistiers de Gulbul, Anwar Husnoo et Salim Abbas Mamode, avaient décidé de faire bande à part. «Because of his associations», confirme l’ancien deputy campaign manager de Gulbul. Qui estime, dans la foulée, que c’est un mensonge de dire que les deux autres candidats de Lepep se tenaient loin de Gulbul parce qu’il était un novice en politique.

La commission s’intéresse à nouveau à la soirée de novembre 2014 durant laquelle le candidat du MSM a rencontré le maulana Haroon à St Pierre. Gulbul avait qualifié la réunion de «very important». Même si elle a traîné en longueur, suscitant la colère du témoin, le candidat avait demandé de l’attendre. Puis de le suivre à un autre endroit où il est descendu du 4×4, seul, pour aller récupérer un «big black bag» qu’il a placé dans le coffre de la voiture de Samad Golamaully, raconte le témoin. Avant de dire à son équipe de le rejoindre à Port-Louis, qu’il a regagné dans le 4×4 conduit par Gungapersad.

Hurhangee se souvient avoir entendu Golamaully demander au chauffeur de sa voiture, Salim Mohamed, ce qu’il y avait dans son sac. Des tracts religieux, avait affirmé celui-ci.  Est-il allé vérifier les dires de son chauffeur, cherche à savoir le président de la commission? Le témoin affirme n’en avoir pas senti la nécessité car il faisait alors confiance à Gulbul. Qui, se remémore-t-il, mettait régulièrement en avant le fait que sa femme est une juge respectée de la Cour suprême et qu’il avait donc une réputation à tenir.

L’avocat explique toutefois que deux jours plus tard, le chauffeur de Samad Golamaully a fini par avouer que le sac ne contenait pas de tracts. Mais Hurhangee ne savait pas s’il fallait croire sa version à ce moment-là.

Deux ans et demi plus tard, l’opinion de Golamaully et de Hurhangee a bien changé au sujet de leur ancien champion. Dans une interview à l’express, ils réclament sa démission comme président de la Gambling Regulatory Authority. Cette prise de position «vexe» Gulbul qui demande aux deux avocats de le rencontrer à Ebène, en juillet 2017. «Si mo demisione, ki mo madam ek mo zanfan pou manze?» s’énerve alors l’ancien candidat du MSM.

Dans la foulée, il demande à savoir ce que les deux hommes vont dire devant la commission d’enquête sur la drogue. «I will say the truth», lui assène Hurhangee qui affirme qu’il parlera du «big black bag», placé dans le coffre de la voiture et qui contiendrait des tracts. Selon le témoin, Gulbul aurait plaidé auprès de ses deux interlocuteurs pour qu’ils fassent l’impasse sur cet épisode: «Ki linpresion sa pou done?» Constatant sa détermination, le témoin raconte que son interlocuteur s’est retourné vers son ancien campaign manager. «Tande ki li pe dir, si li pe al dir sa, mo zis ena pou al swiside», aurait dit Gulbul que son ancien collaborateur décrit comme un «mad man» à ce moment-là.

L’insistance de Gulbul pour que les témoins escamotent la vérité leur met la puce à l’oreille. «At that moment, we came to the conclusion that Salim [ndlr : le chauffeur de Golamaully] was telling the truth [ndlr : à propos de l’argent dans le sac noir]». affirme Hurhangee. Lui n’a pas vu le contenu du sac noir. Ce qu’il sait, c’est que Noor Hussenee avait été chargé de les distribuer.

Le témoin change de ton. Cachant mal sa colère, il décrit Gulbul comme un «underface liar» car il a nié des choses évidentes. Comme le fait qu’il ne savait pas le nom du maulana Haroon, que Tisha Shamloll n’a pas été son pupil ou encore que Sabiir Gungapersad n’était pas son chauffeur attitré durant la campagne. «He is a very cheap character. A disgrace for the professsion. A wolf in the guise of a sheep!» éructe Hurhangee. Qui se désole que Gulbul se cache derrière la réputation de sa femme pour affirmer qu’il est «clean».

Le coup de sang de Hurhangee passé, l’ancien juge l’interroge sur ce qu’il sait des accusations de Peroomal Veeren au sujet de l’argent de la drogue utilisé pour payer des avocats mais aussi financer la campagne de Pravind Jugnauth. De source sûre,  l’avocat croit savoir que c’est Gulbul qui a suggéré au trafiquant de drogue emprisonné de porter des accusations contre le Premier ministre. Une information qu’il a souhaité communiquer au Premier ministre, mais celui-ci n’a pas donné suite aux demandes de rendez-vous, révèle le témoin.

