Les débats sur le Good Governance and Integrity Reporting Bill (GGIR) se sont terminés fort tard hier. Avec, au final, 14 orateurs, ce n’est que vers minuit que la session de ce mercredi 2 novembre a été levée. Ce qui ressort des interventions d’hier : les profondes réserves exprimées par l’opposition sur divers aspects de la loi Bhadain.

En présentant son projet de loi, le ministre des Services financiers s’est voulu ferme, confiant, mais aussi rassurant. S’attaquer à la richesse inexpliquée est essentiel dans un contexte au vu de tout ce qui s’est passé à Maurice, a réitéré Roshi Bhadain en ouvrant les débats. D’autant plus, ajoute-t-il, que le présent gouvernement a été élu pour nettoyer le pays et permettre un deuxième miracle économique.

Tout en tentant d’apaiser les réticences exprimées de part et d’autre, Roshi Bhadain ne s’est pas privé pour lancer des piques au Parti travailliste. Tout comme SAJ, plus tôt, lors des débats sur l’amendement constitutionnel nécessaire pour que la loi GGIR, si votée, puisse être appliquée. « Si vous n’avez pas peur, pourquoi ne pas voter ? » a-t-il lancé aux parlementaires travaillistes. « Si vous ne votez pas, c’est que quelque chose cloche. »

«Safeguards»

Le ministre des Services financiers s’est attaqué à l’un des principaux griefs des rouges. Et d’avancer que jusqu’ici, aucun avocat n’a pu avancer d’arguments solides pour lui expliquer comment le GGIR Bill pourrait être un outil politique. Bhadain insiste : si l’on n’a rien à se reprocher, il n’y a rien à craindre quant aux dispositions de cette loi qui comporte d’ailleurs, selon lui, tous les « safeguards » requis.

Ainsi, l’Integrity Reporting Services Agency ne disposera d’aucun pouvoir. Celui-ci sera uniquement entre les mains du judiciaire, souligne le ministre. Le rôle de l’IRSA se bornera à mener des investigations, en vérifiant, par exemple, les bases de données de différentes institutions, puis d’écrire à la personne visée pour qu’elle vienne s’expliquer, par le biais d’un affidavit, dans un délai de 21 jours.

Si l’IRSA n’est pas satisfaite des explications fournies, elle réfère alors le dossier à son board. Celui-ci se tournera alors vers un  juge en chambre. Bhadain insiste sur ce point : seul le juge peut décider d’émettre l’ordre de saisie. Si la personne visée s’estime lésée, elle peut saisir le Privy Council.

Si l’IRSA ne peut déléguer d’enquête sur des biens dont la valeur est moins de Rs 10 millions, elle peut cependant référer le dossier à d’autres institutions comme la Mauritius Revenue Authority ou l’Independent Commission against Corruption.

A Shakeel Mohamed qui insistait, lors des débats sur l’amendement constitutionnel, que le GGIR relevait plutôt de procédures criminelles, Bhadain rétorque qu’il s’agit bien de procédures civiles.

Pour ce qui est de la rétroactivité sur une période de sept ans, c’est parce que le projet de loi doit être en conformité avec les dispositions de la Banking Act.

Question d’indépendance

Revenant sur la question de la nomination du directeur de l’Integrity Services Reporting Agency, mais aussi du président du board qui chapeaute l’institution et de ses deux assesseurs, le ministre explique d’abord qu’à Maurice, tous les pouvoirs échoient au Premier ministre. Il estime ainsi que le projet de loi viendra mettre en place un nouveau système. Où c’est le président de la République qui aura le pouvoir de nommer, après consultation avec le Premier ministre et le leader de l’opposition. Ce qui a donné lieu à de vifs échanges entre Bérenger et Bhadain. Le leader de l’opposition lançant, à plusieurs reprises que le ministre « ne connaît pas la Constitution ».

Bérenger s’est ainsi proposé de faire la leçon au ministre des Services financiers. Arguant que celui-ci ne sait même pas comment est nommé le Chief Justice, qui est nommé par le président de la République après consultation avec le Premier ministre et le leader de l’opposition. Le même cas de figure s’applique à d’autres postes constitutionnels et non constitutionnels, comme celui de l’Ombudsperson for children, a poursuivi le leader des mauves.

