Difficile de dire le contraire. Sur le principe, l’élaboration d’une loi sur le financement des partis constituera une avancée considérable pour l’assainissement du cadre dans lequel fonctionnent nos formations politiques. Les propositions rendues publiques par le gouvernement ce vendredi doivent non seulement être débattues, mais également perfectionnées puis effectivement mises en œuvre. Car de nombreuses questions demeurent.

Quelle aide publique ? La formule de remboursement partiel des frais de campagne par l’Etat est complexe à trouver. Le gouvernement propose que le seuil d’éligibilité pour l’aide publique soit fixé à 10% des votes obtenus sur le plan national et que chaque formation politique – parti ou alliance – obtienne un remboursement au prorata des suffrages recueillis. Ce type de formule «ne favorise pas le pluralisme politique», note le Dr Magnus Ohman dans un rapport de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (International IDEA).

Selon nos recoupements, lors des discussions au sein du gouvernement, une aide publique de Rs 40 millions a été jugée adéquate. A partir des résultats des législatives de 2014, l’Alliance Lepep recueillerait ainsi la moitié de la somme, soit Rs 20 millions et l’Alliance PTr-MMM un peu moins de Rs 16 millions. Chaque alliance sortirait ainsi doublement gagnante sur le plan financier. C’est ce qui explique pourquoi, au fil de ses rapports, International IDEA préconise un système de soutien qui prend en compte plusieurs éléments : le nombre de candidats présentés par chaque formation ; la part des suffrages obtenus ; un paiement forfaitaire par vote recueilli ou encore le remboursement d’une partie précise des dépenses d’un parti éligible. Cette question repose toutefois sur une prémisse : que les Mauriciens acceptent le principe que les partis politiques reçoivent de l’argent public alors qu’ils recueillent déjà des centaines de millions du privé.

Quelle transparence ? Une identité juridique propre. Un compte en banque. Des bilans financiers audités. Une obligation de déposer un rapport annuel, consultable par le grand public, auprès de l’Electoral Supervisory Commission (ESC). Toutes ces propositions gouvernementales contribueront de manière décisive à assurer une plus grande transparence sur la question de l’argent en politique. La proposition gouvernementale contient néanmoins des lacunes.

Le gouvernement a raison de préciser qu’un «full disclosure» des donateurs ne serait pas une bonne chose. Dans un pays gangréné par une culture de vendetta politique, il serait en effet dangereux d’exposer certaines personnes au risque d’être blackboulé par un parti arrivé au pouvoir et qu’il n’aurait pas soutenu financièrement. Il est toutefois important de comprendre les rapports de force financiers entre partis, individus fortunés et entreprises. Pour cela, les dons au-delà d’une certaine valeur – aussi bien en argent qu’en nature – doivent être clairement répertoriés. Le public a le droit de savoir quels sont les individus ayant contribué plus de Rs 500 000 aux caisses d’un parti ou quelles sont les entreprises qui engagent Rs 1 million ou plus de l’argent de leurs actionnaires en politique.

Pour encourager la transparence, les lois de financement des partis ont été accompagnées d’une table rase du passé dans plusieurs pays. Souvent à travers une amnistie. Navin Ramgoolam est vilipendé pour avoir eu plus de Rs 200 millions dans ses coffres-forts, alors que d’autres partis ont également leurs trésors de guerre. La mise en application de la nouvelle loi doit être l’occasion de faire cesser l’hypocrisie autour de l’argent en politique.

Les formations politiques doivent ainsi pouvoir déposer en banque toutes les sommes recueillies au fil des années et placées, faute de cadre précis, sous la tutelle des leaders ou des trésoriers. Chacun se fera alors une idée – certes incomplète – de la fortune des partis. Même si certains de leurs dirigeants ont allègrement confondu leurs deniers personnels avec ceux du parti depuis des lustres. Pour bien établir les faits, il faudra que la palette des biens des partis, y compris ceux détenus par des structures financières comme le Sun Trust, soient dûment répertoriés dans le bilan financier qui devra être remis chaque année à l’ESC.

Quel contrôle ? Le gouvernement se propose d’augmenter de manière substantielle le rôle et les attributions aussi bien de l’ESC que du Commissaire électoral. Ainsi, l’ESC obtient non seulement la fonction de recueillir et d’analyser les rapports financiers mais également d’enquêter sur les éventuelles irrégularités qu’ils contiennent. Tandis que la gestion du Political Activities Public Financing Fund est confiée au Commissaire électoral.

Aucune des deux institutions n’a actuellement les ressources ni les connaissances nécessaires pour assumer ces fonctions. Dans son nouveau rôle, l’ESC a ainsi vocation à ne plus être qu’un «board» qui se réunit quelques fois l’an. mais une institution dotée d’un staff propre composée notamment d’analystes financiers, de forensic auditors et probablement aussi d’un président et d’un soutien administratif à plein temps. De même, c’est à se demander si d’organisateur d’élections, le Commissaire électoral doit réellement se transformer en administrateur de fonds. Ou plutôt seulement se contenter de superviser ce travail, qui pourrait être effectué par des officiers du National Audit Office.

Quelles sanctions ? Les règles ont vocation à être respectées et les entorses à celles-ci punies. Or, la proposition du gouvernement semble douce à l’égard des contrevenants en ne les exposant qu’à une éventuelle amende et/ou la suspension totale ou partielle du remboursement des dépenses électorales. Si les amendes doivent être proportionnelles à la faute commise, la palette des sanctions doit pouvoir aller jusqu’à des peines d’emprisonnement, voire l’annulation des élections de certains élus.

Car la proposition du gouvernement comporte quelques trous de souris qui peuvent faciliter certaines dérives. Par exemple, si les trois candidats d’un parti politique ou d’une alliance peuvent dépenser Rs 1 million chacun, le gouvernement ne se propose toujours pas de limiter les dépenses nationales des alliances. De même, si les dons en argent sont soumis au régime de déclaration, ceux en nature ne le sont pas.

Les questions sont nombreuses. Les réponses le seront tout autant, sans doute. C’est ce qu’on conclut de l’attitude de Pravind Jugnauth. En présentant les propositions de son gouvernement sur la réforme électorale, il avait insisté sur le fait que certains principes n’étaient pas négociables. Ce vendredi, toutefois, le chef du gouvernement a dit sa volonté de discuter sur tous les aspects de sa proposition. Alors même qu’il se pourrait qu’il ne doive même pas obtenir une majorité des ¾ pour confier de nouvelles fonctions à l’ESC. Le Premier ministre veut parler. Dans l’opposition, il y en a quelques-uns qui ne se poseront aucune question et courront discuter avec lui.

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