C’est plus fort qu’eux. Ils doivent se faire remarquer dans le concours sans fin de celui qui cirera le mieux – et si possible, avec la langue – les pompes du puissant du moment. Le président de la Hindu House s’est prêté à l’exercice au Ganga Talao, la semaine écoulée. Résumons le propos de Viren Ramdhun, débité avec l’éloquence d’un idiot du village et diffusé – par les bons soins de la MBC – à la nation entière. [Regarder le discours ici à partir de 1h51]
Passons en revue la liste de ses élucubrations. Ainsi : a. Le Premier ministre est le bienvenu à Grand-Bassin, il peut y venir le nombre de fois qu’il veut pendant le pèlerinage de Maha Shivratri ; b. Les journalistes disent des «bêtises» pour nuire à Pravind Jugnauth ; c. La Hindu House et les autres organisations socioculturelles ont soutenu tous les gouvernements ; d. Ce sont ces organisations et «la campagne» qui font et défont les élections générales.
Si le citoyen Pravind Jugnauth est libre de se rendre quotidiennement à Ganga Talao pendant le pèlerinage, d’autres citoyens, tout aussi libres d’esprit, sont également en droit de se demander si leur Premier ministre doit consacrer autant de son temps – précieux – à cela. Car en comptant les longs trajets aller-retour à Grand-Bassin, les interminables séances de prières et de pravachan, les trois déplacements du chef du gouvernement au lac sacré lui ont coûté l’équivalent d’une journée de travail. N’est pas « bête » celui qui se demande donc, si le Premier ministre n’avait pas autre chose à faire plutôt que de se rendre à Grand Bassin…
La « bêtise » des journalistes constatée par Ramdhun est toutefois un reproche à moitié mérité. Car au-delà du nombre de déplacements du Premier ministre à Ganga Talao, la question fondamentale demeure la nature de la relation que Pravind Jugnauth entend entretenir avec les organisations socioculturelles et leurs responsables.
Un mois après avoir pris les rênes du gouvernement, Pravind Jugnauth n’a pas encore assis son style. Mollasson – faisant presque penser à François Hollande –, le Premier ministre tient des discours convenus. N’indique pas de manière tranchée et publique son style et ses idées propres : par opposition à Navin Ramgoolam, Paul Bérenger ou sir Anerood Jugnauth.
Chacun des trois anciens Premier ministres a, par exemple, instauré une relation spécifique avec les Ramdhun du pays. Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ont privilégié l’approche play safe. Le patron des rouges, même s’il était critique en privé à leur égard, a tout fait pour maintenir une relation de bon voisinage, et plus si affinités, avec les organisations socioculturelles.
Obsédé à l’idée de rassurer les représentants autoproclamés de la communauté majoritaire, Bérenger a, lui, essayé de leur plaire en permanence… mais face à certains réflexes, la bonne volonté ne suffit pas. SAJ a privilégié une relation ambiguë. Coupant abruptement les ponts pour ensuite les réparer, voire se reposer lourdement sur l’influence des « sociétés » quand son pouvoir vacille. Comme avant le 60-0 des législatives de décembre 1995.
Pravind Jugnauth, lui, projette de la – fausse ? – naïveté en expliquant qu’il essaie tout simplement de répondre aux invitations qui lui sont adressées. Or, probablement influencé par un Prakash Maunthrooa qui ne jure que par la prétendue influence des organisations socioculturelles, Pravind Jugnauth gagnerait à développer un trait de caractère fort utile chez les chefs politiques : la méfiance.
A la décharge de Viren Ramdhun, il faut bien admettre que la Hindu House a traditionnellement eu tendance à privilégier le parti soleil. Ce qui lui a d’ailleurs valu quelques tracasseries après le retour de Ramgoolam aux affaires en juillet 2005. Mais à Grand Bassin, Viren Ramdhun a laissé échapper une phrase lourde de sens : les organisations socioculturelles ont vocation à soutenir TOUS les gouvernements.
Ramdhun a raison de le reconnaître. Car toutes les associations socioculturelles entrent dans un pacte avec le pouvoir en place une fois celui-ci installé. De la Mauritius Sanatan Dharma Temples Federation à la Mauritius Marathi Mandali Federation, tous chantent les louanges du gouvernement du jour. C’est qu’il y a des dividendes en jeu : nominations sur les conseils d’administration d’institutions parapubliques ; décorations de la République ; octroi de terres de l’Etat aux associations, voire directement à leurs dirigeants. Le soutien plein et entier de Ramdhun à Jugnauth est ainsi loin d’être désintéressé.
L’affirmation du président de la Hindu House selon laquelle ce sont les organisations comme la sienne et « la campagne » qui font et défont les élections est toutefois beaucoup plus surprenante. Certes, la moitié de l’affirmation correspond à la réalité du Hindu Belt – les circonscriptions numéros 5 à 13 à prédominance hindoue qui ont tendance à voter de manière homogène lors des scrutins et qui peuvent, en effet, basculer la victoire dans un camp ou dans l’autre.
La deuxième partie de l’affirmation n’est néanmoins que pure fantasme. Comme l’affirmation répétée de Somduth Dulthumun à l’effet que sa fédération représente 400 000 Mauriciens de foi hindoue. Les organisations socioculturelles n’ont jamais fait basculer les élections. Par contre, leur présence sur le terrain, aussi bien dans les temples que les associations à but humanitaire, leur permet de tâter efficacement le pouls de la population.
C’est ainsi qu’en 2014, plusieurs d’entre elles avaient perçu le rejet du tandem Ramgoolam-Bérenger par une frange de la population : en partie rebutée par les frasques du leader des travaillistes et [injustement] apeurée par la perspective d’un non-hindou exerçant effectivement le pouvoir pendant quasiment tout un mandat. Les associations socioculturelles ne peuvent ainsi tirer aucun mérite de la victoire de la défunte Alliance Lepep. Ils ont, au plus, été annonciateurs de la bonne fortune du trio MSM-PMSD-ML. Mais n’ont en aucun cas aidé à forger la victoire.
Que conclure, alors, de la diatribe de Ramdhun ? D’abord, que les associations socioculturelles ont vocation à bien se faire voir du Premier ministre. Et ensuite, que c’est à celui-ci de ne pas être impressionné par les promesses enflammées d’allégeance et de soutien qui disparaissent aussi vite qu’elles n’apparaissent. Pravind Jugnauth est-il capable d’une telle lucidité ?