J’ai 10 ans… A les voir évoluer sur scène, à l’aise dans leurs jeans et se chambrant gentiment, on leur donnerait bien 10 ans. Deux gamins qui se racontent. Si ce n’était leurs tubes qui s’enchaînent, des mélodies plus douces à celles aux accents plus rock qui nous accompagnent depuis si longtemps. Si ce n’était ces airs écrits pour deux, pour enfin sceller sur un album une amitié et une complicité qui durent dans leurs vies artistiques et quotidiennes depuis quatre décennies.

Alain Souchon et Laurent Voulzy sur scène ? Deux frères, deux potes, deux gamins qui prennent un malin plaisir à jouer ensemble et régalent la salle du centre de conférences de Pailles – pas tout à fait remplie, hélas, et de temps en temps éclairée. Qu’importe.

Cette deuxième partie d’une tournée qui en comprend trois, affirme Voulzy, « se termine avec bonheur » à Maurice ce 2 février (après St Denis, à La Réunion, le 30 janvier). Elle s’amorce en douceur, avec les titres de cet album commun. Et monte lentement mais sûrement en puissance et en émotion à mesure que s’enchaînent les morceaux de l’un et de l’autre, qu’ils se partagent et s’interchangent.

Laurent Voulzy avec son éternelle guitare – acoustique, folk ou électrique (sa Rickenbacker légendaire), selon l’humeur et la chanson. Instrument qu’il délaisse pour des maracas le temps d’un ‘C’est déjà ça’ très enlevé sur les sans-papiers, toujours d’actualité. Sa maîtrise de la musique, Alain Souchon, sans jalousie aucune et de son propre aveu, la lui envie. « Une humiliation supplémentaire pour moi : il joue aussi du piano… », lâche ce dernier, un brin narquois. « Moi, j’ai écrit des poèmes, rétorque Voulzy bon enfant, mais rien n’est resté dans les annales. »

Ces notes d’humour ponctuant les nombreuses anecdotes, Voulzy et Souchon – malicieux et volubile, presque feu follet – les disséminent tout au long de la soirée. Le duo est rodé, chaque chanson a son intro, ses jeux, sa genèse. Les liens, évidents, s’affirment à mesure que s’étire le fil du souvenir et que se posent les chansons, dont certaines critiques sociales ont un écho puissant aujourd’hui encore. Le public se laisse prendre au jeu, donne de la voix, reprend en chœur les refrains, tape des pieds et des mains. Çà et là crépitent quelques flashs de smartphones dans l’espoir de saisir au vol ces moments hors du temps avant qu’ils ne s’étiolent. (suite du texte après la vidéo)

Voulzy raconte ses débuts à la guitare. D’abord sans guitare, avec la bouche. Devant une armoire où s’est fixée une glace. Puis avec les doigts. « Vous savez, c’est un métier où il faut quand même être équilibré », glisse Souchon, l’œil brillant et farceur, au public tandis que son ami remonte son fil un brin absurde sur le moment. On prend la pose. On prend son temps. On remonte le temps et les expérimentations musicales. De Brassens, qu’appréciait un gardien de son pensionnat, au blues en passant par la musique classique et les chansons pop et rock qui passaient alors à la radio… Tout ça pour dire, pour chanter quoi ? « J’suis bidon… »

Or, c’est justement aux liens réels que l’on a droit. Au plaisir authentique. Celui de la musique partagée avec des complices de tournée aux tours bien rodés. La « fée » Hélène L. qui pose sa voix claire, souligne de percus, avant de prendre une guitare. Michel Ansellem aux claviers, que Voulzy « aime entendre jouer ». Ici, chez nous, « sur cette île merveilleuse »« tellement de choses [lui] rappellent [cette] île de Guadeloupe » dont Voulzy est originaire mais qu’il a vraiment connue sur le tard, à 35 ans, et qui font qu’il se sent, chez nous, « un petit peu chez [lui] ». Michel-Yves Kochman, un habitué des tournées de Souchon, aux riffs efficaces, parfois entêtants. Olivier Brossard et ses lignes de basse tout en nuances et qui accompagne aussi le duo au chant.

Humour, tendresse et légèreté brossent, sans rouler des mécaniques, des tableaux du réel et transcendent la laideur qui les caractérise parfois. « Oh prenez garde à ceux qui n’ont rien / Qu’on a laissés au bord du chemin / Rêveurs rêvant le monde meilleur / Ils voient la colère monter dans leurs cœurs ». Des filles d’avril hors de portée. Des rêves empêchés. « La vie est injuste… »

Au lendemain des commémorations, chez nous, de l’abolition de l’esclavage, ‘Poulailler’s song’ et ‘Amélie Colbert’ résonnent avec un écho particulier. L’un dénonce le racisme ordinaire. L’autre, plus solaire, au rythme caribéen qui rappelle notre sega. Le personnage éponyme porte en étendard sa langue, le créole, longtemps interdite ; Amélie s’éprend d’un « béké », un Blanc, et « donne tout l’amour qu’elle a perdu ». Sur ce morceau, le batteur Eric Lafont se lâche pour un solo endiablé.

Au final, que Voulzy et Souchon ne soient rien que tous les deux pour un set dépouillé ou portés par un ensemble très à l’écoute, la magie opère. La magie de l’amour que ces deux hommes se portent. Celle du public pour ces chansons et mélodies empreintes de poésie de même que pour ceux qui les interprètent. Souchon, dont les 71 balais s’évaporent dans la lumière des spots. Voulzy dont les 67 ans fondent dans une énergie débordante. L’un sautille, arpente la scène de long en large, l’autre se déhanche, le public est debout durant la dernière demi-heure, au bord de la scène pour être au plus près de ces monuments de la chanson française.

Le standing ovation en fin de spectacle dure cinq minutes. Un premier rappel ne suffit pas. Le second a un goût de pas assez. A eux deux, les textes sont si nombreux que deux heures et demie de show suffisent à peine. Tout de même, l’espace d’une soirée, c’est « la guerre au vent / l’amour devant ». « La douleur exquise du temps, du temps qui glisse. »

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