L’avocat qui défend un escroc est aussi coupable que son client. Le boulanger qui vend une baguette à un pédophile est responsable de la souffrance des victimes de ce criminel. Voici le schéma dans lequel s’enferment ceux qui ont érigé la haine du mouvement Lesbien, gay, bisexuel et transgenre (LGBT) en dogme. Dans un pays aussi conservateur que le nôtre, la crise d’intolérance du samedi 2 juin a abouti à diviser Maurice en trois.

D’abord, des personnes déjà sensibilisées à la cause et qui estiment crucial de la défendre davantage depuis samedi. Ensuite, ceux qui, conservateurs dans l’âme, n’ont pas franchement de sympathie pour les personnes ayant, à leur avis, une sexualité jugée hors norme. Mais qui ne cautionnent pas non plus une attitude radicale envers elles. Enfin, la poignée de personnes qui a décrété, au nom d’un dogme, que le mouvement LGBT est impur et dangereux. Allant jusqu’à nier l’existence de leur communauté. Comme s’il n’existait pas de communauté autre qu’ethnique – de planteurs, d’artistes ou de défenseurs des animaux par exemple. A bien y voir, les trois camps dans lesquels se sont rangés les Mauriciens ont une chose en commun : la peur.

Le camp de la haine – il faut bien l’appeler ainsi – justifie son attitude par une insulte proférée à sa croyance. Si on ratisse les réseaux sociaux, on trouve chaque jour une tête brûlée qui insulte d’une manière ou d’une autre une des grandes confessions présentes dans le pays. En fait, les manifestants «spontanés» du 2 juin avaient besoin d’un prétexte pour diffuser leurs tracts et brandir leurs panneaux laminés décrétant «LGBT = Bestialité» ou «LGBT malpropT».

A notre connaissance, les Mauriciens n’envahissent pas les rues à chaque fois qu’on insulte leur croyance. Dans la majorité des cas, ils vont frapper à la porte de la police en exigeant qu’elle fasse son travail illico. Cette année, le calendrier aidant, il a été donné l’occasion aux anti-LGBT non seulement d’afficher une nouvelle fois leur dégoût face aux «malprop», mais d’associer une théorie du complot au mouvement honni. En accusant des puissances étrangères et des forces occultes ayant pour agenda le prosélytisme pro-LGBT. Le but final serait «d’égayer» nos jeunes !

Il est d’ordinaire difficile de raisonner avec des bornés. Mais on ne peut s’empêcher de les renvoyer au vrai prosélytisme. Pratiqué insidieusement chaque jour par une petite armée qui distribue une revue traduite en 190 langues dans le monde. Ou par ceux qui reçoivent de généreuses aides de l’étranger pour faire du social. Mais dont le but ultime est de profiter de la situation précaire de ceux qu’ils aident, pour les accueillir dans une nouvelle confession. Il est difficile de comparer ces prosélytismes avec une manifestation LGBT annuelle et une communauté habituellement low key dans le pays. Pourquoi donc avoir peur de ce qui n’est pas une menace ?

La crainte s’est propagée ailleurs. Les vociférations du 2 juin ont conduit ceux n’étant pas habituellement sensibles à la cause LGBT à se cambrer. Car même s’ils sont d’accord avec Meetoo et compagnie sur le fond, ils ne souscrivent pas à l’ensemble du raisonnement utilisé par les contre-manifestants.

Dans une île prétendument pieuse comme la nôtre, le calendrier religieux conditionne tout. Allons donc admettre que certains ont considéré qu’organiser la Marche des Fiertés durant un mois de Ramadan relève de la provocation. Que penser, alors, de ceux qui estiment qu’organiser cette marche à Port-Louis constitue une surenchère encore plus condamnable ?

La capitale du pays aurait-elle soudain acquis un statut communautaire exclusif ? Si certaines des quatre circonscriptions qui couvrent Port-Louis élisent, élection après élection, trois députés d’une même confession religieuse, doit-on en conclure que la capitale est désormais le bastion d’une foi ? Normaliser un tel raisonnement serait désastreux.

Car une douzaine d’extrémistes pourrait alors l’utiliser pour affirmer que toute boucherie vendant du bœuf dans la circonscription Grand-Baie/Poudre d’Or doit être fermée. Puisqu’à chaque élection, le numéro 6, majoritairement hindou, envoie trois personnes de cette communauté au Parlement.

Si la cause défendue par Meetoo a des sympathisants dans toutes les communautés, la tentative de marquer un territoire lors du rassemblement illégal du 2 juin a trouvé peu de soutiens. Tandis que les menaces d’attaques, proférées ici et là, en ont alarmé d’autres.

Venons-en aux soutiens du mouvement LGBT. La marche qu’organise la communauté depuis 13 ans à Maurice a un but spécifique. Bien avant que Pauline Verner ne vienne dans l’île et ne rejoigne le Collectif Arc-en-ciel en 2014, l’essentiel du combat de la communauté LGBT se résumait à deux mots : le respect et l’égalité. C’est un combat universel.

Même si des démocraties, dites matures, assurent par voie légale un traitement égal à toute personne peu importe son orientation et son identité sexuelles, l’homophobie et les discriminations y sont encore courantes. C’est pourquoi la question du suicide et de la dépression demeure une préoccupation dans de nombreux pays. Où certaines personnes préfèrent encore cacher leur identité et leur préférences pour ne pas subir ses représailles.

La Marche des fiertés ou Gay Pride, même si elle est organisée une fois l’an dans de nombreux pays, est donc l’occasion pour les personnes LGBT d’assumer leur identité et d’utiliser cette plateforme publique pour réclamer la mise en œuvre d’un principe présent dans toutes les démocraties : l’égalité.

Consciente de notre conservatisme, le mouvement LGBT à Maurice s’est volontairement tenu à l’écart des revendications égalitaires mais politiquement incorrectes dans le contexte local. Comme la légalisation des unions de personnes du même sexe, la possibilité d’adoption pour les couples homosexuels ou la reconnaissance d’un troisième genre.

Or, les évènements de la semaine dernière et la réaction tiède des autorités et de la classe politique face aux radicaux font désormais naître une autre peur. Si le gouvernement compte quelques progressistes – et l’Assemblée nationale, des personnes qui auraient pu défiler lors de la Marche des fiertés –, la question LGBT pourrait être opportunément reléguée au second plan.

Face à la nécessité de ratisser les soutiens en vue des prochaines législatives, aucun camp politique ne se risquera à faire des vagues dans un bassin électoral qui compte. Javed Meetoo peut se rassurer. Pour les politiques, sa voix et celle de ceux qui ont vociféré avec lui comptent davantage que celle de la communauté LGBT. Les apparences sont sauves. Maurice la pieuse, bénie de Dieu, a fait reculer les malpropres.

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