« All in » ou tapis. Ce sont les termes utilisés au poker pour désigner la manœuvre consistant à tout miser sur un coup. Soit parce que le joueur croit qu’il a une main imbattable. Soit parce qu’il pense que ses adversaires ne vont pas le suivre dans la surenchère et se « coucher ». Les trois hommes politiques les plus importants du pays sont « all in » dans le jeu électoral depuis jeudi dernier. Si l’issue d’une partie de poker est toujours imprévisible, passons en revue les risques encourus par chacun.
SAJ : le pari de l’autorité morale. Tout le monde pensait que sir Anerood Jugnauth allait choisir entre deux attitudes extrêmes, hier soir à Rivière-du-Rempart : vilipender Paul Bérenger pour avoir unilatéralement mis fin au Remake ou céder en acceptant la demande d’une alliance MMM-MSM renégociée. Or, SAJ a fait preuve de finesse en campant sur une position de force morale. Posant un peu à la manière d’un conjoint trompé qui accepte de pardonner son partenaire ayant eu la faiblesse d’aller chercher ailleurs… pour peu que celui-ci regagne le toit conjugal sans poser de conditions. C’est une posture qui attire immédiatement la sympathie tout en instillant chez l’infidèle un sentiment certain de culpabilité.
En refusant de rentrer dans le jeu de Bérenger, SAJ court un principal risque : conduire à terme le leader du MMM à reprendre les discussions avec Navin Ramgoolam. Car comme on le sait maintenant, quand Bérenger dit qu’une chose est « out », il peut tout à fait être en train de faire le contraire de ce qu’il prône. Au MMM, si on concède que les rouges ont déjà tenté une reprise de contact depuis le début de la semaine, l’ambiance est toutefois à l’extrême méfiance envers Navin Ramgoolam. Mais la méfiance n’est pas éternelle. SAJ doit en avoir pleinement conscience.
Bérenger : le pari du joker. Même s’il n’existe pas de joker au poker, il semble évident que le chef des mauves base sa stratégie de jeu sur un double postulat. D’une part, qu’il n’y aura pas de lutte à trois lors des prochaines élections générales – l’absence de réforme électorale aidant. D’autre part, et par conséquent, que le MMM sera le partenaire incontournable de tout parti souhaitant assurer sa victoire aux législatives.
Le pari est risqué. Car il implique que des trois combinaisons d’alliance possible – MSM-MMM, MMM-PTr, PTr-MSM –, c’est la dernière qui est la moins probable. Parce que bien des ponts ont été brûlés entre les rouges et le MSM, vu que les attaques entre le clan Jugnauth et Ramgoolam ont été des plus virulentes. Bérenger estime donc sans doute qu’il peut amener SAJ ou même Ramgoolam à faire des concessions à son égard. Chose qu’ils ne feraient pas, selon le patron des mauves, l’un pour l’autre. La politique est toutefois l’art de transformer l’impossible en possible, souvent en utilisant le temps comme catalyseur. Une alliance PTr-MSM-PMSD qui semble exclue aujourd’hui pourrait devenir réalisable à l’horizon d’octobre 2015, période après laquelle l’Assemblée nationale sera dissoute d’office. Le risque bien réel que court donc Bérenger est de perdre son statut de joker.
Ramgoolam : le coup de bluff. Il est de bon ton de dire que le Premier ministre est le grand gagnant des récentes manœuvres politiques. C’est partiellement vrai. Il faut malgré tout admettre que c’est parce que Ramgoolam a saisi l’impérieuse nécessité de briser le Remake qu’il a enclenché les manœuvres sur la réforme électorale et la IIe République – toutes deux conditionnées à une entente politique PTr-MMM. Ce faisant, il a implicitement admis ne pas être aussi fort qu’il le prétend.
Les partisans rouges qui affirmeraient qu’il était seulement dans l’intention de Ramgoolam de faire échouer le Remake et de ne pas faire alliance avec le MMM seraient de mauvaise foi. Car le Premier ministre a trop investi de sa crédibilité et de son temps dans cette phase politique pour prétendre n’y être allé que pour de basses raisons politiciennes.
Il reste néanmoins à déterminer quelles sont les raisons qui ont poussé Ramgoolam à faire marche arrière en demandant ce qu’il sait être inacceptable pour Bérenger. Il y a l’explication « socioculturelle ». Qui veut que le chef du gouvernement ait cédé à des lobbys sectaires ne voulant pas que tel ou tel pouvoir « sap dan nou lame ». Puis, il y a l’explication statistique. Le leader des rouges a triomphalement brandi une étude d’opinion ce lundi. En affirmant que ce sondage le donne gagnant pour les prochaines élections générales. Or, on sait que Ramgoolam avait effectué le même exercice, qui avait d’ailleurs auguré du même résultat, peu de temps avant les élections générales de septembre 2000 et peu après l’éclatement de la Fédération mauve-blanc d’alors. Ce qui avait conduit Ramgoolam à aller seul aux élections… avec le résultat que l’on connaît.
Des trois joueurs, c’est Ramgoolam qui risque de perdre le plus de jetons dans la partie. Parce que contraint à terme à faire une alliance – afin d’être sûr de gagner –, il aura à faire des concessions soit au MSM, soit au MMM. Le Premier ministre devra alors ravaler sa salive sur le parti de Pravind Jugnauth dont il a raillé l’apport électoral. Ou alors, donner au MMM ce que Bérenger recherche : la réforme électorale ainsi qu’une IIe République dont le président ne sera pas élu au suffrage universel. Dans les deux cas, il aura cédé. Cela fait beaucoup de reculades potentielles pour celui qui se pose en maître incontesté de l’échiquier politique !