Au moment où le souverain pontife visite notre pays, des musulmans jeûneront à l’occasion de l’Achoura. A son arrivée à Médine, Muhammad, le dernier envoyé de Dieu (paix soit sur lui) vit les juifs jeûner en ce jour pour commémorer le fait que Dieu avait sauvé Moïse, autre envoyé de Dieu, du Pharaon. Il rappelait alors aux musulmans qu’ils devraient être les plus proches de Dieu, de Moïse, de sa foi, sa pratique et de ses enseignements. Huit ans plus tard, dans la  Mosquée de Médine, l’envoyé de Dieu (paix soit sur lui) recevait soixante chrétiens de Najran, parmi plusieurs dignitaires religieux. Ces derniers l’interrogèrent à propos de Jésus mais n’acceptèrent pas la réponse du Coran que celui-ci n’était pas Dieu, mais  un envoyé de Dieu. Quand arriva le moment où ils devaient prier, les chrétiens le firent à leur manière dans la Mosquée et Muhammad (paix soit sur lui) ordonna de ne pas les empêcher. Ils retournèrent ensuite à Najran pour y vivre, librement, sous la protection des musulmans.

Quand il était l’archevêque de Buenos Aires, alors Cardinal Jorge Mario Bergoglio, le Pape François fut le premier chef catholique à visiter le Centre islamique d’Argentine. L’arrivée du premier pape jésuite au Vatican devait aussi inaugurer une nouvelle ère dans les relations islamo-chrétiennes. En Egypte, à Al Azhar, il soulignait que la religion semblait être reléguée à la sphère privée comme si c’était une dimension non essentielle de la personne humaine et de la société. Et il affirmait, pertinemment, qu’au même moment les sphères religieuses et politiques étaient confuses et n’étaient pas distinguées proprement. Ainsi, la religion risquerait d’être absorbée dans l’administration des affaires temporelles et tentée par les allures du pouvoir mondain qui pourraient bien l’exploiter.

Du Caire à Abu Dhabi, en passant par Colombo, Rangoon, Ankara, Paris, New York, Sarajevo ou Dacca, cet avertissement du Pape François était crucial, là où il a été, afin que la religion puisse avoir sa position désirable mais appropriée dans la gouvernance de nos populations, les unes plus diverses que les autres. Sa venue à Maurice à la veille d’une campagne électorale doit être un rappel pour nous que la liberté de culte, d’association, de croyance, de pratique et d’expression comme le respect de toutes les religions, ou de ceux qui n’ont pas de religion, ne doit jamais être menacée par les calculs politiciens que ceux qui veulent le pouvoir. La religion doit être un antidote contre le poison du communalisme au lieu de l’alimenter.

Librement

Malheureusement, il y a tant de gens qui sont persécutés à cause de leur foi. Cela comprend des chrétiens dans des pays qui se disent «islamiques» alors que le Coran, avec l’exemple du Messager de Dieu (paix soit sur lui), ordonne le respect des autres religions. En effet, «Dieu ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Dieu aime les équitables». (Le Coran 60:8). Cette liberté religieuse est  trop souvent bafouée  à Jérusalem, Nazareth et à Bethleem pour ceux de foi chrétienne ou musulmane qui vivent en Palestine. Quant aux musulmans du monde entier, ils ne peuvent librement se rendre à Al Aqsa, troisième lieu sacré de l’islam. Pendant des siècles, les musulmans qui gouvernaient cette ville, sainte aux trois religions abrahamiques, avaient l’obligation islamique de protéger les lieux de culte des juifs et des chrétiens. Ailleurs, la liberté religieuse n’est aussi pas observée quand nous voyons la situation au Tibet et celle des Ouigours au Xinjiang, des Rohingyas en Birmanie ou encore celle des Kashmiris. Il en est de même au Nigéria, et ailleurs en Afrique centrale et occidentale, où des chrétiens et des musulmans sont massacrés, victimes de leurs appartenances religieuses. En Occident, la montée de l’islamophobie y affecte également la liberté religieuse, souvent sous l’imposition d’un laïcisme visant spécifiquement les musulmans ou encore sous le couvert d’une guerre contre le terrorisme.

Homme de cœur

Saluons le Pape François qui s’est rendu à Lampedusa pour retourner au Vatican avec des migrants, y compris ceux de foi musulmane. Son engagement pour la planète contre le changement climatique, entre autres menaces qui pèsent sur nous, ne peut que  nous réjouir car, comme le témoignait l’envoyé de Dieu (paix soit sur lui), la terre entière est  une «masjid», un lieu sacré de prosternation en adoration de Dieu, notre Créateur à tous. La nature est signe de Dieu, tout abus est un péché. Le souverain pontife peut être d’un apport considérable à la construction d’un monde libre, juste et paisible par ses prises de position, par exemple sur la situation au Yémen, au Liban, à Hong-Kong, en Syrie, en Amazonie ou encore sur le sort des populations les plus défavorisées. Contre ceux qui s’érigent en petits pharaons de notre temps, il faut nous rappeler l’histoire de Moïse, figure incontournable des religions monothéistes.

C’est un honneur qu’il nous fait en foulant notre sol, après celui du Mozambique et de Madagascar. Ce sont des pays que les  grandes personnalités de ce monde ignorent lors de leurs périples. Notre pluralisme n’échappera pas à son attention et, in sha Allah, à toucher son cœur. Certes, nous avons des lacunes et devons demeurer vigilants surtout en période électorale, mais le Pape François peut être un élément catalyseur d’un nouveau dialogue interreligieux pour consolider notre vivre-ensemble.

Notre quotidien mauricien est riche de démonstrations de respect mutuel allant de l’appel du muezzin à la célébration d’innombrables festivités hindoues en passant par les noms évocateurs de localités comme St Pierre, St Jean et St-Paul. Il faut, vivement et urgemment, initier, sinon approfondir, un effort «bottom-up» à mieux se connaître les uns les autres, à s’engager pour le bien et à combattre ensemble les maux de notre société. Finalement, le Créateur, n’est-il pas notre Dieu à tous

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