On consulte avec autant de fascination que d’inquiétude les chiffres de l’avancée du nouveau coronavirus dans le monde. Ce 16 mars, le compteur en temps réel de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) affichait près de 154 000 cas recensés de Covid-19 dans 146 pays et territoires ainsi que plus de 5 700 décès liés au virus. Devant la propagation quasi globale de la maladie, il faut bien se résigner à utiliser une formule connue : Il ne s’agit plus de se demander si un premier cas de coronavirus sera recensé à Maurice, mais plutôt quand il le sera. Face à ce qui paraît inévitable à terme, trois principales attitudes sont possibles.

La première consiste à s’en prendre à l’incompétence des politiques. En feignant d’ignorer que c’est très largement un protocole élaboré par l’OMS que suit le gouvernement mauricien afin d’empêcher que le Covid-19 ne gagne puis ne se propage sur le territoire national. On peut aussi décider de comparer l’allocution du 12 mars de Pravind Jugnauth et le peu de temps qu’il y consacre au coronavirus avec ce qui s’est fait ailleurs. Avec un Emmanuel Macron régalien parlant aux Français. Ou un Lee Hsien Loong rassurant et didactique face aux Singapouriens.

On peut aussi se moquer du ministre des Finances. Qui semblait avoir totalement oublié le kreol morisien au profit du français pour annoncer, sans grande conviction, son plan de soutien aux entreprises. Sans oublier Navin Ramgoolam, qui exhorte le Premier ministre à trancher rapidement et dans le vif. Ce qui est ironique, quand on sait que la prise de décision rapide et résolue n’était pas vraiment son fort quand il dirigeait le gouvernement lors d’une précédente crise nationale – les émeutes de février 1999.

La deuxième attitude est voisine de la première. Elle consiste à sombrer plus ou moins volontairement dans une crise d’hystérie. Principalement alimentée par une vague de fake news fabriquée aussi bien à Maurice qu’à l’étranger. Alors qu’aucun cas de Covid-19 n’a été identifié à Maurice, on crie à la conspiration. Des Mauriciens – ignares, crédules ou malveillants, selon les cas – relayent des «informations» provenant de plateformes douteuses. En écartant de nombreuses sources d’information crédibles qui, selon l’évaluation des experts, offrent pourtant une couverture raisonnée et raisonnable de la situation du coronavirus dans le monde.

Malheureusement, des peurs et hystéries importées causent déjà des dégâts à Maurice. Notamment dans les supermarchés dont les rayons alimentaires sont pris d’assaut par des compatriotes qui se constituent des stocks de denrées non périssables pouvant les nourrir pendant des mois !

On ne rapporte pas encore de razzias sur le papier toilette, dont une grande partie est d’ailleurs produite localement ! Ces comportement irrationnels interviennent alors même que le pays n’est pas au bord d’un «lock down» comme c’était le cas en Chine récemment ou dans les quelques pays d’Europe où le coronavirus se propage désormais rapidement.

Admettons toutefois qu’à moins de trois mois de l’intersaison été/hiver – une période à laquelle la grippe sévit habituellement –, les Mauriciens doivent se préparer à vivre des moments difficiles. D’où l’importance d’une troisième attitude décisive : un élan national basé sur la solidarité et d’inévitables sacrifices.

Amender les règlements et les lois pour amener les consommateurs et commerçants à faire preuve de responsabilité est une possibilité. S’assurer qu’ils le fassent d’eux-mêmes en les conscientisant paraît toutefois une solution plus durable. De même, aucune loi ne pourra forcer les Mauriciens à se conduire de manière responsable, qu’ils soient atteints d’une grippe commune ou du nouveau coronavirus. Il faudra, là aussi, compter sur leur capacité à adopter les bonnes attitudes.

Les quelques mois qui vont suivre vont également nécessiter une mise à jour du logiciel qui fait fonctionner le secteur privé et le gouvernement depuis le début des années 80. Si la croissance était la finalité reine jusqu’ici, c’est la santé publique qui doit l’être en 2020. Peu importe le prix à payer. Que ce soit une baisse de la croissance de 1%, voire une contraction de l’économie par 3%.

Le gouvernement, le secteur privé et les Mauriciens ont chacun un deuil à faire. La cote de popularité du gouvernement souffrira. Les entreprises devront permettre à une importante partie de leur staff de travailler à distance – quand cela est possible. Voire de réduire leur capacité de production, si elles sont dans les industries manufacturières ou de transformation. Quitte à en subir les conséquences sur leur profitabilité. De même, si la menace d’une inflation importée est jugulée, la grande majorité des salariés mauriciens doivent s’attendre à des rémunérations stagnantes jusqu’à mi-2021.

Le défi à relever est important. L’envergure de celui-ci se mesure paradoxalement au moment où nous venons de célébrer, dans la retenue, le 52e anniversaire de notre indépendance. Des bagarres de début 1968 aux émeutes de février 1999, les Mauriciens se sont parfois dressés les uns contre les autres. Loin de la compétition bon enfant des Jeux des îles, il s’agit cette fois-ci de se dresser contre un ennemi puissant et commun. Qui menacera aussi bien des vies que la santé économique du pays. Les Mauriciens fuiront-ils devant leur responsabilité collective ?

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