La gestion de crise, vous diront les bons professionnels de la discipline, est avant tout une question de bon sens. Depuis quelques jours, pendant que les uns gobent et colportent des fake news au quotidien, d’autres jettent un regard principalement critique sur tout ce que font les autorités publiques pour gérer la situation du coronavirus à Maurice. Au lieu de verser dans l’irrationalité ou un blame game systématique, attardons-nous plutôt sur la logique d’ensemble dans la gestion de «l’état d’urgence sanitaire» dans lequel se trouve actuellement Maurice. Non pas pour prétendre dire à ceux qui nous gouvernent comment ils doivent agir. Mais plutôt rappeler quelques points cardinaux à ne pas perdre de vue pendant une telle épreuve collective.

Ce n’est que le début du commencement de la crise.

Comme d’autres, nous rappelions récemment que ce n’était pas une question de «si» on allait recenser des cas de coronavirus dans le pays. Mais plutôt «quand» cela arriverait. En l’espace de deux jours, nous sommes passés de 0 à 7 cas de Covid-19 dans l’île. Nos voisins de La Réunion sont passés de 0 à 28 cas en à peine 10 jours. L’impossibilité de contenir à 100% la propagation du virus, couplée à l’inconscience et l’irresponsabilité de certains Mauriciens, fera grimper le nombre de cas locaux de manière substantielle. Nous arriverons alors à un seuil fatidique. Celui des 50 cas. A partir duquel il sera statistiquement quasi certain de recenser le premier décès lié au coronavirus à Maurice. Car le taux de mortalité des personnes infectées est d’environ 3%, selon des études préliminaires.

Comment les Mauriciens feront-ils face à cette nouvelle ? Assisterons-nous alors à une vague de personnes – paniquées après l’annonce d’un premier décès – prenant d’assaut nos hôpitaux et centres de santé ? Quels effets la privation de la liberté d’aller et venir, le chômage forcé, et les éventuelles pénuries de certains produits et denrées auront-ils chez des Mauriciens vivant déjà dans des conditions précaires ? Vivra-t-on une nouvelle mutinerie de plus grande ampleur en prison ? Comment réagiront les 672 personnes actuellement en quarantaine au fur et à mesure que les centres de quarantaine s’engorgent sans que les conditions de leur séjour ne s’améliorent ? Gérer la crise revient aussi à évaluer tout ce qui pourrait aller mal dans les semaines à venir. Y compris les worst case scenarios pas si improbables dans ces circonstances exceptionnelles.

La peur est parfois irrationnelle mais elle ne disparaîtra pas.

La guerre de 1939 à 1945 ou encore la grande épidémie de choléra en 1854 – même pas les émeutes de Kaya – sont les seuls événements historiques de Maurice qui semblent correspondre à l’ampleur de la menace actuelle. Le défi est toutefois infiniment plus difficile à relever en 2020 car nous vivons dans une société et au milieu de technologies qui favorisent aussi bien la surinformation que la mésinformation. Or, le cerveau humain primitif est programmé pour répondre de deux manières ataviques : la fuite ou le combat. Cette attitude est nourrie par la peur.

Il est donc essentiel de comprendre et de tenir en compte que les Mauriciens ont peur face à une situation qu’ils n’ont jamais vécu auparavant. Qu’ils s’inquiètent aussi bien pour leur propre santé que pour celle de leurs proches. Mais également pour leur sécurité. Ou encore par rapport au sort de ces Mauriciens coincés à l’étranger avec nulle part ou aller. Aucune stratégie de gestion de crise et de communication de crise ne sera efficace sans tenir en compte le fait que de nombreux Mauriciens ont peur et qu’il faut admettre cela pour mieux en déconstruire les ressorts. Et non offrir le dédain comme réponse au motif que toutes les inquiétudes sont irrationnelles ou surfaites.

Le politique prime sur le politicien.

Les agendas politiques dictent en permanence les prises de position dans le pays. Or, dans la situation actuelle, continuer à fonctionner ainsi ajoutera à la tension latente dans le pays. A raison, Pravind Jugnauth a rencontré ce 19 mars le leader de l’opposition ainsi que le député travailliste Ritesh Ramful.

