Le confinement n’est pas le même pour tous. Ce n’est pas Johnny Edouard qui pourra dire le contraire. A 58 ans, ce maçon de Camp-Créole, à Albion, doit faire preuve d’ingéniosité pour nourrir sa famille d’autant qu’il n’a plus aucun revenu. Ce matin du lundi 30 mars, il a bravé les mesures de confinement en explorant les berges de la rivière attenante pour cueillir des brèdes trompettes.

Cette récolte lui a permis d’agrémenter le dîner composé d’un peu de riz et d’une rougaille réalisée avec un œuf gardé précieusement dans le réfrigérateur depuis plusieurs jours. La maigre pitance sera de nouveau servie ce midi dans leur case en tôle de 3 mètres sur 4 mètres où le salon, la chambre à coucher et la cuisine ne font qu’un.

«Nous aurons le ventre à moitié plein», se désole Lusma Perrine, sa compagne, en jetant un regard triste vers leur fille de 16 ans, Mélanie. Johnny, avec sa tête qui touche le plafond lorsqu’il se met debout, s’est démené comme il pouvait depuis le début du confinement. Il ne lui reste plus qu’un billet de Rs 50 en poche.

Il a su gérer ses maigres économies et s’est même abstenu de dépenser pour l’achat d’un masque nécessaire pour ses rares sorties. Il en a réalisé un avec un soutien-gorge de Lusma. Les rires amusés des jeunes voisins glissent sur lui. L’heure est grave : si ce n’est pas le Covid-19, c’est le manque de nourriture qui aura raison de sa famille.

Johnny ne figure pas sur le registre social pour bénéficier d’une aide de l’Etat. Il espère survivre grâce à la générosité des voisins, voire du boutiquier du coin qui multiplie les crédits. Dans le quartier, jeunes et moins jeunes qui travaillent comme femmes de ménages, jardiniers, pêcheurs, soudeurs ou vendeurs de farata arpentent les ruelles, chacun essayant de faire bouillir sa marmite à sa façon.

A quelques mètres de sa case, Wesley Lutchmun, 37 ans, ne mène pas large. Un voisin lui a refilé un petit bol d’huile, l’autre un peu de farine pour qu’il puisse nourrir ses neuf enfants. Et l’enfant de son frère décédé. Maçon, pêcheur et jardinier, il travaille le matin pour apporter de quoi manger le soir. Lui croit que ceux qui ont décidé du confinement ne savent pas ce qu’est la misère.

«Si je pars à la pêche, je peux ramener Rs 400. Maçon ou jardinier, c’est le double. Je n’ai aucune économie. Je ne sais pas comment je vais m’en sortir», lance-t-il sous le regard éteint de ses autres voisins qui sont dans la même galère. Dinesh et Narveda Seedeeyal, âgés de 40 et 37 ans, sont de ceux-là. Ils dépendent de la vente de «farata» pour leur gagne-pain.

«Cela fait dix jours que nous ne travaillons pas. Nous avions des économies, mais elles s’évanouissent à vue d’œil. Mes parents nous aident, mais ils ne peuvent le faire indéfiniment», déplore Narveda qui considère que l’Etat doit venir en aide aux personnes opérant dans le secteur informel comme elle.

«Chaque mois, notre chiffre d’affaires atteint les Rs 20 000. La moitié sert à régler notre prêt logement qui a servi à construire notre maison. Nous comprenons que nous faisons face à une épidémie, mais le gouvernement aurait dû mieux calculer la mise en confinement de l’île», enchaîne Dinesh.

Lui a sa belle-famille sur qui compter alors que Désiré Rangasamy, 36 ans, s’appuie sur ses amis assis à même l’asphalte sous l’ombre d’un manguier. «J’ai voulu obtenir une avance de mon patron. Il m’a dit que les banques sont fermées. Quand je lui ai dit que tel n’était pas le cas, il m’a déclaré qu’il était confiné dans un campement. J’ai un bébé de sept mois à ma charge, ce n’est pas facile», glisse la maçon.

Travailleur social ayant grandi dans le quartier, Pran Seetohul essaie d’aider les voisins tant bien que mal. S’il ne sollicite pas l’aide des mécènes, il n’hésite pas à demander à sa femme, qui gère une mini-épicerie, à offrir des grains secs, un peu de riz ou un morceau de poisson salé à crédit à ces familles.

«J’ai connu la misère. Il faut l’avoir vécue pour connaître leur souffrance», lance-t-il en espérant que l’Etat viendra en aide à ses voisins. «Ouvrir un supermarché ne servira à rien pour eux. Ils n’ont pas d’argent», rappelle Pran Seetohul.

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