Qui se souvient des points forts du discours-programme du gouvernement de l’Alliance Lepep, lu le 27 janvier 2015 ? Qui, pour être plus actuel, se remémore d’au moins un tiers des 15 mesures phares du manifeste électoral de l’Alliance Morisien? Pas grand monde. Dans 11 jours, le président Pradeep Roopun lira le plan global du gouvernement pour ce mandat. Et contrairement à la période 2014-2019, Pravind Jugnauth ne pourra, cette fois-ci, invoquer des circonstances atténuantes pour expliquer son manque d’ambition.

Le gouvernement de Sir Anerood Jugnauth (SAJ) a connu une succession de couacs au lendemain de la victoire de décembre 2014. Déjà, il y avait son équipe de champions : quelques has been qui ont mué tout ce qu’ils ont touché en plomb. Puis, la séquence arrestation de Ramgoolam et démantèlement du groupe BAI s’est transformée en casse-tête interminable. Débouchant même sur une querelle entre deux ministres qui ont heureusement disparu de la circulation depuis. Enfin, la condamnation de Pravind Jugnauth en première instance et son retrait forcé, jusqu’à sa victoire devant la Cour suprême, a assis la perception d’un gouvernement naviguant à vue.

Avec le discours programme de ce 24 janvier, on cernera un peu mieux la vision de Pravind Jugnauth pour le pays. Car si le Premier ministre a aligné quelques réussites – Metro Express, projets d’infrastructures, salaire minimum etc – durant les 2 dernières années, la plupart de ces initiatives ont démarré alors que SAJ était Premier ministre ou quand il était encore présent, en Mentor, au conseil des ministres.

L’ancien Premier ministre est d’une école conservatrice et donc parfois farouchement attaché à un certain ordre établi. Jusqu’ici dans l’ombre – ou du moins pas tout à fait débarrassé de SAJ – Pravind Jugnauth présentera pour la première fois un plan dont il sera le seul architecte responsable. Donc, sans le fil SAJ à la patte, le Premier ministre prouvera ou pas, ce 24 janvier, qu’il peut casser certaines barrières.

L’obstacle le plus fondamental demeure la vision étriquée de l’action gouvernementale. Au moment où il est préférable qu’on passe d’une approche output à une approche outcome. Les anglo-saxons défendent avec enthousiasme cette manière d’appréhender l’action des entreprises, des collectivités et des gouvernements. En faisant passer au second plan les indicateurs de performance purement quantitatifs pour mieux s’intéresser aux résultats globaux visés. Il n’y a qu’à se souvenir des objectifs abstraits, surréalistes et naïfs de la vision 2030 de SAJ pour comprendre pourquoi l’approche output est surannée.

Préférer l’approche outcome à output, c’est admettre qu’au-delà du progrès et des innovations à mettre en œuvre dans les secteurs de la technologie, de la finance, de l’économie océanique ou de l’agro-industrie, ce gouvernement doit aussi pouvoir initier des changements plus fondamentaux dans le pays. Au niveau des relations des Mauriciens entre eux. En rendant plus compatibles le développement humain, écologique et économique.

Quelques signaux sont déjà encourageants. Malgré les dénégations de Fazila Jeewa-Daureewoo, quelques lobbys religieux s’étaient opposés au rehaussement de l’âge légal du mariage à 18 ans dans le Children’s Bill circulé avant la dissolution du Parlement. Craignant une confrontation, le gouvernement avait alors cédé sur cet aspect avec l’idée de procéder à un nouvel amendement une fois les législatives passées. La nouvelle ministre de l’Egalité des genres, Kalpana Koonjoo-Shah a récemment confirmé que l’âge minimal pour se marier sera rehaussé à 18 ans. Malgré les protestations d’une petite clique de bornés.

On se prend donc à espérer que ce gouvernement saura également faire preuve de courage ailleurs. En reconnaissant ici, le droit de certaines minorités. En s’arrêtant, là, pour réfléchir à la validité de sa politique par rapport aux drogues dites douces et à la nécessité d’un débat ouvert et dépassionné sur, au moins, l’utilisation du cannabis à des fins médicales. Ou encore en prouvant son attachement à une réforme électorale non cosmétique cette fois-ci.

Plus fondamentalement, Pravind Jugnauth, a la possibilité, durant ce mandat, d’effectuer des changements radicaux en matière de développement durable. Avec des objectifs plus ambitieux pour l’énergie renouvelable dans le pays. Un réalignement de la politique fiscale privilégiant des technologies vertes et les filières de recyclage, tout en infligeant des malus fiscaux afin de décourager aussi bien l’utilisation déraisonnable du plastique que l’importation de grosses cylindrées non hybrides ou électriques. Sans oublier l’adoption d’une vraie politique d’aménagement du littoral. Qui stoppe tous les nouveaux développements commerciaux sur le littoral. Pour ensuite contraindre, dans les 20 ans à venir, toute construction à se trouver à un minimum de 100 mètres des plages.

La réussite de Jugnauth, ou de n’importe quel Premier ministre, ne peut plus se mesurer à sa seule capacité à faire ce qu’il faut pour se faire réélire. Il doit pouvoir faire mieux : laisser le pays et sa société en meilleur état à la fin de son mandat.

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