Voilà vingt jours que Maurice est en confinement sanitaire. Si les sorties ont été restreintes, les prix des légumes et fruits ont explosé. A tel point qu’en manger cinq variétés, comme recommandé par les services de santé, ou même une seule relève du luxe pour les familles les plus modestes, mais aussi les plus aisées au vu des prix pratiqués.

Un pâtisson à près de Rs 100, des brèdes Tom Pouce à Rs 50 le paquet maigrelet, l’ail à Rs 50 les 125 grammes et le gingembre à Rs 200… Les légumes se vendent en ce moment au double, voire au triple du tarif habituel. Même l’humble pomme de terre vaut son pesant d’or : un kilo et demi se vendait à Rs 200 dans certaines régions de l’île Maurice la semaine dernière, alors que le prix (tout comme celui de l’oignon) a pourtant été fixé à Rs 40 le kilo depuis le 23 mars…

Il n’y a pas de pénurie au niveau de la production locale, assurent les planteurs de même que les autorités et institutions agricoles. Qu’est-ce qui explique alors que les prix aient grimpé en flèche ? Car ces prix rédhibitoires en temps normal ne freinent pas pour autant les achats, au détail ou par packs auprès des revendeurs qui ont champignonné en ligne, notamment sur Facebook.

Le ministère de l’Agro-industrie le confirme : ce sont les intermédiaires qui se remplissent les poches depuis que les marchés et foires ont fermé leurs portes le 22 mars, soit trois jours après l’entrée en vigueur du confinement sanitaire. Cette décision visait à éviter les attroupements et ainsi limiter les risques de propagation du Covid-19. Or, l’une des conséquences immédiates a été l’interruption de la chaîne de distribution faisant le lien entre agriculteurs et consommateurs, fait remarquer l’association des petits planteurs et son représentant, Kreepalloo Sunghoon. Une situation exacerbée par le flou des premiers jours autour des activités autorisées ou non durant cette période.

Permis et contraintes

S’il était question que les planteurs approvisionnent les supermarchés, cette option n’est pas viable pour nombre de petits planteurs, fait ressortir Sunghoon. Les enseignes privilégient leurs fournisseurs existants, notamment ceux qui peuvent fournir des produits préemballés. Du reste, nombre d’entre elles ont fermé leurs étals de légumes afin de réduire les contacts. Les planteurs ont, depuis, été autorisés à écouler leurs récoltes auprès de grossistes – qui privilégient la grande distribution, selon la Small Planters Association – ou devant leurs portes. Mais les passages dans le voisinage ne sont pas fréquents, au vu des consignes répétées pour que les gens restent chez eux. Certains planteurs se résolvent à sillonner les rues dans leurs régions pour vendre à la criée.

Ils ne peuvent cependant pas s’organiser pour livrer loin de leurs domiciles, faute de «work access permit». Les demandes du précieux sésame auprès du Prime minister’s office puis de la police, qui a pris le relais, sont restées lettre morte.

Le travail aux champs a aussi été perturbé : un communiqué officiel l’autorisant a été émis le 26 mars, suite à des plaintes à l’effet que la police ne laissait pas des planteurs s’y rendre. Ce qui a laissé, durant quelques jours, les champs à la merci des éléments, des voleurs et des pestes (insectes, oiseaux, etc.). Les petits planteurs ont aussi déploré le fait de ne pas être autorisés à ramener de la main-d’œuvre dans les champs, en assurant qu’ils respecteront les consignes sanitaires et de distanciation sociale.

«Inexact», interjette un porte-parole du ministère de l’Agro-industrie. Les laboureurs peuvent travailler mais doivent être véhiculés en respectant la distanciation sociale, soutient cette source. Par exemple, dit-elle, ils ne peuvent être entassés à plusieurs dans un 4 X 4. «Et puis, nombre de laboureurs ont plus de 60 ans», fait remarquer notre interlocuteur. Ce groupe d’âge est l’un des plus vulnérables au nouveau coronavirus, «ils ne veulent pas sortir», affirme cette source officielle. Pour ce qui est des machines agricoles, elles peuvent circuler si le planteur se munit de sa «planter’s card», soutient notre interlocuteur.

Celui-ci confirme cependant que le rachat des légumes par l’Agricultural Marketing Board, évoqué au début de la période de confinement, n’est pas à l’agenda. Or, cela aurait éviter les abus au niveau des prix de ventes, estiment les petits planteurs. Ils ont d’ailleurs suggéré à plusieurs reprises que les autorités compétentes fixent les prix d’une vingtaine de légumes et aromates les plus couramment utilisés en cette saison… Tout comme des associations de protection des consommateurs. Pour Jayen Chellum, le gouvernement doit «assumer son rôle d’arbitre» et «s’attaquer au virus de l’exploitation avec la même volonté qu’il s’attaque au nouveau coronavirus».

Revoir lois et règlements

Les conditions du couvre-feu font qu’«il n’y a pas vraiment d’économie de marché, il n’y a pas de libéralisme, il n’y a pas de concurrence», estime Chellum. Le gouvernement devrait donc légiférer et «contrôler certains prix», poursuit le secrétaire général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice. Mais aussi faciliter les procédures d’enregistrement des complaintes. «Pourquoi ne pas autoriser l’envoi de photos par WhatsApp ?» suggère encore Chellum.

Il faudrait aussi contraindre les commerçants à afficher leurs prix et sanctionner ceux qui gonflent la valeur des articles proposés pour «profiteering» ou «price gouging», dit Chellum. Mais pour cela, «il faut du courage politique», glisse Jayen Chellum.

Le contrôle des prix des légumes est-il envisagé à court terme ? Au niveau du Commerce, le service de communication nous a indiqué que cette question ne concerne pas ce ministère. Du côté de l’Agro-industrie, notre source officielle indique qu’une réflexion est en cours. Elle porte aussi sur un mécanisme pour réguler la marge de profit des revendeurs, indique notre source officielle.

Les consommateurs sont toutefois encouragés à «jouer leur rôle» en portant plainte à la police ou sur le 185, hotline de la Consumer Protection Unit. Mais, surtout, à ne pas acheter à n’importe quel prix.

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