Mais dans le contexte de crise actuel, les efforts pour une trêve politique totale doivent être plus prononcés. Aux Etats-Unis, Trump et Pelosi ont mis leurs différences de côté face à la menace Covid-19. Ici, on vérifiera dès 15 heures, ce 20 mars, si le ton est apaisé entre l’opposition et le gouvernement lors de la Private Notice Question d’Arvin Boolell au Parlement. Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’on peut mieux faire. Le pays a besoin de voir Pravind Jugnauth, Arvin Boolell, Paul Bérenger et Xavier Duval ensemble dans un cadre solennel. Prenant côte à côte l’engagement que c’est un effort national – y compris non partisan – qui permettra aux Mauriciens de surmonter cette crise. Il n’est pas encore trop tard pour offrir à nos citoyens cette image et cette assurance.

Les difficultés existent, les erreurs aussi.

Les gouvernements ou les politiques publiques infaillibles sont aussi communs que les licornes ailées. Si on reconnaît que nos gouvernements sont animés de bonnes intentions dans la gestion de la crise, il leur faut aussi reconnaître qu’ils vont faire des erreurs. Dans une situation de crise, rien n’est toutefois plus contreproductif qu’un gouvernement qui n’admet pas ses turpitudes, qui ne s’en excuse pas – sans tomber dans l’auto flagellation – pour ensuite s’engager à faire mieux. Le pouvoir d’un «désolé, on s’engage à faire mieux» est infiniment plus puissant que des postures de Rambo consistant à dire à la population que le gouvernement est là pou décider et qu’il va falloir s’y faire. Encore faut-il avoir la bonne équipe de communication avec les bons messages pour faire cela.

L’action pour l’action est inefficace.

Tout est, aussi, une question de perception. Une grande agitation n’équivaut que rarement à du travail bien fait. S’il est néanmoins important que le gouvernement donne l’impression d’agir, son action doit être bien dirigée : focused. En temps de crise, on ne peut confondre les étapes de la prise de décision, de l’identification des actions à prendre avec celle de la mise en œuvre et l’évaluation des résultats. Ainsi, il importe peu aux Mauriciens de savoir si des ministres et comités ont travaillé jusqu’à 4 heures du matin chaque jour. Et si des techniciens n’ont eu que 2 heures de sommeil par nuit.

La seule indication du succès pour le gouvernement n’est pas la somme d’efforts produits. Mais la somme de résultats tangibles de son action. En cela, les attentes des Mauriciens sont précises. Si centaines sont probablement irréalistes vu les circonstances actuelles, c’est au gouvernement de s’assurer qu’il peut atteindre des objectifs clairement identifiés dans la gestion de la situation du coronavirus et de ses conséquences sociales et économiques dans le pays.

If you over promise, you’ll under deliver.

Il est donc impératif que le gouvernement – sans sombrer dans le moindre effort – ne se montre pas naïvement ambitieux et/ou rassurant dans ses objectifs et annonces. Ironiquement, on a eu une illustration des conséquences de cette attitude avec la colère noire des Mauriciens face aux reports ou annulations des conférences de presse du Premier ministre. Qui avaient été annoncées à des horaires précis ce mercredi 18 et jeudi 19 mars. En temps de crise, il s’agit de promettre et de prendre des engagements sur des objectifs raisonnables. Pour cela, les autorités publiques doivent distinguer entre leurs obligations de résultats et les obligations de moyens.

Si le gouvernement se hasarde à énoncer des obligations de résultats, il a l’obligation de donner satisfaction. Risquant alors des critiques – méritées – sur son action ou son inaction. Ici sur l’approvisionnement en légumes ou denrées alimentaires. Là, les infrastructures médicales pour la prise en charge des personnes souffrant de complications graves suite à leur infection par le coronavirus. Ou ailleurs pour l’amélioration du sort de certaines personnes placées en quarantaine.

La responsabilité toutefois, admettons-le, ne peut être intégralement transférée sur les pouvoirs publics. Pour que les actions et décisions du gouvernement puissent porter leurs fruits, cela requiert aussi un grand sens de la discipline des Mauriciens. Ce qui implique qu’ils respectent, notamment, toutes les consignes durant la période de confinement. Malheureusement, si le gouvernement répond, lui, à l’opinion publique, certains concitoyens semblent ne vouloir rendre compte de leur irresponsabilité à personne.

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