Mais pourquoi Gulbul ferait-il cela ? se demande Lam Shang Leen. Huranghee a sa petite idée : la réputation du membre du MSM étant déjà salie, il a voulu en faire de même pour le Premier ministre pour qu’ils soient «in the same basket».

Avant qu’Hurhangee ne cède sa place à Golamaully, Sam Lauthan l’interroge également. Pourquoi n’a-t-il pas vérifié ce qu’il y avait dans le sac noir ? Le témoin s’emporte à nouveau. Disant avoir appris que son confrère et lui «were being betrayed» par Gulbul, pour qui ils avaient beaucoup de respect.

«But he failed us. Playing with our reputation. So cheap, it’s very low to do that to another member of the bar. He should go and hang himself» termine-t-il. «You’re very bitter with your mentor», remarque le président de la commission qui s’étonne qu’il ne se soit rebiffé qu’après deux ans. Huranghee affirme qu’il ne savait pas qu’il avait finalement affaire à une «crooked person with a crooked mind».

Après l’ancien deputy campaign manager de Gulbul, c’est au tour de son ancien campaign manager de déposer. Samad Golamaully dit avoir eu une «very close relation» avec l’ancien candidat du MSM, aussi bien sur le plan personnel que professionnel. D’ailleurs, il raconte qu’étant encore au MMM, Raouf Gulbul lui avait dit qu’il était prêt à se jeter dans la bataille électorale dans le camp du MSM à la seule condition qu’Hurhanghee et lui dirigent sa campagne.

L’ancien campaign manager de Gulbul corrobore certaines affirmations de Hurhangee comme le fait que c’est Noor Hussenee qui s’occupait de ses finances et non la régionale du MSM. Il confirme également que les autres candidats de l’Alliance Lepep dans la circonscription Port-Louis Maritime/Est avaient gardé leurs distances vu la présence remarquée de bouncers et de repris de justice autour de Gulbul.

Le témoin critique également «l’arrogance» de l’homme qui se voyait Deputy Prime minister de l’Alliance Lepep. «It was hell, it was imposssible», explique-t-il en décrivant un candidat «difficult to sell», dans la circonscription no 3.

L’audition s’oriente vers le soir de la rencontre de Gulbul et du maulana Haroon. Le témoin confirme que son chauffeur Salim, Athon Murday, Ashley Hurhangee et lui étaient dans sa voiture. Tandir que Sabiir Gungapersad et Gulbul se trouvaient dans leur 4×4 de campagne. «Gulbul travelled only with Sabiir», précise l’avocat. Mettant à nouveau à mal la version d’Athon Murday à l’effet que c’est lui qui conduisait le candidat.

Golamaully confirme les dires de Hurhangee sur le déroulement de la soirée. Notamment l’arrêt express, qui a duré une minute selon lui, durant lequel Gulbul est descendu prendre un «big black bag», puis est revenu frapper à la vitre du chauffeur de la voiture de Golamaully pour lui demander d’ouvrir le coffre. Celui-ci est alors sorti pour aider le candidat, se souvient l’avocat.

En route vers Port-Louis, où l’équipe avait rendez-vous avec le candidat, Golamaully dit avoir demandé au chauffeur ce qui se trouvait dans le sac. Des tracts, avait répondu celui-ci. Quelque chose d’autre s’est toutefois passé le lendemain. Quand le chauffeur de l’avocat est venu lui demander à son tour ce qu’il y avait dans le sac. «He knew I didn’t know. He asked me as if I was a fool.» Le témoin affirme avoir répondu qu’il contenait des tracts. Seulement pour s’entendre dire par Salim : «Mo pa’nn trouv sa kantite larzan-la dan mo lavi,»

«What disgusted me», raconte le témoin, c’est le fait que le sac a été placé dans sa voiture. Une chose «that could have led to our downfall», explique l’avocat en se demandant ce qu’il se serait passé s’ils avaient été arrêtés à un barrage routier de la police et leur voiture fouillée. Le témoin affirme que ses camarades et lui ont toutefois refusé de croire le chauffeur. En demandant à Gulbul le lendemain ce qu’il était advenu des tracts, Golamaully affirme que le candidat du MSM lui avait expliqué que Noor Hussenee s’était chargé de leur distribution.

Lam Shang Leen interroge le témoin sur des faits survenus deux ans et demi plus tard. Soit lors de la rencontre avec Gulbul à Ebène. Golamaully affirme que celui-ci a soumis ses interlocuteurs à une fouille corporelle. Puis raconte les faits de la même manière qu’Hurhangee précédemment. «Gulbul was telling us to either be economical with the truth or lie.»

