Il y a de quoi avoir chaud au cœur… ou plutôt au soleil. Pendant que le Muvman Liberater (ML) d’Ivan Collendavelloo affiche son soutien kare kare à Pravind Jugnauth, le PMSD se dresse sur ses ergots. Avec Xavier Duval qui « réitère sa solidarité » à l’égard de son partenaire dans ses « moments éprouvants ». Ces élans passionnels devraient nous rassurer sur la robustesse des rapports entre les partenaires de l’alliance Lepep. Il ne faut toutefois pas se tromper, ces relations-là ne sont pas basées sur la passion. Mais uniquement sur la raison.

C’est ce qui explique pourquoi la condamnation de Pravind Jugnauth arrange quelque part Collendavelloo et Duval. Car à côté de leurs divergences parfois fondamentales, les leaders du ML et du PMSD ont un intérêt politique commun : éviter que Pravind Jugnauth ne devienne trop puissant et ne prenne trop d’envergure, trop vite. La condamnation de la semaine dernière de leur allié est, de ce point, un coup de pouce inespéré de la providence.

ML : réussir le Remake, sans SAJ, ni Bérenger. L’ambition politique d’Ivan Collendavelloo n’est en rien un secret. Dans une interview à Fabrice Acquilina, en mai, ses desiderata ont même été clairement énoncés. L’actuel numéro 4 du gouvernement veut d’abord reprendre le MMM à Paul Bérenger, par une sorte d’acclamation populaire des militants. Ensuite, il entend fédérer la dissidence du Mouvement patriotique en ramenant la formation d’Alan Ganoo and co au bercail mauve. Enfin, l’actuel ministre de l’Energie et des Utilités publiques compte « remettre sur les rails le Remake… en incluant cette fois le PMSD ».

Si les deux tiers du plan de Collendavelloo tiennent de la logique, la troisième partie est, elle, particulièrement loufoque. Car le Remake est le Remake. Il implique notamment l’accord entre les leaders du MSM et du MMM sur une répartition 50-50 des investitures aux élections générales et un partage 3 ans-2 ans du mandat du chef du gouvernement. Rajouter le PMSD à l’équation, c’est n’opter, au final, que pour une version survitaminée de l’Alliance Lepep. A vrai dire, si Ivan Collendavelloo réussit l’essentiel de son plan, la présence du PMSD au sein d’un re-Remake MSM-MMM en devient presque superflue.

La montée en puissance du MMM rêvé de Collendavelloo s’accompagnerait mécaniquement d’une baisse de régime du PMSD. Dont la base électorale actuelle provient en partie d’une frange d’électeurs déçus par le parti du cœur. Si demain, l’éventuel MMM version Collendavelloo prend une réelle envergure, ils seront nombreux, actuellement au PMSD, à rentrer au bercail mauve. L’alignement d’étoiles ne sera toutefois parfait pour le ML que si un autre élément s’y conjugue : un Pravind Jugnauth affaibli.

La mise en orbite retardée du leader du MSM comme Premier ministre arrange, en fait, aussi bien Collendavelloo que Duval. Car les deux ont intérêt à ne pas voir Pravind Jugnauth s’affirmer trop vite comme chef du gouvernement et utiliser sa position pour asseoir davantage son ancrage électoral et politique. Un peu comme sir Anerood Jugnauth à son arrivée au pouvoir en 1982, passant en seulement quelques années du statut de chefaillon sur papier à un puissant leader conscient de ses prérogatives et habile dans leur maniement à l’égard de ses adversaires… et alliés. Pour le PMSD, qui a déjà été les 5 sou ki fer roupi kare de SAJ et plus tard les 20 sous essentiels de Navin Ramgoolam, l’enjeu de l’entente avec Pravind Jugnauth est précis.

PMSD : réussir son mainstreaming. Voici 50 ans que les bleus peinent à se défaire de leur image de la période pré-indépendance. Si la traversée du désert des dernières années de sir Gaëtan Duval et de la fin des années 90 a été pénible, le parti de Xavier Duval a toutefois brillamment réussi son évolution depuis ces dernières années, surtout auprès des jeunes.

Ne s’intéressant que très peu à l’histoire contemporaine de Maurice, ils ne mesurent pas le dégoût qui avait gagné une partie de la population par rapport aux idées épousées par le PMSD et son ancêtre le Parti mauricien dans les années menant à l’indépendance. Ni l’argumentaire alors utilisé pour les défendre. Tant mieux, car reprocher au PMSD d’avoir jadis eu une idéologie rétrograde bordant le racisme a autant de sens que de blâmer un jeune Allemand de 15 ans d’avoir eu un arrière-grand-père nazi !

Mine de rien, le PMSD de Duval trace donc son chemin. A coup d’une communication et de recrutements intelligents qui permettent aujourd’hui au parti de disposer d’une vitrine diversifiée – âge, ethnie, sexe, catégories sociales. C’est à partir de cette richesse que le PMSD reprend du terrain dans les bastions du MMM et affiche une ambition décomplexée dans les territoires ruraux, prétendument chasses gardées du MSM ou du Parti travailliste.

Le succès de la stratégie d’expansion du PMSD repose toutefois sur deux conditions. D’abord, qu’Ivan Collendavelloo ne concrétise pas ses ambitions de Remake… ce qui reviendrait à refaire du PMSD un 5 sou comme à l’apogée de SAJ. Ensuite, que loin de monter en puissance, le MSM et Pravind Jugnauth conservent juste assez d’envergure politique pour continuer à voir dans le PMSD et Xavier Duval un allié idéal, face à un Ivan Collendavelloo dont les ambitions de Remake le placent de facto dans la peau d’un Premier ministrable avec le concours du leader du MSM.

Qu’importe si Pravind Jugnauth remporte ou non son appel jusque devant le Privy Council. Lors des prochaines élections générales, il aura toujours le droit de se présenter comme Premier ministre. La question, toutefois, est de savoir s’il le fera alors au sein de l’Alliance Lepep ou seulement avec l’un de ses deux partenaires actuels. Étonnamment, avec sa condamnation, cette question de stratégie politique se pose dès maintenant. Pendant que sir Anerood Jugnauth tient le fort en ce moment, sans pouvoir le confier à qui que ce soit, Pravind Jugnauth se voit contraint d’étudier attentivement la tectonique des plaques de son alliance. Pour prévoir si c’est au ML ou au PMSD que se situera l’épicentre d’un éventuel séisme. A moins que, de manière surprenante, ce ne soit du MSM même que provienne le sinistre.

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