Si la bataille entre Satyajit Boolell et l’Independent Commission against Corruption (ICAC) paraît juridique de prime abord, elle prend lentement des allures politiques au vu de ce qui se passe en coulisses. Sur fond «d’énormément de pression» et de «clouded judgement» de certains décideurs politiques, la Commission anticorruption pourrait devenir une victime collatérale du dossier Sun Tan Hotels.

Depuis 14 heures ce mercredi, les représentants légaux de la Commission anticorruption et de Satyajit Boolell entament la première manche du match strictement légal devant la juge Ah Foon Chui Yew Cheong de la Cour suprême. Mais la première manche a été courte. Car l’affidavit de Boolell ayant été juré en début d’après-midi hier, le document n’est parvenu à l’Independent Commission against Corruption qu’à 11 heures, ce mercredi.

C’est ce qui explique pourquoi l’ICAC a demandé et obtenu de la juge 15 jours supplémentaires pour étudier l’affidavit avant d’informer la justice si elle résistera ou non à la demande de Satyajit Boolell. Le panel d’avocats de ce dernier s’attend toutefois à ce que l’ICAC s’oppose à leur demande et jure un contre-affidavit, le premier des deux que la commission pourra jurer. Toutefois, on affiche la confiance en face. Difficile, croit-on en effet à Ebène, d’imaginer qu’un juge puisse demander à l’institution de cesser une enquête déjà initiée.

A l’ICAC, on dit avoir agi dans les stricts paramètres de procédure depuis l’instant que le « referral » du ministère du Logement et des Terres est parvenu à la commission, le 6 juillet. Dans le dossier à charge compilé par le ministère de Showkutally Soodhun, Satyajit Boolell apparaît passible de poursuites pour conflit d’intérêts, public official using office for gratification et conspiracy to defraud. A la réception d’une lettre anonyme, par exemple, l’ICAC a la latitude d’étudier l’accusation puis de la classer si elle est vague. Mais dans le cas d’un « referral », l’institution a l’obligation de diligenter une « Preliminary Enquiry » puis, le cas échéant, une « Further Inquiry » en bonne et due forme. Or, un premier examen du dossier Sun Tan Hotels permet à l’ICAC d’exclure la possibilité des délits de « public official using office… » ou de « conspiracy ».

Reste le conflit d’intérêts. A l’ICAC, on estime qu’un « case » n’est pas clairement établi en la matière. Un peu en écho à l’affidavit de Satyajit Boolell, on se demande si Boolell avait effectivement la qualité de « public official » lors de ses interactions avec les cadres du ministère du Logement et des Terres en tant que directeur de la société Sun Tan Hotels. Mais alors que l’ICAC prend le temps requis pour examiner le dossier, les pressions montent.

Ainsi, un souhait est clairement exprimé : il s’agit d’interroger, d’arrêter et de loger une charge provisoire contre Satyajit Boolell au plus vite, si besoin dans les heures suivant son retour au pays, le mercredi 8 juillet. La demande d’arrestation de Boolell semblait, en effet, attendue aux Casernes centrales où elle aurait été traitée en urgence ce jour-là. Toutefois, la commission ne se précipite toujours pas. N’ayant pas terminé l’audition des autres témoins dans ce dossier.

A jeudi, les doutes persistent toujours à l’ICAC sur le « case ». Difficile de foncer tête baissée sur le sujet du conflit d’intérêts. Mais à la suite de l’audition de cadres du ministère des Terres et de leur appréciation de la nature parfois expansive de Satyajit Boolell, la Commission contemple la possibilité d’auditionner le Directeur des poursuites publiques par rapport à un éventuel cas de « influencing public official » prévu à l’article 9 de la Prevention of Corruption Act.

Entre-temps, la pression monte. Indirectement, par l’intermédiaire de certaines personnes, la Commission apprend qu’on s’impatiente en haut lieu. Au sein même de l’ICAC, les dissensions sont visibles. Dans le communiqué annonçant sa démission du board de l’institution, Bibi Shakilla Jhungeer estime « dommage qu’aujourd’hui le Directeur Général de l’ICAC qui gère le board est en train de prendre des décisions » allant à l’encontre du principe du « rule of law ». Estimant que « l’implication de Me Satyajit Boolell, le DPP a été établie » dans le dossier Sun Tan Hotels, la juriste avait réclamé l’arrestation de Boolell, se faisant l’écho du point de vue d’un membre du front bench gouvernemental.

