Une bonne vingtaine de minutes avant le début de la séance du jour, Ravi Rutnah est déjà dans l’hémicycle. Il n’est pas content. «Enn semenn mo pann al travay akoz sa! Enn semenn kan mo pa travay, mo perdi boukou kas mwa», lance-t-il aux préposés de l’Assemblée nationale. Le député de Piton/Rivière-du-Rempart (no 7) se plaint de la température trop basse de l’hémicycle.

L’Attorney General arrive quelques minutes plus tard. Il sera sur le gril plus tard, quand il présentera un texte de loi sur l’extradition. Entre-temps, Ravi Yerrigadoo est concentré : il discute avec des conseillers du gouvernement, ses collègues ministres et, brièvement, aussi avec le Premier ministre.

Loin d’être crispé, la bonne humeur de Paul Bérenger se fait entendre. Notamment par les rires sonores qu’il partage avec les autres députés du MMM. L’humeur de Xavier Duval est moins à la fête, il est assis tranquillement à sa place.

L’arrivée de sir Anerood Jugnauth chamboule toutefois l’ambiance. Tous les députés de la majorité se lève immédiatement au moment où il fait son entrée. Le Minister Mentor a droit à une longue standing ovation pour sa prestation à l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Quelques bravos fusent des rangs du gouvernement. Tandis que les députés de l’opposition font mine de ne rien remarquer et vaquent à leurs conversations respectives.

Le silence s’installe toutefois bien assez vite. La séance débute. La Private Notice Question sur les relations diplomatiques entre Maurice et le Qatar est adressée au ministre des Affaires étrangères. Vishnu Lutchmeenaraidoo étant en déplacement à l’étranger, c’est Nando Bodha qui a la tâche de répondre aux questions de Xavier Duval.

L’énoncé de la question du leader de l’opposition terminée, Bodha s’apprête à entamer sa réponse. A peine a-t-il le temps de commencer qu’un «Razwar pa la!» retentit des rangs de l’opposition. Imperturbable, le ministre des Infrastructures publiques déroule sa réponse.

Showkutally Soodhun est pendu aux lèvres de son collègue du MSM. Xavier Duval écoute aussi avec attention. Mais ne se retient pas de faire des commentaires au remplacement temporaire de Lutchmeenaraidoo. Maya Hanoomanjee rappelle rapidement Duval à l’ordre.

La réponse préliminaire de Bodha terminée, les supplementary questions s’enchaînent. Dont celle sur le communiqué émis par Showkutally Soodhun faisant état, de manière erronée, d’une rupture des relations diplomatiques entre Maurice et le Qatar. La confirmation de Bodha sur l’absence d’enquête de police à ce sujet conduit Duval à conclure qu’on se trouve dans une république bananière. Et qu’au lieu d’arborer les armoiries de l’Etat, le communiqué de Soodhun aurait dû avoir une banane comme en-tête. Le ministre du Logement et des Terres rit de bon cœur à la boutade du leader de l’opposition.

Son sourire est toutefois plus crispé quelques minutes plus tard. Quand Duval évoque un prince arabe avec lequel Soodhun entretient des liens étroits et qui lui fournit des jets privés pour son retour à Maurice. «To zalou», dit Soodhun en tentant de donner le change. «Tir enn kominike», suggère Paul Bérenger au ministre.

Duval et Bodha continuent à croiser le fer. Et le leader de l’opposition de s’interroger sur le timing d’un tweet de la compagnie aérienne Saudia annonçant de nouveaux vols vers Maurice, peu de temps après la publication du communiqué de Soodhun. Bodha n’en démord pas. Rappelant à son interlocuteur, un ancien ministre du Tourisme, que ce n’est pas par tweet que de nouveaux vols sont organisés. La boutade ravit les rangs du gouvernement.

Duval est déjà passé à autre chose. La bourde diplomatique de Maurice, se demande Duval, a-t-il conduit certains pays arabes à ne pas soutenir Maurice à l’ONU ? «Al fer to homework. Ti abstain sa!» tance Soodhun immédiatement. Une remarque qui ne plaît pas à Bérenger : «Tonn fane! Res trankil do foutour! La honte!» Le ton des échanges conduit la Speaker à rappeler aux députés de ne pas se provoquer ni de s’interpeller des deux côtés de l’Assemblée nationale.

Déjà lancés, les avertissements de Hanoomanjee ont peu d’effet sur Soodhun. «Atann, to pou kone la!» lance-t-il au leader de l’opposition tandis que ce dernier continue à parler. «Kan fer iftar, to al manze», nargue-t-il. «Avoy li Qatar, bann-la pou manz li», propose Bérenger au sujet du ministre.

Soodhun se met à nouveau en colère quelques instants plus tard. Lorsque le leader de l’opposition questionne Bodha sur le sort des Mauriciens travaillant au Qatar. «To pou kone la», prévient Soodhun. «Pa pe badine la», assène illico Duval pour rappeler le ministre à l’ordre. Froissé, ce dernier s’apprête à repartir à l’assaut. Mais il est stoppé dans son élan par SAJ, qui lui demande de se calmer. «Pou iftar, to konn al manz. Pou arete la», se contente de dire timidement Soodhun.