Ce n’est pas la première rencontre houleuse de Golamaully avec son ancien proche. En mai de la même année, il dit avoir été contacté par celui-ci. Gulbul lui aurait alors suggéré ainsi qu’à Hurhangee de contester la présidence de Lam Shang Leen au motif qu’il ne serait «biased» à l’encontre de Gulbul et que l’ancien juge serait «anti laskar». Le président de la commission et Sam Lauthan se regardent, interloqués.

L’ancien juge se reprend : «You bring me to the episode of devir lanket». Golamaully répond par une nouvelle formule : «In the dictionary, I would remove the definition of hypocrite and put Raouf Gulbul next to it.»

Et l’argent de la drogue dans tout ça ? Le président de la commission questionne le témoin sur ses relations avec les trafiquants de drogue. Celui-ci dément avoir reçu de l’argent sale de Peroomal Veeren. D’ailleurs, il affirme n’avoir pas encore été payé pour avoir représenté le trafiquant de drogue: «Veeren is lying and I’m not surprised».

Le témoin raconte ce qu’il sait sur la relation entre Gulbul et Tisha Shamloll, qui avait l’air d’être une «nice person». Sur la manie du candidat du MSM de dire à la jeune juriste quoi porter quand elle l’accompagnait durant la campagne électorale. Si la jeune avocate s’est retrouvée à défendre les clients de Gulbul, explique le témoin, c’est à cause d’une règle non écrite au MMM. Un temps désireux de briguer les suffrages pour ce parti, l’avocat devait renoncer à représenter des trafiquants de drogue notoires et donc passer ses clients à quelqu’un d’autre.

Il était «utterly bizarre» que quelqu’un qui venait d’entrer au barreau puisse défendre tant de clients de haut vol, s’étonne Golamaully. Qui se souvient que Gulbul s’est alors mis à «paint a very evil picture» de sa protégée, qui a fini par prendre ses distances de lui. Décontenancée par l’attitude de son ancien mentor, Shamloll est venue chercher conseil auprès de Golamaully et Hurhangee qui l’ont alors suggéré de «keep away» de celui-ci.

Le témoin est interrogé sur le financement de la campagne. Il dit n’avoir pas été surpris par l’accusation de Veeren à l’encontre du Premier ministre. Golamaully affirmant qu’un membre de la famille du trafiquant de drogue lui avait déjà expliqué ce que celui-ci allait dire devant la commission. «Veeren was fooled…» L’avocat n’a pas le temps de terminer sa phrase, il est interrompu par le président de la commission. «He said he gave money», rappelle l’ancien juge.

Le témoin estime que Veeren a effectivement contribué au financement. Parce que, tout comme Siddick Islam, il a cru que si l’Alliance Lepep arrivait au pouvoir, son affaire serait réentendue. Peroomal Veeren «was made to believe that money was given to Pravind Jugnauth. But the money went to Gulbul», accuse le témoin. Il en conclut que «Pravind Jugnauth is totally innocent».

Comme avec Hurhangee plus tôt, Lam Shang Leen demande au témoin le pourquoi de sa hargne contre Gulbul. «It is not a question of being bitter. How would you feel if someone stabs you in the back? I have reasons to be angry.»

Sam Lauthan poursuit les questions et s’interroge sur les Rs 9,7 millions que contiendrait le «big black bag». Pourquoi pas un chiffre arrondi, se demande l’assesseur de la commission. Samad Golamaully remet à la commission un bout de papier contenant des informations sur la personne pouvant répondre à cette question.

L’audition du témoin touche à sa fin, celui-ci rappelle, comme Hurhangee auparavant, que Gulbul a tenté de les convaincre de contester la présidence de Lam Shang Leen au motif qu’il est «anti laskar». L’avocat regarde en direction de Sam Lauthan. «I’m sure you know what I’m talking about.»

C’est effectivement le cas. L’assesseur de la commission évoque les propos de Gulbul qui lui ont été rapportés : «Sa anti laskar dan komision-la pe rod fini mwa.» Le témoin tique, puis concède que ce sont bien les propos qu’il a entendus. Sam Lauthan évoque sa carrière dans le travail social et affirme avoir travaillé sur des projets  pour lutter contre la drogue et n’en avoir jamais fait une question de communauté.

L’audition se termine par une remarque de Lam Shang Leen: «Everything will depend on the driver now !» Ashley Hurhangee, qui était resté dans la salle après son audition pour écouter celle de son confrère, se retourne vers un journaliste et lui lance, avec le sourire : «To kone sofer vinn devir lanket la!? »

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