Shahebzada Azaree a été entendu par la commission d’enquête sur les drogues, ce mercredi 13 décembre. Le patron de Gloria Fast Food est en détention préventive depuis juin suivant la saisie d’un plus d’un kilo d’héroïne, après une première arrestation dans le sillage de la saisie record de plus de Rs 2 milliards de drogue.

L’homme d’affaires a été entendu sur ses relations avec Siddick Islam et Navin Kistnah ainsi que sur sa passion pour le jeu. Ses comptes ont aussi été passés en revue.

Azaree est arrivé à la commission vers midi, accompagné par un important dispositif policier. L’accès à la salle était contrôlé. Les officiers faisant entrer d’abord les proches du prévenu : sa mère, sa sœur, son épouse, sa fille et son fils, un neveu… Avant de laisser passer les journalistes. Dans la salle bondée, les trois premières rangées sont occupées par des policiers, dont Hector Tuyau et les officiers dévolus à la commission.

Shahebzada Azaree est à la première rangée, ses proches à la quatrième. De temps en temps, Azaree se retourne et échange quelques mots avec eux à voix basse, son épouse lui propose même une boisson, qu’il refuse.

L’audition débute. Azaree choisit de rester debout. Paul Lam Shang Leen édicte les règles clairement : le prévenu devra répondre à toutes ses questions. «Si ou pa reponn, mo pou insiste. Si ou pa reponn, ou pou gagn enn lamann», précise le président de la commission. Le témoin confirme que sa femme est directrice au sein de Gloria Fast Food et leurs enfants enregistrés comme actionnaires de la compagnie.

«Mo remarke zame ou pey ‘tax return’. Exak, pa exak?» l’interroge d’emblée l’ancien juge. Il a eu des soucis pour ouvrir un compte bancaire, explique Azaree. Ce n’est pas la même chose, intervient Lam Shang Leen, car il est ici question de la Mauritius Revenue Authority. Il faisait ses déclarations d’impôts en son nom, explique Azaree. «Mo’nn desid pou sanze an 2017», mais la banque n’a pas accepté. Lam Shang Leen n’a pas l’air de comprendre mais il passe à autre chose.

Le président de la commission lui dit alors qu’il ne l’interrogera pas sur sa détention préventive depuis juin, car l’enquête est en cours. Lui s’intéresse à autre chose.

Azaree utilise deux numéros, les deux enregistrés aux noms de ses aînés. Il précise, à l’étonnement de la commission, que l’un des petits a aussi un portable. Mais aucun numéro pour sa compagnie. Comme avec d’autres témoins, Lam Shang Leen liste une série de numéros, il ne connaît pas la plupart.

Des comptes à sec

Ses comptes bancaires ? Un compte d’épargne, dit le témoin, ouvert à Plaine-Verte. «Pena kass», rétorque Lam Shang Leen, depuis 2013. Un compte courant est aussi inactif et ne comporte que Rs 3,85.

Son épouse gère la branche port-louisienne à la gare Victoria. Azaree affirme qu’il ne s’occupe pas des comptes personnels de sa femme mais qu’ils ont un compte joint. Ce dernier, dit Lam Shang Leen, est au nom du fast-food et à juin 2016, la balance était de Rs 283.

«Ou enn gran zougader», remarque Paul Lam Shang Leen. «Inpe», répond Azaree, pour qui le jeu est un «passe-temps». D’un côté, le témoin fréquente les casinos, note l’ancien juge, alors que de l’autre, ses comptes personnels sont à sec, tout comme celui de son entreprise où les dépôts se font «à 99%» en cash et dont le solde à juillet 2016 s’élève toutefois à… Rs 82.

Lam Shang Leen monte le ton : en 2013, Azaree dépense Rs 260 000 au casino du Caudan et Rs 500 000 aux machines à sous, Rs 2 millions dans trois casinos l’année suivante, la somme augmente encore en 2015… «Ena fwa, mo gagne ousi», fait remarquer Azaree. Pourquoi cet argent ne se retrouve pas sur le compte de l’entreprise ? Il reçoit ses gains cash. «Kas sorti depi kont e lerla, ou al zwe», renchérit Lam Shang Leen.

Azaree possède deux terrains à Terre-Rouge. Celui à morcellement Mani est au nom de sa femme, affirme le témoin. Ce n’est pas le cas, le contredit Lam Shang Leen, Azaree devra fournir les documents de propriété. Deux autres terrains achetés en 2015, à Rs 1,4 million et Rs 1,6 million, pour lesquels le témoin dit effectuer des paiements mensuels. Cela n’apparaît  pas sur vos comptes, relance Lam Shang Leen : «Kont pena nanye. Mo pa kone mwa, amwin kass kasiet kik par.» Ses gains au casino servent à payer ses terres, répond Azaree.

