Il fait partie des premiers ambassadeurs du sega. A l’époque où cette musique était encore considérée comme « vulgaire » dans son propre pays. Roger Clency, dont les chansons ont animé nombre de fêtes et de bals, n’est plus. Roger Clency s’en est allé, emporté par la maladie, ce mardi 12 janvier alors qu’il se trouvait à La Réunion pour des soins.

Marclaine Antoine a connu ce « bon vivant » à ses débuts, alors qu’il ne faisait pas encore du sega. « Mo ti gitaris, mo ti akonpagn li dan lorkes », se souvient le musicien et chanteur. A l’époque – c’était les années 50 –, les musiciens et leurs orchestres se produisaient dans la capitale dans des clubs, des cabarets, des « hôtels pour marins ». A l’instar du Chachacha Nightclub ou encore du Royal Navy Club.

C’est dans ces lieux que Roger Clency – « bon imitateur d’Harry Belafonte, pa ti ankor ena sega » – rencontre Marie Josée. Elle est encore jeune. Mais bien vite, elle devient sa complice, sur scène et dans la vie. Les deux sont indissociables.

Son premier sega, Marlena, Roger Clency le sort sous le label Dodo en 1958. Deux ans plus tard, Marie Josée et lui sortent leur premier titre à deux : Valse kreol.

Marclaine Antoine collabore même avec le couple Clency à travers les années. Le premier conseillant le couple, « excellent au niveau des textes » au niveau des arrangements musicaux afin de satisfaire un « public toujours plus exigeant ».

« Mais c’est avec l’accent mis par le gouvernement sur le tourisme dans les années 1960, par Gaëtan Duval, explique Marclaine Antoine, qu’ils deviendront les ambassadeurs du sega à l’étranger. » Ils voyagent en Europe, surtout en France, poursuit notre interlocuteur. « Du plaisir des débuts, la musique est devenue son métier. »

Roger Clency a « énormément contribué au développement de la musique à Maurice », souligne Sandra Mayotte. Roger et Marie Josée sont « parmi les premiers », dit-elle, à avoir présenté « des spectacles de sega haut de gamme » dans les quelques hôtels de l’île dans les années 1970, alors qu’il n’y avait encore qu’une poignée d’établissements. « Ils ont valorisé le sega. »

Gérard Louis écoute Roger Clency depuis l’enfance, malgré les interdictions de son entourage. « Pa ti ena drwa. » La gouaille du ségatier « sanse tro vilger, parski so sante ti an-kreol », se remémore-t-il. Ce qui n’empêche pas l’enfant et l’ado qu’il a été d’écouter en cachette ces morceaux. « Aster ena pir mais c’est en anglais… »

C’est à Paris, en 1994-1995, que Gérard Louis rencontre Roger Clency. « Il est venu me voir pour discuter de l’album ‘Olé Olé’. » Commence alors une longue collaboration professionnelle mais aussi une réelle amitié. « Li ti kouma enn papa pou mwa », confie Gérard Louis, ému. « Mo espere ki li ti konsider mwa kouma so zanfan. »

Pour le directeur de Geda Music, Roger Clency était un « vrai artiste ». De ceux qui n’adoptent pas ce titre pour parader mais qui « fer se ki li pe dir, li pa fer sanblan ». Bien sûr, explique notre interlocuteur, il avait ses défauts. « Roger n’était pas un saint, fait remarquer Gérard Louis, mais moi non plus. » En revanche, il était « franc, honnête ». Quand il avait quelque chose à vous dire, c’était en face, sans prendre de gants.

Le cœur lourd, Sandra Mayotte tient à souligner le « professionnalisme » de son « papa de scène ». Dans sa manière de s’adresser au public, de danser et de se déhancher, de soigner sa mise en scène. Mais aussi dans ses engagements. Comme en novembre dernier : alors qu’il devait se produire au Festival international Kreol, Roger Clency souffrait déjà. Mais il avait insisté pour faire son tour de scène. Pour ensuite partir, peu après, à l’île sœur.

Tous nos interlocuteurs le disent : le décès de Roger Clency est « une grande perte ». Ils retiennent néanmoins son riche héritage musical. Ses chansons polissonnes, drôles mais jamais vulgaires qui racontent des scènes du quotidien. Des textes « piquants » dit Sandra Mayotte, qui a partagé des scènes avec lui, que ce soit ici ou ailleurs.

Comme en juillet dernier, lors du concert « Nostalgie » lors duquel Roger Clency fête ses 74 ans et, avec Marie Josée, ses 57 ans de carrière. Sandra Mayotte et lui partagent alors un duo sur « Enn ti mama ». Appréhensive, Roger Clency l’aide rapidement à dissiper sa « gêne » du début (voir le lien plus bas si vous ne connaissez pas ce morceau), la met à l’aise sur scène. « Ça a finalement été un moment magique, extraordinaire. »

La chanson que retient Marclaine Antoine ? « Tango li dir ». Pour son ton badin, pour les situations cocasses que narre la chanson. « L’humour plaît au public, et je le suis dans son appréciation de cette chanson. » Parmi les succès de Roger Clency dernièrement, note le ségatier, le public a aimé les « Olé Olé » et autres « Kilot pe desann ». « C’est l’époque qui veut ça, qu’il y ait un peu de piment qui agrémente ces textes », dit Marclaine Antoine dans un sourire. Roger Clency « le bon vivant » a suivi les tendances, poursuit-il. Le sega, du reste, sert à « met lanbians » dans les soirées et les fêtes. Roger Clency, avec ses morceaux « lanbians » et drôles, a ainsi pu gagner sa vie.

Du répertoire très étendu de l’homme et de l’artiste « hors normes » qu’il a eu la chance de connaître, deux chansons sortent du lot pour Gérard Louis. « ‘Rosa’, pour des raisons évidentes », dit-il d’une voix douce-amère. Et « Mama Lo ». Pour le rythme mais aussi pour la mélodie « extraordinaire ». Quelque chose qu’il n’arrive pas à expliquer mais qui le touche au plus profond. C’était aussi cela, l’une des forces de Roger Clency : sublimer le quotidien tout en s’en moquant gentiment. Le rendre supportable.

Les obsèques de Roger Clency auront lieu ce week-end une fois que toutes les formalités administratives pour le rapatriement de la dépouille auront été complétées.

Il nous revient également qu’une soirée-hommage par des artistes est en préparation.

Crédit photo : Studio K

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