Ah les naïfs ! Ils tombent sur une belle formule qui a un sens, une portée et dont le non-respect entraîne des conséquences… ailleurs. Et voilà qu’ils la plaquent sur notre contexte local. En feignant de croire que la question sera bientôt à l’agenda parlementaire. L’idée d’une loi sur la moralisation de la vie politique – la solution à tous nos maux, paraît-il – a squatté les débats de journalistes.  Elle a été posée à certains responsables politiques et évoquée spontanément (ou opportunément ?) par d’autres la semaine écoulée. A croire que la série Lalang Pena Lezo – dont le dernier épisode Lalang Gate, starring le député MSM Kalyan Tarolah – a causé une soudaine poussée de fièvre moralisatrice dans le pays. Quelle hypocrisie !

Shiv Khera décrit excellemment l’état d’esprit de l’humain moyen. «People don’t feel bad because they made a mistake. They feel bad because they got caught», affirme le gourou du self-help. Posons-nous donc des questions. Et si Showkutally Soodhun avait mal parlé à Nirmala Maruthamuthu dans une réunion à huis clos ? Et si Ravi Rutnah avait traité une journaliste de «lisien femel» lors d’une réunion du bureau politique de son parti ? Et si les messages obscènes échangés entre Kalyan Tarolah et une femme sur WhatsApp n’avaient jamais trouvé la voie d’une rédaction avide de ce type «d’info» ? Tous ces faits seraient-ils soudain devenus moins graves, davantage acceptables ?

«The true test of a man’s character is what he does when no one is watching», disait une légende du basketball américain des années 1960. Justement, les faits d’armes de nos hommes politiques ont le plus souvent lieu à l’abri des regards. Des députés de ce gouvernement et du précédent ont, eux aussi, échangé des messages coquins entre adultes consentants. Des ministres ont des maîtresses… sans que celles-ci soient des nominées politiques ou même liées de loin à des institutions publiques. Certains, parait-il, aiment aussi fumer un joint avec des journalistes ayant le même passe-temps. D’autres ont des ardoises auprès du pharmacien du coin, chez qui ils achètent régulièrement leur stock de petites pilules bleues.

Méritent-ils de finir en prison pour cela ? Doivent-ils être soumis à l’opprobre des bien-pensants ? Dont la particularité est de pratiquer peu – en privé – ce qu’ils prêchent – bruyamment – en public. Probablement non. C’est bien pourquoi la loi sur la moralisation de la vie politique en France n’est pas bâtie sur de la pudibonderie. Mais plutôt sur une série de règles conçues pour éviter des dérives maintes fois constatées. Notamment l’emploi de proches d’élus comme proches collaborateurs, le paiement de leurs frais personnels mirobolants des deniers publics, l’évasion fiscale ou la dissimulation de revenus des responsables politiques, etc.

Notre droit civil et pénal prévoit des réponses aux frasques de Soodhun, Rutnah ou encore Tarolah. Insulte, diffamation, incitation à la haine, Information and Communication Technologies Act sont autant de dispositions légales qui peuvent être invoquées devant nos tribunaux. De même, aux dernières nouvelles, la Prevention of Corruption Act définit les délits de trafic d’influence, de corruption ou de conflit d’intérêts. En fait, à l’exception d’un cadre légal sur les partis politiques et leur financement, le droit mauricien compte déjà de nombreuses dispositions pour «moraliser la vie politique».

Pourtant, des maîtresses sont toujours nommées dans des corps para-étatiques ou entrent en affaire avec ceux-ci pour devenir, en l’espace de quelques années, des multimillionnaires. D’illustres inconnues sont intronisées diplomates émérites du seul fait de leur intimité avec un puissant. Des conseillers et nominés politiques obtiennent des sobriquets de «Pran kass» ou «Mr 10%» sans être le moindrement inquiétés. Pire, ils déploient leurs tentacules dans de nouvelles institutions et contrôlent de nouveaux budgets – dépensés à travers des processus d’appel d’offres allégés ou non existants.

A vrai dire, c’est d’un sursaut national dont le pays a besoin. Mais aucune loi n’ordonne aux fonctionnaires de bien faire leur travail et de dénoncer les agissements louches ou carrément illégaux des politiques. Tout comme les citoyens ne ressentent aucune utilité d’agir comme Nirmala Maruthamuthu en dénonçant avec force et sur le champ leurs écarts. C’est que les moutons ont mieux à faire. Comme se caler, un paquet de cacahuètes ou de popcorn à la main, en attendant de s’offusquer une énième fois devant le dernier épisode de Lalang Pena Lezo. Qui ressemble de plus en plus à un drame et de moins en moins à une comédie.

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