Calmé, le ministre du Logement et des Terres regarde passer les questions supplémentaires d’Osman Mahomed et de Reza Uteem avec un peu plus de recul. La question du député MMM porte sur le pèlerinage Umrah effectué par Soodhun. «Zalou, zalou» rétorque-t-il, hilare.

Xavier Duval, lui, ne rigole pas quand Ravi Rutnah tente de poser une question et que la Speaker lui accorde la parole. «I’m sorry. No, no! Do what you want, I’m not giving way. I won’t sit» persiste-t-il auprès de Maya Hanoomanjee. «Malelve! Malelve!» crient des députés du gouvernement.

L’attitude de Duval lui vaut un sermon de la Speaker. Qui lui rappelle qu’étant un «seasoned politician», il sait comment fonctionnent les séances parlementaires. Elle lui annonce qu’il pourra poser deux questions supplémentaires après celle du député du Muvman Liberater. L’interpellation de celui-ci indispose Thierry Henry. Le député bleu se prend même à faire des suggestions à Nando Bodha. «Pa bizin reponn. Sa kestion bet sa!»

Pendant ce temps, Shakeeel Mohamed trépigne. Lui aussi veut poser une question supplémentaire. «What about me?», lance-t-il à la cantonade. La Speaker ne lui accorde aucune attention. «Avoy ferfout», lance, dépité, l’élu rouge. Qui continuera à manifester sa frustration dans les derniers instants de la PNQ.

Il est temps de passer au prochain point à l’ordre du jour. Pravind Jugnauth se lève donc pour proposer une motion. A peine a-t-il eu le temps de finir sa première phrase que Rajesh Bhagwan se met de la partie. «Ayo, to pa ti bizin fer mosion twa. To ti fer alegasion lor mwa lot fwa-la. Al koud to iniform pou prizon!» provoque le député du MMM. Impassible, Pravind Jugnauth poursuit. Maya Hanoomanjee ne laisse toutefois pas passer et avertit le député de Beau-Bassin/Petite-Rivière (no 20). Mais il n’en démord pas, ce qui conduit la Speaker à ordonner son expulsion de la séance du jour.

Rajesh Bhagwan semble ne pas avoir entendu la sanction tomber. Il continue ses invectives. Paul Bérenger est aussi de la partie. «De klak ankor to pou gagne», raille le président du MMM. Le leader de l’opposition a lui, bien entendu l’ordre d’expulsion de la Speaker. Il a déjà rassemblé ses affaires et attend que le député du MMM sorte pour effectuer un walk-out en signe de solidarité.

Mais ni Bhagwan, ni Bérenger n’en ont fini. Voyant le député MMM continuer à parler, la Speaker lui rappelle qu’il a été expulsé. Paul Bérenger semble enfin se rendre compte de la décision de Maya Hanoomanjee. «Ankor out. Tou kout ‘out! out! out!’ mem? Aret fane!» tonne un Bérenger un brin sarcastique, un brin provoquant. «Tonn trair», accuse Soodhun en retour.

Le sergeant at arms a la délicate tâche d’escorter Rajesh Bhagwan hors de l’hémicyle. Il tente une première approche en se plaçant non loin de Paul Bérenger. Il regarde en direction de l’élu du no 20 en lui faisant comprendre délicatement et par des gestes, qu’il faut qu’il quitte l’hémicycle. Bhagwan lui prête à peine attention. C’est Pravind Jugnauth qui l’intéresse plutôt. «Pou met twa dan selil nimero 8», menace-t-il. Sa voix noyée sous les «Out! Out!» en provenance des travées de la majorité.

Bhagwan n’en a cure. «Al get Gulbul…» Le sergeant at arms tente une nouvelle approche de l’autre côté, se rapprochant ce coup-ci de Bhagwan. La scène ne plaît pas à Bérenger. «Get sa enn kout», s’offusque-t-il. Tandis que le président du MMM tient tête au sergeant at arms : « Sey tous mwa, mo gete» Celui-ci bat en retraite.

Le leader du MMM n’en a pas fini avec la Speaker qui demande à nouveau à Bhagwan de quitter l’hémicycle. Hilare, Bérenger provoque : «Out? Out? Abe order mwa si out! Met mwa deor!» Il ne croit pas si bien dire. Maya Hanoomanjee accède immédiatement à sa requête. «Heeeiinnn», lance un Bérenger cachant mal sa joie.

Malgré deux expulsions, toute l’opposition est toujours à sa place et guerroie par quolibets avec les travées de la majorité. Le sergeant at arms a jeté l’éponge et se tient loin des deux expulsés. De guerre lasse, c’est Maya Hanoomanjee qui jette l’éponge et suspend la séance. «Bann soutirer ladrog. Al manz inpe biskwi», lance Bérenger pendant que la Speaker s’en va. Son départ laisse le champ libre aux quolibets.

Le calme finit toutefois par revenir, Paul Bérenger et les autres députés de l’opposition quittent l’hémicycle. Se retournant, le leader du MMM tombe sur Danielle Selvon. Il lui tient le bras et échange gaiement quelques mots avec l’élue indépendante. Cinq minutes plus tard, Maya Hanoomanjee revient dans l’hémicycle pour trouver les travées de l’opposition complètement vides. Elles resteront ainsi jusqu’à la fin de la séance de ce 30 juin. Les députés de l’opposition ayant décidé de bouder le reste des travaux du jour.

Photo d’archives

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