Landscope (Mauritius) Ltd a annoncé à ces employés des coupes budgétaires à cause de la crise Covid-19. Economies, réduction des loyers… La CEO Naila Hanoomanjee nous parle des finances de l’entreprise d’Etat et des mesures en vue d’une reprise des activités post-confinement.

  • CEO de Landscope (Mauritius) Ltd, vous avez annoncé à vos employés des coupes budgétaires. Comment se portent les finances de l’entreprise d’Etat en pleine crise Covid-19 ?

L’année dernière [exercice financier 2018-2019], nous avons fait un profit de Rs 98 millions. Au moment du «lockdown», nous étions à trois mois de la fin de l’actuelle année financière (2019-2020). Pour cette période, nous ne nous attendons pas à un impact important. Selon nos prévisions, les pertes de revenus de fin mars à fin juin tourneront autour de Rs 10 millions.

En revanche, on s’attend à ce que la situation sera plus catastrophique pour la prochaine année financière car on ne sait pas combien de temps durera le confinement, combien d’entreprises pourront opérer normalement et quand la situation retournera à la normale.

Oui, nous sommes profitables, oui, nous avons des réserves mais nous prenons des mesures par précaution dès maintenant pour réduire les coûts. Par exemple, tous les exercices de recrutement sont en suspens ; les dépenses («capital expenditure») qui ne sont pas urgentes ou nécessaires – comme une nouvelle couche de peinture aux bâtiments industriels ou le remplacement de fenêtres – ont été remises à plus tard, nous aviserons quand la situation se sera améliorée. Nous n’avons demandé à aucun employé de considérer une réduction de salaire «at this point in time».

  • Il y aura donc suppression ou réduction des allocations [comme indiqué dans un courrier circulé la semaine dernière] mais pas de réduction de salaire à ce stade…

Je précise que la suppression des allocations ne concerne que le mois d’avril parce que les employés ne se sont pas vraiment rendus au bureau. Et qu’elle ne concerne que le senior management, qui touche la «car allowance» et la «travel allowance». Cela nous a tout de même permis d’économiser environ Rs 500 000.

  • C’est donc un poste budgétaire à considérer aussi…

Aussi. Si quelqu’un se déplace pour aller au travail, on ne peut pas ne pas le payer. Mais à compter du mois prochain, nombreux seront ceux qui travailleront de chez eux. Ceux qui le pourront vont «work from home». S’ils n’utilisent pas leurs voitures pour se rendre au travail, cette mesure sera probablement prolongée. En fonction des mesures de déconfinement que le gouvernement annoncera, si le «lockdown» prend fin le 4 mai ou sera prolongé, si Landscope Mauritius sera parmi les entreprises dont les secteurs seront déconfinés.

Le Port-Louis Waterfront, la veille de sa réouverture en décembre 2018.

  • Les prévisions à moyen terme ?

Franchement, nous n’avons pu faire aucune prévision car nous n’avons aucune visibilité sur l’impact à long terme [de la crise Covid-19]. Je vous explique : la source principale de revenus pour Landscope est les loyers. Nous possédons plusieurs bâtiments industriels, des espaces bureaux, un centre commercial (le Port-Louis Waterfront), le centre de conférences Swami Vivekananda… un grand portfolio.

Nos locataires sont affectés car ils n’ont pu opérer et ils sont dans différents secteurs : manufacturier et textile, magasins, cinéma. Nous ne pouvons pas prévoir quand leurs opérations retourneront à la normale : les gens ne se rueront pas dans les cinémas une fois le confinement levé, une usine textile devra opérer avec un personnel réduit et en respectant la distanciation sociale, comment les sorties au food-court ou pour faire du shopping se réorganiseront…

Nous préférons donc «err on the safe side», jouer la prudence. En plus, les gens ne dépenseront pas autant. La situation [économique] actuelle durera au minimum six mois, et c’est là un scénario optimiste, voire un an ou plus s’il y a une seconde vague [d’épidémie] ou si la recherche de vaccin tarde.

  • Vous mentionnez dans le courrier l’incapacité de certains locataires à s’acquitter de leurs dus. Des mesures de soutien à leur intention sont-elles à l’étude dans un contexte où il y a eu appel à la solidarité à tous les niveaux et que tous les secteurs sont touchés par la crise Covid-19 ?

Bien sûr, bien sûr. Nos locataires sont comme nos partenaires. Nous allons adopter une approche au cas par cas : l’impact économique est différent pour chaque locataire dépendant du secteur. Par exemple, la situation des locataires de magasins et du secteur manufacturier sera pire que celle d’un restaurateur qui a pu mettre en place un service de livraison ou d’un locataire qui occupe un espace bureau et dont les employés ont pu «work from home» et avoir des revenus.

D’ores et déjà, nous avons informé tous nos locataires «across the board» que nous supprimons les intérêts en cas de paiement tardif des loyers. Normalement, les loyers sont dus en début de mois pour le mois en cours. Ils pourront payer plus tard et en plusieurs tranches sur une période de six mois, à partir de juillet, jusqu’à fin décembre.

  • Pour clarifier, il y a moratoire jusqu’en juin ?

Oui, s’ils n’ont en pas les moyens. En espérant que d’ici juin, la situation se sera stabilisée quelque peu et que nos clients auront pu générer du revenu.

  • Une réduction des loyers est-elle aussi envisagée ?

Nous considérons cette option mais au cas par cas uniquement. Il est impossible d’avoir une solution unique pour l’ensemble de nos locataires. Comme vous le savez, nous avons des charges fixes : les salaires, alors que nous ne bénéficions pas du «Wage Assistance Scheme» mis en place par le gouvernement pour les subventionner ; les tarifs de nos prestataires de services – nettoyage, opération, maintenance… – alors que nos revenus ont baissé drastiquement. Nous devons donc faire attention.