Pour ce qui est du directeur de l’IRSA, qui doit être apolitique, indépendant et perçu comme tel, Bérenger suggère, de même que Ritesh Ramful, qu’il soit nommé par la Judicial and Legal Service Commission (JLSC).

Le leader de l’opposition a réitéré son incompréhension devant le non-renvoi des débats sur le GGIR Bill. Avançant qu’on aurait dû prendre le temps de considérer toutes les propositions, dont celles du Bar Council. Et réitérant pour qu’au moins le vote soit différé.

De «nombreux doutes»

Répondant à la pique de Bhadain, Ritesh Ramful déclare qu’il n’est pas question, ici, de se cacher mais de tenir compte des intérêts publics. Pour que le PTr se rallie à cette loi, il faut de réelles justifications. Ce qui lui a valu des « Kof ! Kof ! » des travées de la majorité. Qu’en est-il du niveau de fraude et de corruption, de crime organisé ? s’est-il encore interrogé. « Al demann Navin ! » lui lancent des députés Lepep.

Pour le député travailliste, qui dit avoir de « nombreux doutes » quant aux objectifs du GGIR Bill, il faudrait plutôt consolider les lois existantes, à l’exemple de celles touchant aux produits du trafic de drogue, de la Prevention of Corruption Act et de la Financial Intelligence and Anti Money Laundering Act.

Ezra Jhuboo le rejoint sur ce point, déclarant que le GGIR Bill ne touche pas à la bonne gouvernance mais s’attèle seulement à créer une énième institution. Le parlementaire rouge se dit, à la place, en faveur de la création d’une Financial Crime Commission. Et estime qu’il ne devrait pas y avoir de barème minimal pour que l’IRSA puisse initier une enquête.

« Une partie de la solution »

S’il se réjouit que certaines propositions du Mouvement patriotique aient été prises en considération, Joe Lesjongard se dit toutefois « étonné » par l’intervention de Bhadain, qui ne s’est pas fait dans le consensus, selon lui. Joe Lesjongard affirme en revanche que le GGIR est une « bonne idée ». Le député du Mouvement patriotique s’est attardé sur les concepts de « bonne gouvernance » et d’« intégrité », rappelant qu’il est du devoir de chaque politicien de donner l’exemple dans le combat contre la fraude et la corruption.

Il estime toutefois que la bonne gouvernance « n’est pas la solution à tous les problèmes » mais que c’est « une partie de la solution ».

Il faut s’assurer que l’IRSA puisse être autonome et opérer en toute indépendance, qu’il n’y ait pas de mainmise du gouvernement. Et de s’interroger aussi sur la perception d’ingérence alors que selon les dispositions de la loi, cette institution pourra utiliser, si besoin, les locaux du ministère des Services financiers.

Kavi Ramano a, pour sa part, exprimé ses craintes quant aux conséquences de ce projet de loi sur les professions libérales. Pour le député du Mouvement patriotique, la loi GGIR sera comme une épée de Damoclès pour les médecins, boutiquiers et autres qui ne pourraient expliquer leur fortune. Voire « catastrophique » pour les arpenteurs. Il a exhorté le gouvernement à ce qu’on fasse montre de compassion à leur égard.

Il estime également que la loi devrait s’appliquer aux non-Mauriciens. Et de s’interroger sur le sort de compatriotes mariés à des étrangers, ainsi que sur celui d’étrangers retraités résidant à Maurice.

Les dissidents se rallient

L’intervention de Ramano a reçu le soutien de Sangeet Fowdur, qui estime que ses propositions doivent être prises en compte. Malgré les « nombreuses questions » pour lesquelles il faudrait encore des clarifications et son désaccord sur certains points, le député Lepep estime que le projet de loi est une « nécessité » et « dans l’intérêt général ».

Danielle Selvon, qui avait démissionné du MSM notamment à cause de ce projet de loi, a félicité Bhadain pour les amendements apportés au texte initial. Sudesh Rughoobur, qui avait exprimé des désaccords sur la première mouture du projet de loi, s’est prononcé en faveur de celui-ci.

Sont également intervenus : les députés OPR Buisson Leopold et Francisco François, Eddy Boissezon, la ministre Leela Devi Dookun, Fazila Daureeawoo.

Shakeel Mohamed, Veda Baloomoody et Ravi Rutnah figurent parmi ceux qui interviendront à la reprise des débats, aujourd’hui à la mi-journée.

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