Son «ami» Siddick Islam

Siddick Islam est son voisin, confirme le patron de Gloria Fast Food. Ils habitent à environ 800 mètres l’un de l’autre. «A l’époque», c’est une «connaissance» et non un ami. Azaree lui a rendu visite en prison mais «il y a bien longtemps». Quid du téléphone ? Islam l’appelle parfois pour prendre des nouvelles de la famille. «Touletan lafamiy mem? Nou konpran ki ou nimero inn retrase ek Siddick Islam an prizon», rétorque Lam Shang Leen. Il demande des nouvelles, insiste Azaree. «Des chevaux ?» ironise Lam Shang Leen, peut-être pour des tuyaux en prison ? Les conversations durent 15 à 20 minutes, note l’ancien juge, «zot kone komie letour enn seval fini fer?».

Quarante communications en 2016 répertoriées entre Azaree et Islam. Dont certaines durent près d’une demi-heure. «Ki li dir ou?» veut savoir Lam Shang Leen. Une fois, ils ont parlé de dialyse, répond le témoin. «An! Siddick Islam dokter li?» relance l’ancien juge, qui ne croit pas du tout qu’il n’est question que de «prendre des nouvelles». Surtout quand, parfois, les appels s’enchaînent le même jour et qu’Islam est connu pour être un trafiquant. Un temps silencieux, Azaree finit par lâcher : «Mo pa rapel.»

Les échanges téléphoniques, il y en a aussi eu avec Jessica Gentil en 2016. 17, précise Lam Shang Leen en haussant la voix. «Mo pa kone», rétorque Azaree, qui affirme ne pas reconnaître le numéro cité.

Navin Kistnah, il l’a connu au casino, affirme le patron de Gloria Fast Food. Lam Shang Leen lui montre une coupure de presse où les deux hommes apparaissent sur une photo. Tous deux partagent la même passion pour les chevaux. L’ancien juge en profite pour réclamer les reçus de courses d’Azaree, qui le renvoie à la Commission anticorruption.

Ils ont échangé au téléphone 27 fois en 2016, mais Azaree l’appelle le plus souvent. Pourquoi ? «Li enn kamarad avek mwa», répond-il, ils vont voir les chevaux. «Minwi seval marse?» s’étonne Lam Shang Leen.

«Complot»

Azaree a aussi échangé longuement avec Govindasamy Basana-Reddi, policier alors affecté au Passport and Immigration Office mais en détention préventive depuis juin également. Basana-Reddi a été arrêté suivant la saisie d’environ un kilo héroïne à l’aéroport. Et a affirmé avoir réceptionné le colis sur les ordres d’Azaree.

Ils se sont rencontrés en 2015, et discutent souvent de tuyaux hippiques, raconte le témoin. Dès le premier jour ? questionne Lam Shang Leen. «Be mo proprieter», réplique Azaree. Lam Shang Leen ne laisse pas passer le lapsus, le témoin ayant affirmé plus tôt ne pas être propriétaire de chevaux. «Mo popiler», rectifie le patron de Gloria Fast Food. «Li ki sonn mwa, pa mwa ki sonn li», affirme-t-il lorsque Lam Shang Leen le confronte aux 83 échanges avec ce policier.

Paul Lam Shang Leen s’intéresse ensuite aux relations avec Raouf Gulbul. Les repas gratuits durant la campagne pour les législatives en 2014 ? Certains repas étaient offerts, pas tous, précise le témoin, et cela concernait quatre ou cinq personnes. Le double, le contredit Lam Shang Leen qui veut savoir comment les deux hommes se connaissent. Son père avait un «snack» non loin de chez Gulbul, explique Azaree, qui a aussi été son avocat.

S’il assiste aux réunions du Parti travailliste, il n’est pas un rouge, affirme Azaree. «E ou fourni manze MSM», relève Lam Shang Leen. «Tou ou kamarad trafikan», poursuit l’ancien juge. Non, seul Kistnah. Lam Shang Leen revient à la charge : quid du policier ? Les accusations de ce policier ne sont que des allégations, c’est un «complot», affirme Azaree.

Et Sada Curpen ? Ce n’est pas son «bon camarade», ils ne sont pas non plus en bons termes, et il ne lui a pas remis d’argent, affirme Azaree. «Il vous doit Rs 5 millions» selon les informations de la commission, déclare Lam Shang Leen. Azaree dément. «Tou ou bann vwazin dan klan. Eski ou si ou dan klan Siddick Islam?» Non, affirme Azaree : «Mwa, mo travay mwa, mo ena mo snack.» Azaree devra fournir les comptes et documents relatifs à son entreprise.

Le nom de Khalil Ramoly a été cité aujourd’hui également. Azaree le connaît, l’homme d’affaires se charge de réparer sa voiture.

La commission n’en a pas fini avec lui. Tous les numéros de téléphone n’ont pas encore été retracés, et il reviendra à Azaree de s’en charger, a indiqué Lam Shang Leen. Shahebzada Azaree devra poursuivre son audition le lundi 18 décembre.

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