Comme à l’aube d’une charge ennemie, le cœur politique de la capitale fédérale américaine a ces jours-ci des allures de camp retranché. Dimanche 17 janvier, des bus de tourisme réquisitionnés déversent sur le trottoir des dizaines de militaires, qui s’engouffrent dans un hôtel situé à quelques rues de la Maison Blanche. Des badauds incrédules photographient les véhicules de l’armée, les blocs de béton et les hautes grilles, surmontées de barbelés, qui barrent l’accès aux artères menant au National Mall, lieu traditionnel des grands rassemblements populaires, et au Congrès, où se tiendra mercredi 20 janvier la cérémonie d’investiture du président élu Joe Biden.

A quelques centaines de mètres de la première volée de grilles qui protègent depuis des semaines la Maison Blanche, une poignée de militants antiracistes font flotter des drapeaux aux messages explicites « Fuck Trump » ou « Black Lives Matter ». Hormis ce semblant d’attroupement, les larges avenues de Washington, interdites à la circulation sont plus calmes et plus vides encore qu’à l’ordinaire. Plus inquiétantes aussi.

En tenue de camouflage et dûment armés, les soldats de la garde nationale, venus des Etats voisins et parfois de plus loin encore, ont investi la place. Vingt mille d’entre eux devraient être sur zone lorsque M. Biden prêtera serment. Ce déploiement massif et inédit, complété par une forte présence policière, est à la mesure du traumatisme vécu le 6 janvier par le pays, lorsque des centaines de partisans du président Trump ont pris d’assaut le Capitole. Les images des forces de l’ordre débordées par les manifestants violents, tandis que des soldats stationnés aux alentours n’obtenaient pas l’autorisation d’intervenir, ont sidéré l’Amérique.

Force de dissuasion

Secouées par cet épisode, les autorités veulent prévenir tous nouveaux débordements, alors que le FBI a mis en garde contre de possibles violences venues de groupes radicaux avant ou durant l’investiture de M. Biden. Dimanche et lundi, férié en raison du jour dédié à Martin Luther King, étaient particulièrement redoutées. Mais la force de dissuasion, visiblement, a payé. Durant le week-end, seules quelques dizaines de militants pro-Trump et de membres de milices armées ont tenté des rassemblements devant plusieurs Capitoles locaux surprotégés. Aucun incident n’a été rapporté.

A Washington, rien n’a été laissé au hasard pour tenir à distance de potentiels fauteurs de troubles. Les ponts qui relient la ville à la Virginie voisine vont être fermés ; treize stations de métro sont déjà inaccessibles ; l’entreprise de location d’appartements Airbnb a annulé toute réservation dans la capitale durant la semaine à venir ; certains hôtels de la ville ont fait de même. Commerces et institutions situés dans le centre politique sont calfeutrés derrière de larges contreplaqués ; certaines planches cabossées sont en place depuis les manifestations antiracistes du printemps, accentuant l’air de désolation qui plane sur ces artères mortes.

Avant même l’explosion de violences du 6 janvier, la cérémonie d’investiture avait été redimensionnée en raison de la pandémie de Covid-19 : la parade militaire avait été annulée et les centaines de milliers d’Américains, qui de coutume accompagnent ce rituel démocratique, priés de suivre les discours à la télévision. Privé de liesse populaire, M. Biden inaugure donc son mandat dans une ambiance alourdie par la lutte contre le Covid-19 et le besoin de réconciliation nationale. Ses deux plus urgents défis.

Facebook Comments