Invisible, la bataille est pourtant livrée au quotidien. Elle oppose la République de la règle (de droit) à la République de l’exception. Qu’importe le gouvernement, les mêmes dérives demeurent. Certains squatters sont régularisés pendant que leurs voisins continuent d’attendre. Des logements sociaux sont octroyés en des temps records à des heureux élus tandis que d’autres cotisent pendant des années, en vain. La liste des exceptions consenties quotidiennement est interminable. Le problème, toutefois, c’est que chaque quatre à cinq ans, la République de l’exception devient elle-même la règle. Le temps de gagner des élections.
Celles de 2014 n’échappent pas à la règle. On le voit depuis plusieurs semaines. Les uns exigent un «poste constitutionnel». Les autres, sous couvert de s’assurer qu’il y aura bien «un seul capitaine à bord du bateau», vérifient s’ils disposeront demain de la même influence que jadis. Bientôt, on verra sortir des fourrés ceux dont il faudra régler les impayés d’électricité ou de téléphone. Tandis que les plus entreprenants s’assureront de l’obtention d’un permis ou d’un petit contrat échappant à l’apparente rigueur des appels d’offres de grands marchés publics.
Les politiques obtempéreront quand ils le jugeront nécessaire. Que ne feront-ils pas, en effet, pour le soutien dans les urnes d’une famille, des individus d’une caste, d’une « école de pensée », d’une ethnie… d’une communauté. Le temps d’une campagne tout devient possible et justifiable. La politique, la conquête et l’exercice du pouvoir pour l’intérêt général se conjuguant au rythme des intérêts particuliers.
Or, la somme des intérêts particuliers n’a jamais constitué l’intérêt général. Si on se prenait à construire un champ d’éoliennes à Albion au lieu de la centrale à charbon CT Power, on trouverait malgré tout des riverains susceptibles de scander un not in my backyard remis au goût du jour. Il suffirait alors que ce bassin d’électeurs soit susceptible de faire basculer une circonscription pour que des décisions affectant l’avenir énergétique du pays soient prises ou pas.
La perspective de ne pas perdre de vote transforme ainsi nos politiques en des individus encore plus irrationnels le temps d’une campagne. Quand ils sont au pouvoir, ils font primer l’obsession de satisfaire tout le monde à coup de permis, de routes asphaltées, de promesses d’emploi ou de terrains de jeu aménagés à la va-vite. Dans l’opposition, opportunistes et populistes, ils se laissent aller à promettre monts et merveilles inatteignables ou irréalisables.
Les deux attitudes aboutissent au même résultat. A faire croire à une frange de l’électorat que le temps des scrutins est celui de la moisson. Durant laquelle on peut tout demander, voire exiger, en échange d’un vote. La République de l’exception se peuple alors de maîtres-chanteurs. Qui ont depuis longtemps compris que s’ils sont prêts à se laisser corrompre pour leur vote, c’est parce que les corrupteurs ne manquent pas.
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