C’était le meilleur et le pire des mandats. Celui de la sagesse et de la folie. L’ère de la foi et de l’incrédulité. La saison de la lumière et des ténèbres. L’été de l’espérance et l’hiver du désespoir. Devant les Jugnauth, l’avenir politique se résumait à tout ou rien. Ils allaient tout droit au ciel ou tout droit en enfer.

Les premières lignes – très légèrement modifiées – d’un roman de Charles Dickens paraissent étonnamment bien décrire la situation de sir Anerood Jugnauth (SAJ) et de Pravind Jugnauth. Deux chefs – l’un de gouvernement et l’autre de parti – aux intérêts différents. S’ils ne se sont pas affrontés publiquement, en coulisses, les deux hommes ont eu des attitudes et réflexes très différents, notamment par rapport à l’affaire Vishnu Lutchmeenaraidoo et, plus généralement, sur la conduite de l’opération nettoyage en cours.

Qu’on se le dise : il est tout à fait normal que SAJ et Pravind Jugnauth n’aient pas le même point de vue sur la manière dont les affaires courantes sont gérées. Le Premier ministre l’a répété en plusieurs occasions : c’est la dernière fois qu’il dirige un gouvernement. Certes, il doit saisir la nécessité de placer son fils dans les meilleures conditions afin qu’il se fasse réélire à la tête d’un nouveau gouvernement. Malgré cela, affranchi de la nécessité de briguer un nouveau mandat, le vieux roublard est tenté de se consacrer au seul objectif qui en vaille désormais la peine.

Après avoir réussi un miracle économique durant les années 80 et début 90 et un miracle politique en décembre 2014, SAJ serait-il tenté par un miracle éthique ? Pour cela, il doit mener à bien l’opération nettoyage au sein même du Conseil des ministres qu’il préside tous les vendredis. Ce qui constitue un salutaire départ du principe « moralite napa ranpli vant », qu’il avait lui-même érigé en mantra politique lors de ses précédents mandats.

Si SAJ a tout à gagner et peu à perdre en tentant son nouveau miracle, c’est loin d’être le cas pour le leader du MSM. Moyennant une issue favorable de son appel devant la Cour suprême, la carrière de ce dernier pourrait connaître un coup d’accélérateur dans les semaines à venir. Revenant au-devant de la scène politique, Pravind Jugnauth consacrera alors les trois prochaines années à cornaquer l’action du gouvernement – à une fonction ministérielle ou supra ministérielle. Mais aussi à se donner toutes les chances de se faire réélire. Or, si pour SAJ, chasser Dayal ou Lutchmeenaraidoo de son gouvernement constitue un impératif moral, les impératifs politiques de Pravind Jugnauth lui dictent une autre conduite.

S’il doit revenir aux affaires, le leader du parti soleil préférera de loin le faire au sein d’une équipe gouvernementale apaisée. Mais au Conseil des ministres, certains se regardent déjà en chiens de faïence. Les uns voyant en leurs voisins de table des incompétents – voire des corrompus – à faire partir le plus tôt possible. Tandis que d’autres abhorrent l’attitude « kamikaze » de collègues qu’ils craignent de voir se retourner contre eux à la faveur d’un nouveau dossier brûlant.

C’est probablement pour ne pas creuser davantage les fossés que le leader du MSM a défendu auprès du patron de l’Alliance Lepep et du gouvernement, la nécessité d’une certaine souplesse envers les uns. Tout en s’assurant que d’autres ne cumulent de nouveaux pouvoirs qui accentueraient la frustration mais aussi la crainte chez certains ministres. Car il est un fait que les affaires Dayal et Lutchmeenaraidoo pourraient en appeler d’autres. Ainsi, certains au gouvernement ne se gênent pas pour évoquer ouvertement les turpitudes de leurs collègues. Supputant que, tôt ou tard, à la faveur d’un document ou d’une bande sonore, celles-ci seront étalées au grand jour.

Face à cette situation et le risque d’autres « affaires », SAJ semble vouloir maintenir le cap. Affirmant qu’il fera ce qu’il y a à faire, quitte à devoir reconduire le pays aux urnes plus tôt que prévu. Pravind Jugnauth ne peut toutefois pas se permettre de réfléchir ainsi. Déjà entaché par une première condamnation moins d’un an après son retour au pouvoir, le leader du MSM n’a aucun intérêt à voir des ministres fréquenter l’ICAC ou nos cours de justice. Paul Bérenger et Navin Ramgoolam auront tôt fait de profiter de l’aubaine en accusant Pravind Jugnauth d’avoir installé un régime reposant sur de la « pourriture ».

Si le besoin d’apaisement de Pravind Jugnauth se comprend sur le court terme, il se peut toutefois que sur le moyen et le long termes, ce soit l’attitude de SAJ qui s’avère payante. L’Alliance Lepep est loin d’être un mariage d’amour entre le Muvman Liberater (ML), le PMSD et le MSM. Rien ne permet de dire aujourd’hui que le ML a retenu le soutien électoral qu’il avait ravi au MMM lors des dernières élections générales. Quant au PMSD, il fait office de mini mouvement des non-alignés au gouvernement, préférant rester loin des querelles. Ainsi, si Xavier Duval estime qu’il est dans l’intérêt politique de son parti de contempler une autre alliance, il le fera sans état d’âme.

C’est donc ce que Pravind Jugnauth fera du MSM qui déterminera ses chances de se maintenir au pouvoir, puis de le retenir à l’issue du mandat de ce gouvernement. Or, avec l’attitude de SAJ envers Dayal et Lutchmeenaraidoo et son soutien à Roshi Bhadain dans les efforts de ce dernier à assainir les institutions, Pravind Jugnauth tient un « pitch » intéressant. Celui d’un gouvernement et d’un parti disposés à mettre de l’ordre jusqu’en son sein afin de défendre les principes qu’il prône.

Admettons, en effet, un instant que le MSM se mette à pratiquer une politique de zéro tolérance à l’égard de ceux ayant fauté. A moins de conclure que les ministres orange sont massivement corrompus, on ne peut au pire qu’envisager quelques départs supplémentaires. Laissant toujours une majorité confortable au parti à l’Assemblée nationale. Poursuivons en envisageant que la stratégie du leader orange soit peu appréciée par le ML et le PMSD, mettant ainsi à mal la cohésion gouvernementale dans, disons, les deux ans à venir…

Débarrassé de ses ennuis judiciaires, fermement ancré à la tête de son parti et ayant fait la démonstration de sa volonté de nettoyer, Pravind Jugnauth pourra alors contempler, le moment venu, un rapprochement gagnant avec le MMM ou le Parti travailliste, sans Navin Ramgoolam, afin de briguer à nouveau les suffrages. On voit mal Paul Bérenger refuser une telle aubaine. Chez les rouges, les plus pouvoiristes ne manqueront pas de se rebeller contre Ramgoolam s’ils sont assurés de refaire partie d’un gouvernement.

C’était le meilleur et le pire des mandats. Celui d’un manque de vision ou d’une grande ambition. Devant Pravind Jugnauth, l’avenir politique se résumait à faire le choix de la sagesse ou de céder à la peur, en compagnie de ceux qui ont des choses à cacher.

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