Le livre blanc sur la réforme électorale a beau être une avancée historique remarquable, il contient une suggestion fondamentalement contraire à la démocratie. Il s’agit de la désignation d’un certain nombre de députés par les leaders des partis. L’idée, formulée en premier par Paul Bérenger, a de quoi inquiéter. D’autant plus qu’elle semble favorisée par Navin Ramgoolam, selon ce qu’il a laissé entendre au Parlement.

Or, cette formule, qui a eu comme mérite de  faire « vendre » la réforme, est doublement superflue.  Et une alternative existe.

Pour désigner les élus de la proportionnelle, Rama Sithanen avait proposé la formule de la liste bloquée. Un parti soumet sa liste de candidats avant les élections et ses élus de la proportionnelle sont choisis selon leurs rangs sur cette liste. L’innovation de Paul Bérenger est d’aménager une deuxième méthode de désignation. Par exemple, après 16 élus choisis selon le classement, 4 ou 8 seront nommés parmi les autres candidats de la liste, mais cette fois-ci sans tenir compte du rang.

La proposition gêne les démocrates, pour qui il est inacceptable qu’un leader puisse intervenir arbitrairement après le vote des citoyens. Mais quand le MMM en a parlé pour la première fois en septembre 2012, il s’agissait d’un vrai « pas en avant », selon les termes du Premier ministre. En effet, c’était la première fois que les mauves acceptaient d’enlever toute référence aux communautés dans la loi. La proposition de Bérenger avait alors ce mérite : laisser aux partis le soin de représenter la diversité ethnique – s’ils le souhaitaient – sans en faire une obligation légale. Le Best Loser System (BLS) était dès lors condamné.

La proposition avait été présentée par Bérenger à ses relais dans la communauté musulmane, censée être la plus réticente à l’abolition du BLS. Ils s’étaient déclarés « pas opposés ». Que des députés soient choisis par les leaders, voilà un moyen, se sont-ils dit, de permettre un rééquilibrage ethnique si jamais la proportionnelle ne le fait pas correctement. (voir illustration plus bas)

Cette formule n’aura pas à être appliquée. Comme l’a bien démontré Rama Sithanen, avec au moins 20 sièges de proportionnelle, l’équilibre ethnique se fera automatiquement. Il suffira aux leaders des partis (qui le souhaitent) de savoir placer les profils dans leurs listes, comme ils l’ont toujours fait pour les tickets et les ministères. Mais Bérenger n’a pas cru à cette démonstration mathématique. Ou plutôt, il estime que ce n’est pas une garantie assez forte pour convaincre les défenseurs du BLS. Il lui fallait un ultime filet de protection ; ce fut sa formule du « choix des leaders ».

L’alternative : le désistement

Si Ramgoolam accorde du crédit aujourd’hui à la formule de Bérenger, c’est qu’il sait qu’un refus net fera capoter la réforme, qui a besoin de la majorité des trois-quarts à l’assemblée. Comment réformer sans aliéner le MMM et les autres avocats d’un « filet de protection » ? Simplement en rappelant que le système de la liste bloquée de Sithanen permet déjà un dispositif similaire. Dans le cas extrême où un parti pense qu’une communauté n’est pas représentée, le leader pourra toujours convaincre un élu de liste de démissionner pour laisser la place à quelqu’un du « bon profil ».

Qui acceptera de démissionner à la demande de son leader ? Tous. Les mêmes qui auraient accepté, dans la formule de Bérenger, qu’on nomme quelqu’un d’autre à leur place. Rappelons que les candidats de liste seront placés là en connaissance de cause. Ils devront leur place à leurs partis et donc surtout à leurs leaders. S’ils quittent le parti, ils perdent leurs sièges. Les leaders disposent donc d’une marge de manœuvre à utiliser dans les cas extrêmes.

Est-ce revenir indirectement au « choix des leaders » ? Oui, mais ce procédé n’inscrit pas ce choix dans la loi. Il ne sera appliqué que dans des cas extrêmes qui, selon Sithanen, ne se produiront d’ailleurs jamais. Surtout, quoi qu’on fasse, des versions de cette manœuvre existeront toujours ; la liberté individuelle dicte qu’on doit pouvoir démissionner de ses fonctions.

On atteint ainsi l’objectif de Bérenger, le « filet de protection » qui rassure, sans sortir de la formule de la liste bloquée de Sithanen. Et si c’est nécessaire pour le marketing de la réforme auprès des soutiens du BLS, on peut même envisager de formaliser et faciliter ce mécanisme. Il suffira, par exemple, de n’élire formellement les députés de la proportionnelle que 7 jours après le scrutin, le délai permettant à ceux qui le souhaitent de se désister.

Une illustration :

– Formule du « choix des leaders »

Sur 16 députés élus selon la liste bloquée, le MMM en récolte 10. Le parti a ensuite droit à 2 députés additionnels à être choisis par le leader. Bérenger estime qu’il n’y a pas eu assez de musulmans et de tamouls à l’assemblée. Plutôt que de nommer les 11e et 12sur sa liste, disons Madan Dulloo et Josique Radegonde, il choisira le 13e, Raffick Sorefan, et le 19e, Sanjeeven Permal. La logique est bien celle du BLS, mais la différence fondamentale est qu’aucune logique communautaire n’est inscrite dans la loi. Si Bérenger souhaite plutôt « rééquilibrer » selon les compétences à sa disposition, il pourra par exemple repêcher le 16e, Vijay Makhan. Rappelons que dans l’application de cette formule, Bérenger considère que Dulloo et Radegonde – et leurs soutiens – n’auront d’autre choix que d’accepter d’être écartés.

– Le désistement

Le même résultat peut donc être atteint si Dulloo, Radegonde etc. se désistent après consultation avec leur parti, laissant la place aux Sorefan et Permal restants. Une démarche extrême pour un cas qui, de toute façon, ne peut qu’être exceptionnel.

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