La Cyber Tower 1, rebaptisée Shri Atal Bihari Vajpayee Tower, a été inauguré le 1er avril 2005.

 

  • Reprenons la question des employés. Les salaires ont été payés, les congés n’ont pas été imposés par Landscope…

Nous n’avons pas déduit les congés mais nous avons demandé qu’à partir du 5 mai, s’il y a reprise et déconfinement, les employés s’organisent pour prendre la moitié de leurs congés jusqu’en juin. C’est une proposition, nous ne forçons personne, dans l’intérêt des employés et non de l’entreprise car tous ne pourront pas travailler de chez eux. Ceux qui le peuvent sont principalement du management : finance, ressources humaines…

Nous comptons 200 employés. Notre objectif est de diminuer leur nombre au bureau «at any one time». Malheureusement, certains devront se rendre sur leur lieu de travail de par la nature même de leur activité : ceux chargés de la maintenance, les réceptionnistes, les secrétaires, les «attendants», les «general workers»…

Ceux de nos employés qui sont les plus à risque : les plus de 60 ans, ceux qui souffrent d’asthme et d’autres maladies chroniques… nous les avons encouragé à prendre encore deux semaines de congé, soit 11 jours puisés des «local leaves», afin qu’ils n’aient pas à prendre le bus ou faire la queue sur les arrêts d’autobus.

  • Landscope ne peut pas organiser le transport de ces employés, peut-être en sollicitant d’autres organismes d’Etat ou en collaboration avec les ministères, comme cela a été le cas pour ces derniers durant la période de confinement sanitaire ?

Nous l’avons envisagé mais c’est très difficile à mettre en place. A cause de la distanciation sociale, une voiture ne peut pas transporter plus de deux personnes, un van pas plus de quatre. Certains de nos employés habitent Trou-d’Eau-Douce, Surinam, Goodlands… s’organiser pour les récupérer n’est pas évident. De plus, cela vient augmenter les dépenses alors que nous essayons de réduire les coûts. Nous avons donc dû être réalistes dans les propositions soumises.

  • Combien de salariés feront du télétravail ?

Pas beaucoup, probablement une vingtaine, principalement au niveau du management. Les marketing manager, les «paralegal» qui peuvent travailler par mail et téléphone. Mais ce n’est pas possible pour ceux qui font visiter nos espaces, par exemple. Je l’ai toujours dit, j’avais fait la remarque au moment de prendre la tête de Landscope : «We are bottom heavy». Les salariés ne sont pas nombreux au niveau du management, nous avons beaucoup de personnel «at the bottom level». D’où les mesures pour minimiser le nombre de personnes présentes au bureau.

  • Vous mettrez à disposition des masques, des gants, du désinfectant… ?

Nous avons déjà assuré l’approvisionnement de gants, de masques et de désinfectants. Nous avons déjà retenu les services de compagnies pour la désinfection des bâtiments, nous avons donné les instructions concernant le nettoyage à notre prestataire. Nous avons même fait installer un tunnel de décontamination à l’entrée des bâtiments les plus fréquentés, comme le CyberTower 1 qui héberge 3 000 salariés. Tout est prêt. Dès que le gouvernement donnera le «go-ahead», «we are ready to go».

  • Une réduction des salaires – à laquelle des salariés et cadres du privé ont consenti jusqu’à 25% – est-elle à l’étude à moyen terme ?

Nous n’envisageons aucune réduction de salaire à ce stade pour aucun employé. Ce n’est pas nécessaire là. «It will be done if it has to be done.»

Je préfère rester discrète sur les efforts financiers qui me concernent. Mais je tiens à souligner qu’au niveau de Landscope, il y a toujours eu un contrôle au niveau des dépenses. Par exemple, j’utilise la voiture de mon prédécesseur, achetée en 2013. En bientôt cinq ans que j’occupe ce poste, je n’ai effectué qu’une mission à l’étranger pour assister à une conférence.

Nos postes de dépenses ? Nos salariés, le budget des formations qui a été augmenté, des activités de team-building et pour le bien-être des employés, etc. Il n’y a pas de dépenses frivoles ou excessives. C’est aussi pour cela que c’est aussi délicat de trouver où faire des coupes budgétaires.

Quid du conseil d’administration ?

Les membres du board ne perçoivent aucune allocation, uniquement les honoraires de Rs 25 000 par mois pour leur présence lors des réunions. Avant l’entrée en vigueur du confinement, le board était en pleine reconstitution. Pour le coup, je ne suis pas sûre s’ils seront rémunérés pour le mois d’avril s’ils n’ont pas encore été enregistrés.

Seuls trois membres du conseil d’administration précédent ont été reconduits : Nancy Cheekoussen, Gérard Lepoigneur (membre indépendant) et Dunisha Jootun.

Les nouveaux membres sont : le chairman Preetam Boodhun (qui est aussi chairman de la SIT), le Dr Zouberr Joomaye, Jean Paul Arouff, Yash Roopun, Sharmila Sonah-Ori (qui avait démissionné avant les élections générales de novembre 2019), et Sen Narrainen, qui représente le ministère des Finances.

Là non plus, ce n’est pas évident : la majorité des directeurs ne connaissent pas la compagnie et sont appelés à prendre des décisions en temps de crise. Nous leur avons remis un «induction pack» afin qu’ils se familiarisent avec Landscope. Une réunion du conseil d’administration devrait avoir lieu dans les prochaines semaines, par visioconférence ou autrement.

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