Scandaleux. Honteux. Indécent. Immérité. Injustifié. Ce sont quelques-uns des mots employés par ceux qui condamnent la hausse des salaires et indemnités des ministres et députés. Que la rémunération des puissants – économiques et politiques – du pays fasse l’objet d’une polémique n’a rien de nouveau. Après tout, le Mauricien moyen a un problème avec l’argent et la réussite affichée. Toutefois, la virulence exprimée cette fois-ci interpelle. Pourtant, toutes les critiques ne sont pas nécessairement justes. C’est ce qu’on peut constater en enlevant les œillères populistes des uns et en faisant taire la mauvaise foi politique des autres.

John F. Kennedy aimait à le répéter : « A rising tide lifts all boats. » Dans un climat économique et social favorable, la réussite devient la valeur commune d’une nation. Vue comme étant naturelle et méritée. Or, que constatent les Mauriciens depuis plusieurs mois ? Le miracle promis et attendu tarde à venir. Le gouvernement « d’action » s’embourbe dans le marasme décisionnel et les querelles intestines, au lieu de produire des résultats. Pendant ce temps, le niveau de vie général de la population stagne. Il régresse même dans certains cas.

Dans ce type de contexte, aucun argument rationnel n’est suffisant. Inutile de préciser, donc, que les salaires et allocations du Premier ministre, des ministres, députés, leader de l’opposition et de la présidence de la République sont revus après la publication de chaque rapport du PRB. Et que, donc, la revalorisation actuelle n’est qu’une formalité d’usage. Inutile aussi, de préciser qu’avec son demi-million de roupies de salaires et d’indemnités, le Premier ministre ne touche que la moitié, voire le tiers de ce que gagnent les Top CEOs du pays.

Cet argumentaire a le mérite de faire bondir les indignés. Qui en profitent pour exiger que le salaire minimum national soit également accompagné d’une rémunération maximale. Il serait illusoire de leur faire comprendre que nous vivons dans un monde caractérisé par la grande mobilité des personnes hautement qualifiées. S’il choisit l’expatriation, un Top CEO frappé d’un salaire maximal à Maurice n’aura probablement peu de mal à réclamer et recevoir un meilleur traitement en dollars, euros ou dirham, ailleurs.

Il serait également vain d’aller expliquer aux populistes qu’en déterminant le niveau de salaire maximal que devraient recevoir les uns et les autres, on s’aventure sur une pente glissante. D’autres raisonnements sous-jacents ne sont, en effet, pas très loin. Comme, pourquoi pas, une superficie maximale pour les résidences. Un prix plafond pour les voitures achetées. Une somme maximale qu’on peut avoir en banque.

Dans le brouhaha des récriminations, des questionnements légitimes se font toutefois entendre. Pourquoi sir Anerood Jugnauth, actuel Premier ministre et ancien président de la République, arrive-t-il à cumuler sa rémunération de chef du gouvernement avec sa retraite d’ancien président ? La fortune du Sun Trust n’a rien à envier à celle de Navin Ramgoolam. On peut donc estimer que ce n’est pas sa retraite de Président qui permet à SAJ de mener une vie décente. Pourquoi le Parlement, dans sa sagesse, n’établit-il donc pas une règle selon laquelle un élu n’a pas le droit de cumuler son salaire actuel avec sa retraite d’ancien député, ministre, Premier ministre ou de président ?

Là encore, certains se laissent aller à pousser le raisonnement trop loin en demandant la suppression pure et simple de la retraite des élus ou son paiement – dans l’ordre des choses – qu’après l’âge de la retraite. Sur papier, la deuxième partie de l’argumentation paraît juste. Il faut toutefois admettre que le principe d’une retraite au bout de deux mandats électifs nationaux peut servir de bouclier.

Notre histoire politique regorge, en effet, d’hommes et de femmes – non issus des professions libérales – balayés par une défaite électorale et devenus inemployables à cause de leur affiliation politique. Ministre la veille, certains se sont retrouvés à devoir liquider peu à peu leur patrimoine afin de continuer à financer les études à l’étranger de leurs enfants. Souvent en cause, des patrons lâches qui consentent à tout pour rester dans les bons cahiers des puissants du jour. Quitte à renier de vieilles amitiés, ou à volontairement renoncer à employer un ancien ministre ou député à la compétence pourtant avérée.

N’en déplaise donc au plus grand nombre, le paiement d’une retraite aux députés et ministres peut s’avérer utile. Tant qu’elle est reversée à ceux qui le méritent et non à ceux qui l’utilisent comme revenu d’appoint servant à régler les mensualités d’un troisième appartement acheté ou de la grosse cylindrée offerte à son rejeton.

Reste donc l’autre argumentaire rationnel : qu’importe la rémunération des élus, pourvu que l’écart entre leur revenu et le salaire moyen des fonctionnaires et employés du secteur privé se résorbe. L’équation est facile à énoncer mais difficile à résoudre. Il est en effet plus facile – et moins coûteux – d’accorder de gros salaires à quelques-uns plutôt que de gonfler sensiblement le revenu moyen d’un grand nombre de personnes.

Nous ne sommes cependant pas devant l’impossible. Les salaires du privé et du public peuvent substantiellement augmenter. Pour cela, il faudra des gains de productivité importants, des investissements massifs dans le pays, un climat des affaires redevenu dynamique, une forte création d’emploi, un Etat désendetté avec des revenus en hausse constante. Puis, une croissance économique forte. C’est cette seule conjoncture qui permettra au salaire moyen de croître plus vite que celui des plus hautes rémunérations.

Ce climat, s’il dépend dans une certaine mesure de la conjoncture internationale, est toutefois largement tributaire de l’action du gouvernement. Or, à deux semaines du Budget, et avec une performance économique plus que moyenne jusqu’ici, les responsables du gouvernement ne donnent toujours pas l’impression de mériter leurs salaires…

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