Directement, des coups de fils sont également reçus. Toutefois, le ton musclé utilisé lors des conversations ne parait pas réussir à forcer la main de la direction de l’ICAC, à cheval sur « la diligence » que requiert une telle enquête. Qu’importe, en face, on assène : Satyajit Boolell doit être interrogé, arrêté et être sous le coup d’une charge provisoire dans les meilleurs délais !

Même si la pression monte à l’ICAC, les procédures continuent à être suivies à la lettre. Tous les témoins ayant été interrogés, il est désormais temps de convoquer Boolell pour qu’il donne sa version des faits. A ce stade, les points de vue deviennent contradictoires dépendant de là où on se place.

Si à l’ICAC, on dit ignorer toute initiative prise parallèlement, le DPP affirme dans son affidavit avoir été contacté par un émissaire chargé de le convaincre de démissionner en échange de l’arrêt de l’enquête. Échaudé par la pression, Satyajit Boolell se cabre contre l’ICAC, alors qu’à la Commission, on multiplie les tentatives pour le rassurer à l’effet que son interrogatoire se passera dans les meilleures conditions et dans le strict respect des procédures établies. ION News a appris que jeudi, une conversation entre Lutchmeeparsad Aujayeb, le directeur général de l’ICAC, et le DPP a justement eu pour but de rassurer ce dernier. En vain.

Lundi, devant la méfiance de Boolell, l’ICAC lui fait parvenir une correspondance dans laquelle elle explique qu’une enquête « into potential offences in breach of Sections 9 and 13(2) of the Prevention of Corruption Act » est en cours. Il est donc demandé au DPP de se présenter à l’ICAC d’ici le 22 juillet, précisant au passage : « you may be accompanied by your legal adviser, should you wish ».

La décision de Boolell de répondre à cette lettre en réclamant une injonction en Cour suprême prend de court l’ICAC. La Commission ayant promis de traiter le DPP de manière équitable malgré toutes les pressions subies. D’ailleurs, poursuit-on, l’ICAC aurait tenu en compte les arguments soumis par Boolell dans son affidavit de ce mardi, tout en précisant que la Commission se serait gardée de se mêler à des considérations politiques ou de se laisser dicter par elles lors de l’audition.

Si à Ebène, on assure que l’intégrité de l’institution est sauve et bien vivante, on réalise toutefois que la convocation de Boolell dans les locaux de la Commission s’apprête à être utilisée par les politiques. Qui réclameront, même en l’absence d’une charge provisoire, que le DPP « step aside » en attendant que la pression monte, contraignant éventuellement Satyajit Boolell à démissionner de son poste, sur la base de la perception qu’il ne peut plus s’acquitter de son devoir constitutionnel.

Persuadés que la Cour suprême leur permettra la reprise de la procédure dans le dossier Sun Tan Hotels, les enquêteurs de l’ICAC demeurent lucides sur ce qu’il pourrait se passer si jamais ils concluent qu’aucune charge ne peut être reconnue contre Satyajit Boolell. On se prépare ainsi à la tempête politique qui s’annonce qu’importe l’issue de la procédure. Déjà, le directeur de l’ICAC est pris à parti sur le mur Facebook d’un parti politique. Par ailleurs, on promet de déterrer des dossiers, vieux et sans réelle importance, pouvant mettre dans l’embarras Lutchmeeparsad Aujayeb, soudain tombé en disgrâce aux yeux des personnes ayant soutenu sa nomination à la tête de l’ICAC fin décembre. Ses collaborateurs affirment toutefois que l’homme tient ferme. Et serait, disent-ils, prêt à camper sur ses principes, quitte à devoir démissionner pour les préserver.

Cette situation démoralise plus d’un à la Commission anticorruption. Où on assure qu’avec la condamnation de Pravind Jugnauth pour conflit d’intérêts et la confirmation, en appel, de la peine de corruption contre Bidianand Jhurry, l’ICAC se construit lentement mais sûrement son aura d’institution indépendante et efficace.

 

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