Nous vivons en France depuis quelques jours une expérience extrêmement bouleversante. Nous avons assisté à l’assassinat de journalistes en pointe de la liberté d’expression mais aussi de juifs pacifiques en train de faire leurs courses. Des millions de Français anonymes sont descendus dans la rue pour dire NON à l’intolérance. Intolérance vis-à-vis de la liberté d’expression, intolérance raciste aussi. Des chefs d’Etats étrangers sont venus se joindre pour manifester leur solidarité. Il faut prendre ces manifestations au premier degré. C’est-à-dire, un très grand niveau de sincérité. Refusons les interprétations cyniques de certains qui crient à la récupération politique.

Que la récupération politique soit aussi un peu présente, c’est inévitable. Et alors ? Qu’est-ce que ça enlève à ce magnifique mouvement de solidarité nationale ? Pourquoi ne pas croire que tous ces responsables politiques sont sincèrement émus au plus profond d’eux-mêmes et que, peut-être, cela va changer leur façon de voir et de diriger. Pourquoi pas ? C’est rare de voir tous ces gens que souvent tout oppose à cause de leurs opinions, de leurs races, de leurs religions.

Nous avons tous nos opinions sur les causes de ces massacres. On peut penser que ces attaques sont initiées par des organisations manipulées par les forces du mal. On peut aussi en rendre responsables les pays occidentaux qui n’ont pas fait ce qu’ils auraient dû faire depuis la dernière guerre et la décolonisation. En réalité, ce n’est pas ça qui compte. Ce qui compte, c’est que la majorité de la population française, et même bien au-delà, à l’autre bout du monde, est profondément attachée aux valeurs de liberté, de tolérance et de désir de vivre ensemble.

Nous devons prendre la réalité telle qu’elle est et construire des solutions.

Mais certaines personnes qui sont en général fortement représentées dans les mouvements extrémistes n’acceptent pas le fait que nous vivons dans des sociétés complexes et que les problèmes sont complexes et les solutions sont forcément difficiles à trouver et à mettre en place. Les thèses développées par le Front national (FN) en France, par exemple, sont le reflet d’une incapacité à prendre en compte cette complexité. Ils ne sont à l’aise que dans les schémas simples où il y a le méchant d’un côté et le bon de l’autre. Il faut donc éliminer le méchant pour rester entre soi, les bons. C’est le principe du « Y a qu’à ».

D’où vient cette attitude ? J’y vois de la paresse intellectuelle. En réalité, ils sont paresseux car ils ne font pas l’effort d’analyser en détail les situations et vont directement à des conclusions souvent bâties sur des données erronées. Mais ils sont aussi faibles psychologiquement, car d’où vient ce besoin de simplicité sinon pour se rassurer par rapport à une insécurité personnelle profonde ? Au fond, ces extrémistes sont des personnes fragiles à la recherche de sécurité et ils pensent trouver cette sécurité en s’associant à des groupes qui véhiculent des idées simples. D’ailleurs, en France au FN, en dehors des dirigeants qui ont des objectifs politiques très concrets, la grande masse des sympathisants est constituée de personnes désemparées, parmi lesquelles souvent des anciens de l’extrême gauche ! Ces personnes sont attirées par les paroles fortes, souvent véhémentes des leaders et ça les rassure.

Finalement, ce qui est étrange mais devrait nous faire réfléchir, c’est que ce regroupement des paumés autour de ces mouvements est très semblable à ce qui fait fonctionner ces mouvements islamistes meurtriers qui attirent en leur sein, eux aussi, des jeunes paumés pour les envoyer se faire tuer pour une cause qu’ils ne comprennent sans doute pas très bien mais c’est pour eux l’occasion d’exister enfin et de vivre dans le schéma de vie simple où il y a les bons d’un côté et les mauvais de l’autre.

Je regrette qu’à Paris, le FN n’ait pas participé au rassemblement de dimanche. Quand on veut défendre la liberté d’expression, on n’a pas besoin d’être invité à une manifestation. On y va tout simplement. Il ne s’agissait pas de défendre le journal Charlie Hebdo mais de défendre la liberté d’expression qui est la base de la liberté tout court et de la vie démocratique. Beaucoup de gens aux quatre coins du monde se sont mobilisés, de nombreux chefs d’Etats sont venus défiler. Tous ces gens ont balayé d’un revers de main le cynisme bien facile pour éprouver ensemble des émotions fortes qui pourront finalement être le moteur de la destruction du barbarisme. Je suis convaincu que cette grande manifestation française, et même mondiale, va être le point de départ d’une prise de conscience qui peut changer beaucoup de choses.

Je reconnais que ce n’est pas facile, à 10 000 km de la France, de porter des jugements ou de faire des commentaires sur ce qui vient de se passer ici. Il faut pas mal de modestie car depuis Maurice, on a parfois tendance à tout simplifier et à caricaturer ce qui se passe. Mais ne nous décourageons pas, il y a eu de grandes manifestations de soutien en Australie qui est encore plus loin, comme au Canada, en Amérique ou en Afrique. Cela rassure parce que ça veut dire que même dans ces pays lointains, les gens ont compris.

Exemple de conversation entendue dans un bistrot :

En France, le problème c’est qu’il y a trop d’étrangers . Ah bon ? Trop, c’est combien ?

En France, il y a trop d’Arabes. Ah bon ? Pourquoi ? Parce qu’ils sont musulmans. Il y a des arabes qui ne sont pas musulmans et des musulmans qui ne sont pas arabes… De qui parle-t-on ?

En France, il y a trop de musulmans. Ah bon ? Quels musulmans ? Les français de confession musulmane ? Les salafistes, les sunnites, les chiites, les ismaélites, les membres du CFCM ? Les pratiquants ? Pourquoi ça vous gêne ?

En France, les musulmans veulent détruire la république et imposer la Charia. Ah bon ? Savez-vous s’ils sont nombreux, ceux-là, par rapport à ceux qui vivent dans la République en respectant la loi française ?

L’Islam est une religion de haine. Ah bon? Vous avez lu le Coran ? Non mais je sais. Ah bon ! En général, il vaut mieux parler de ce qu’on connaît !

Question :

Comment débattre sereinement avec des gens peu informés dont les arguments sont essentiellement émotionnels construits sur des informations superficielles non vérifiées ?

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