Ce serait de la folie furieuse, diront ceux qui connaissent un peu Piton/Rivière-du-Rempart (n7). Pourtant, au gouvernement, on commence déjà à affirmer qu’une partielle aura bien lieu dans cette circonscription après la démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo comme élu et ministre, ce 21 mars. Si Pravind Jugnauth choisit cette voie, son intention sera claire : il tient à prolonger son mandat jusqu’à son extrême limite. Pour ne rappeler le pays aux urnes qu’en avril ou mai 2020. La période janvier-mars étant trop risquée à cause de potentiels cyclones trouble-élections. Qu’est-ce qui pourrait pousser le Premier ministre à agir de façon aussi contre-intuitive ?

Car les raisons de ne pas organiser cette partielle abondent. Il y a d’abord l’évidence. Jadis labourée par sir Anerood Jugnauth (SAJ) et ses deux colistiers ministres, Dwarkanath Gungah et Mahen Utchanah, la circonscription était devenue un fief du MSM. Toutefois, depuis les législatives de 2014, SAJ et Lutchmeenaraidoo l’ont déserté. Laissant le soin au zanfan landrwa Ravi Rutnah d’y effectuer le service minimum. Cela, toujours dans l’ombre des controversés Prakash Maunthrooa et Ravi Yerrigadoo.

Rien n’indique ainsi, à ce jour, que le MSM dispose d’une assise suffisante au n7 et d’atouts pouvant lui assurer une victoire dans quelques-uns des villages les plus représentatifs des habitudes de vote du hindu belt national.

«The North remembers». Ce qu’écrit George R.R. Martin dans ses sagas vaut aussi pour la politique au n7. Ainsi, lors de la partielle de décembre 2003, c’est en se souvenant que leurs députés – SAJ et Ravi Yerrigadoo – ne s’étaient pas vraiment occupés d’eux que les électeurs de la circonscription avaient sanctionné Prakash Maunthrooa. Le poulain d’alors du MSM avait été battu par plus de 2 500 votes par Rajesh Jeetah, un novice rouge.

Les mêmes ressentiments existent en 2019. Sans s’en rendre compte, quelques fidèles du parti soleil qui ont rencontré la presse ce samedi, ont a contrario confirmé à quel point les cadors du MSM n’ont fait que peu de cas de leurs mandants depuis décembre 2014. Pourquoi donc les électeurs de Rivière-du-Rempart, Plaine-des-Papayes, Roches-Noires ou Piton mettraient de côté leur amertume cette fois-ci ?

Les vieux routiers de la politique se plaisent à ressasser le même adage : ce n’est pas le parti ou l’alliance le plus fort qui remporte les législatives mais celui qui est perçu comme étant en position de gagner. C’est ce qui explique largement pourquoi à juin 2014, une alliance PTr-MMM aurait gagné les législatives mais a sombré six mois plus tard. Ereintée par ses bourdes à répétition et le pilonnage constant du quatuor SAJ, Collendavelloo, Duval et Lutchmeenaraidoo. Il n’y a donc qu’à imaginer le message que recevraient les 923 316 électeurs du pays, si à quelques mois des législatives, Pravind Jugnauth perdait un vote de confiance au n7. La dynamique en faveur de l’opposition, surtout les travaillistes, serait enclenchée.

Rentré au pays après une dizaine de jours passés à l’étranger, Pravind Jugnauth doit encore confirmer la tenue d’une partielle. Mais déjà, suivant un raisonnement logique, de nombreux observateurs estiment que le chef du gouvernement annoncera bien la tenue du scrutin. Pour ensuite utiliser les délais maximum afin de renvoyer le nomination day et le polling day le plus tard possible. Afin de pouvoir dissoudre l’Assemblée nationale vers fin octobre, à quelques jours du vote. Cela s’est déjà fait dans le passé. Un Premier ministre avait même eu la courtoisie d’informer le commissaire d’électoral d’alors de ne pas se presser pour l’impression des bulletins de vote d’une partielle, vu l’imminence de la dissolution du Parlement.

C’est ce qu’on pense qu’il fera. Mais si Pravind Jugnauth faisait mentir toutes les analyses convenues en s’engageant vraiment dans la partielle au n7 ? Quelles raisons le pousseraient à agir de manière aussi illogique ? La certitude que l’électorat du n7 lui est, en fait, largement favorable ? Une soudaine poussée de scrupules qui l’empêcherait d’être ce chef du gouvernement lame duck qui préside au lancement du Metro Express ou encore à recevoir Narendra Modi ? Ou alors un agenda législatif tellement chargé qu’il lui sera impossible de dissoudre l’Assemblée nationale avant octobre, afin de faire voter des lois essentielles pour sa réélection ? Plus globalement, le bilan de ce gouvernement deviendra-t-il vendable le plus tard possible en 2019 ou tôt en 2020 ?

Avec toutes les oreilles et les yeux à sa disposition, le Premier ministre est certainement la personne la mieux informée du pays. Une personne dans cette position peut être tentée d’utiliser les éléments en sa possession pour jouer la montre, si le temps passe au détriment de son adversaire. Pravind Jugnauth pense-t-il que l’usure du temps – de quelques mois supplémentaires – peut affaiblir Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ou faire de leurs partis, ou de leurs cadres en vue, des alliés éventuels… sans leurs leaders actuels ?

«A week is a long time in politics», disait un Premier ministre britannique. Si Pravind Jugnauth prend son temps, il lui faudra être sûr de savoir manier cette arme à double tranchant.

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