… Ce qu’apprend également Luchmyparsad Aujayeb, promu Assistant Solicitor General par intérim depuis ce lundi, c’est que les opinions au sein du gouvernement sont disparates. Certains ministres ont, en effet, explicitement fait comprendre qu’il était souhaitable que l’ancien patron de la Commission anticorruption déguerpisse. Or, le Premier ministre n’aurait pas été contre le fait qu’Aujayeb demeure à l’Independent Commission against Corruption (ICAC) pour une année supplémentaire.

Il serait improductif de se perdre en conjectures afin de déterminer quels courants puissants ont été à l’œuvre pour que l’ICAC soit placée dans sa configuration actuelle. Passons donc aussi sur la considération d’ordre technique de savoir si c’est le directeur de la Corruption & Prevention Education Division de la Commission ou alors le Chief Legal Advisor (CLA) qui aurait dû assurer l’intérim après le départ d’Aujayeb.

Certes, il est dangereux de réduire l’institution à une personne. Mais il faut admettre que les hommes – surtout ceux qu’on place à leur tête – font et défont les institutions. Prenons donc note que c’est le CLA Kaushik Goburdhun qui est le patron de l’ICAC jusqu’à nouvel ordre. Ceux qui voient le mal partout remarqueront que celui-ci est le cousin de Roshi Bhadain. On leur rappellera alors que Goburdhun a rejoint l’ICAC en 2007… lors du mandat d’un autre gouvernement.

Il n’y a aucune raison de croire que Goburdhun ne s’acquittera pas de sa tâche de la meilleure manière qui soit. Le directeur général par intérim de l’ICAC est jeune. Il est sans doute mû par la volonté de bien faire. Tout comme il est probablement tenté de se démarquer de son prédécesseur en laissant sa propre marque à la Commission. Cela passera-t-il par une relation davantage partenariale avec les enquêteurs et inquisiteurs du gouvernement ? Nous le saurons dans les semaines à venir…

Il nous faut toutefois nous demander si Goburdhun aura réellement le temps d’imprimer sa marque. Car au-delà d’assumer l’intérim à la tête de l’ICAC, sa principale mission est en fait d’assurer une transition. Car la Commission anticorruption a la vocation d’être recouverte d’une ombrelle, probablement dès le tournant du premier semestre 2016. Car conformément à l’engagement pris dans son manifeste électoral, le gouvernement Lepep devrait faire voter la loi mettant en place la Financial Crime Commission (FCC) d’ici juin.

La FCC a, en effet, la vocation d’agir comme « l’apex body » dans la lutte contre les délits financiers et la fraude. A ce titre, l’institution chapeautera l’ICAC, la Financial Intelligence Unit, une partie de la Financial Services Commission – l’Integrity Reporting Services Agency aussi ? – devenues des directoires.

En quelque sorte, la FCC sera aux délits financiers ce que la Mauritius Revenue Authority (MRA) est pour les revenus de l’Etat. Mise en place sous le gouvernement MSM-MMM, la MRA a toutefois pris plusieurs années avant de devenir l’institution diablement efficace qu’elle est depuis quelques années. Il en sera de même pour la FCC.

Si un fort relent de règlement de comptes politique accompagne encore certains dossiers de redressements fiscaux, il faut admettre que des mesures concrètes ont dû être prises pour diminuer l’interventionnisme politique à la MRA. Ainsi en 2006, l’abandon par le ministre des Finances de sa capacité discrétionnaire à accorder des réductions dans les montants d’impôts et de taxes dus – voire de requérir une exemption totale – a été une étape cruciale dans la consolidation de l’indépendance de la MRA.

Avec la mise en place de la FCC, on doit également attendre du gouvernement qu’il démontre clairement sa volonté de permettre à une institution potentiellement aussi puissante d’agir en toute indépendance. Les leçons nécessaires ont probablement été tirées du débat précédent le vote de la loi Good Governance and Integrity Reporting (GGIR) fin 2015.

Si les détails précis sur la FCC n’ont pas encore filtré, il est toutefois nécessaire que le gouvernement démontre – dès la circulation de la première ébauche du projet de loi – qu’il n’entend pas faire de cette institution une succursale du ministère de l’Intérieur ou de la Bonne gouvernance.

De manière plus organique, l’efficacité et la crédibilité de la FCC dépendront directement du statut juridique de l’institution et de la personne qui sera placée à sa tête. Le débat du GGIR doit, en effet, conduire le gouvernement à privilégier une FCC ayant un statut constitutionnel. Puis, assurer par la même occasion que son patron soit nommé par la Judicial and Legal Services Commission et lui conférer la garantie d’inamovibilité [security of tenure].

Le changement à la tête de l’ICAC est annonciateur de changements autrement plus fondamentaux dans la lutte contre les délits financiers. C’est désormais au gouvernement d’assurer que ce changement et la mise en place de la FCC ne se résument pas à des permutations politiques. Mais plutôt à de vraies avancées institutionnelles. Nous le saurons dès la lecture de l’explanatory memorandum du Financial Crime Commission Bill

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