Un nouveau né à l’hôpital de Nantes, en 2018.
LOIC VENANCE / AFP

 

Au printemps 2020, les romantiques pronostiquaient un « baby-boom » dans la foulée du premier confinement national. Ces longues journées passées sous le même toit n’allaient-elles pas rapprocher les cœurs et les corps, stimulant les désirs d’enfants ?

Un an plus tard, les faits donnent plutôt raison aux pessimistes : la natalité est en chute libre en France sur fond de morosité ambiante, selon les données publiées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) jeudi 25 février.

Seulement 53 900 bébés sont nés dans le pays en janvier, contre 62 180 au cours du même mois un an plus tôt, soit 13 % de moins. Cette donnée était attendue par les démographes, car il s’agit du premier mois complet qui permet de mesurer l’effet de la crise sanitaire sur la natalité, avec neuf mois de décalage (le premier confinement a débuté le 16 mars 2020). Et elle confirme nettement la première baisse de 7 % des naissances qui avait été observée en décembre, résultat des quinze premiers jours de mise à l’arrêt du pays.

« Anxiété et l’incertitude vis-à-vis de l’avenir »

Ces chiffres tranchent par leur ampleur, même dans un contexte de baisse continue de la natalité en France depuis plusieurs années. En 2019, par exemple, la baisse était de 0,7 % par rapport à 2018. « Il faut remonter à la fin du “baby-boom”, en 1975, pour observer une baisse » comparable à celle de janvier, explique Isabelle Robert-Bobée, cheffe de la division enquête et études

Les spécialistes ont donc peu de doute sur le lien entre la pandémie et le faible nombre de naissances de ces dernières semaines. Et ils ne sont pas surpris. « Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les crises économiques ont souvent engendré une baisse des naissances », rappelle Gilles Pison, chercheur associé à l’Institut national d’études démographiques (INED) et professeur au Muséum national d’histoire naturelle.

Selon le démographe, « on peut lier cela à l’anxiété et à l’incertitude vis-à-vis de l’avenir que suscitent les périodes de crise. Certains couples décident alors de reporter leur projet d’enfant à plus tard. » Et il peut s’agir aussi bien de foyers directement touchés par la pandémie, parce qu’ils ont par exemple perdu un proche ou un emploi, que d’autres qui sont simplement affectés par le contexte.

D’autres facteurs plus spécifiques à la crise sanitaire ont pu également entrer en compte, selon l’Insee. Par exemple, le fait que les centres de procréation médicalement assistée ont été fermés pendant le confinement de mars à mai, alors qu’ils sont à l’origine de l’ordre de 3 % des naissances en France chaque année, selon une étude de l’INED publiée en 2018. Ou encore, les craintes sur la possible transmission du coronavirus SARS-CoV-2 de la mère à l’enfant – un phénomène dont on sait aujourd’hui qu’il est très rare, bien que possible, mais qui était méconnu en mars 2020.

Un rebond des naissances après la crise ?

Si les données manquent encore pour l’analyser en détail, tout laisse à croire que cette chute de la natalité n’a rien d’un mal spécifiquement français. Aux Etats-Unis, les spécialistes s’attendent également à observer un « baby bust », c’est-à-dire un effondrement des naissances, plutôt qu’un « baby-boom ».

Ailleurs en Europe, les mêmes causes pourraient produire les mêmes effets que dans l’Hexagone, dans des proportions variables. « Les pays comme la France qui ont des politiques sociales développées ne seront vraisemblablement pas les plus touchés », anticipe ainsi le démographe Gilles Pison. Mais l’Italie et l’Espagne, qui ont déjà une faible natalité, et où les aides aux familles sont plus minces, pourraient enregistrer un ralentissement des naissances plus prononcé.

Personne ne connaît en revanche l’ampleur du phénomène dans la durée. « On ne sait pas pour l’heure si cette baisse du nombre de naissances en janvier est une tendance durable ou un phénomène temporaire », note Isabelle Robert-Bobée de l’Insee. Comme la crise sanitaire s’étire depuis un an, « on peut s’attendre à une année 2021 avec un faible nombre de naissances par rapport à 2020 », prévient tout de même Gilles Pison.

Mais il pourrait y avoir tôt ou tard une forme de rattrapage, selon le chercheur associé à l’INED. « Traditionnellement, une crise n’empêche pas les naissances, elle les reporte à plus tard. » La question est donc de savoir s’il y aura une hausse des naissances à la fin de l’épidémie, ou si elle décourage durablement ceux qui projetaient d’agrandir leur famille.

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