Malmenée par les politiques de tous bords. Désavouée, parfois, par la justice. Luttant contre les perceptions bien plus puissantes que la réalité. La Commission anticorruption ne mène pas seulement un combat contre le crime en col blanc. Elle se bat aussi pour mériter le respect. Navin Beekarry, le nouveau directeur général de l’Independent Commission against Corruption (ICAC) fera sienne cette quête dans quelques jours. Avant d’arriver à destination, l’homme devra relever une demi-douzaine de défis.

Stabilité. Comment ne pas considérer celle-ci comme une priorité ? Depuis sa création en 2002, l’ICAC n’a jamais connu autant de remous à sa tête. En 15 mois, deux directeurs généraux et un intérimaire s’y sont succédé. Installé pour 5 ans, le nouveau patron a la double tâche d’apporter stabilité et sérénité au sein d’une institution qu’il a été forcé de quitter en 2005. La précision est importante car ceux qui reviennent après avoir été limogés ont souvent, malgré eux, un besoin de rétablir le respect ou la réputation perdus. Parfois en tentant de reproduire les pratiques du passé. Ce pari serait risqué. Car l’ICAC a changé.

Adaptation. Expatrié aux Etats Unis, Navin Beekarry est resté en contact avec le pays. Il y est régulièrement revenu et a pris le temps d’échanger avec des personnes en dehors de son cercle afin de mieux saisir ce qui s’y trame. S’il n’est pas étranger au système, il n’a toutefois pas baigné dans le quotidien institutionnel et politique du pays depuis plus de 10 ans.

Certes, il peut s’enorgueillir d’avoir dirigé l’ICAC à ses débuts. Mais l’homme doit, dans la foulée, reconnaître que la commission de 2016 n’est plus celle de 2005. Le conseil d’administration est différent – avec des membres qui n’y sont plus à plein temps. Le staff de l’ICAC a augmenté et son champ de compétences s’est densifié. La justice a tranché des dizaines de dossiers d’infractions à la Prevention of Corruption Act (POCA). Intelligent, Navin Beekarry doit déjà s’être rendu compte qu’il lui faudra s’adapter et apprendre.

Intégrité. Le nouveau patron de l’ICAC aura probablement une chose ou deux à apprendre de son prédécesseur Luchmyparsad Aujayeb. Mais aussi de Kaushik Goburdhun, qui assure l’intérim jusqu’à l’arrivée de Beekarry. En pleine affaire Sun Tan, l’ancien directeur général de la commission a fait preuve d’un étonnant sang-froid. Ignorant royalement l’agenda politique de certains excités au gouvernement. Ce qui lui a valu l’inimitié de ceux qui croyaient le manipuler sans peine. Inspiré par la manière de faire d’Aujayeb, Kaushik Goburdhun s’est également efforcé de faire ce que lui a dicté sa conscience et les règles de procédure, tout en composant avec les pressions politiques. Mettant à mal les plans de protection des uns et les agendas de démolition des autres. Beekarry doit désormais démontrer qu’il est meilleur funambule que ses prédécesseurs. Il y va de son intégrité.

Indépendance. S’il y a bien une manière de faire cela, c’est en démontrant sa liberté par rapport à celui qui l’a nommé au poste. Cela se sait : Navin Beekarry est apprécié de sir Anerood Jugnauth (SAJ). C’est ce qui explique pourquoi les liens entre les deux hommes sont restés forts même quand l’actuel Premier ministre s’est retiré au Réduit, fin 2003. C’est ce qui explique aussi pourquoi SAJ a songé, dès décembre, à rappeler Beekarry. Une fois qu’il a compris que le départ d’Aujayeb de l’ICAC était quasi acté. Si le nouveau patron de l’ICAC bénéficie de la confiance de SAJ, il ne lui doit cependant pas une quelconque allégeance en retour. Ni à lui ni à aucun autre membre du gouvernement.

Paix. S’il y a bien une personne au gouvernement qui n’espère aucune sorte d’allégeance de Beekarry, c’est bien Roshi Bhadain. Ancien directeur de la Corruption Investigation Division de l’ICAC, le ministre de la Bonne gouvernance a entretenu une relation exécrable avec son ancien patron. Interrogé par ION News, samedi, Bhadain affirme avoir oublié le passé et n’avoir «aucune animosité» à l’égard de Beekarry.

Si « forget and forgive » est le nouveau mantra de ce ministre, cela ne semble définitivement pas être le cas de Paul Bérenger. Qui ricane déjà à l’idée de rappeler ce qu’il considère être les turpitudes passées de Beekarry. Au gouvernement et en dehors de celui-ci, Beekarry pourrait avoir maille à partir avec de puissants détracteurs. Qui ne se priveront pas d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour le mettre à mal. Le directeur général de l’ICAC sera donc aussi jugé sur sa capacité à installer la paix autour de lui en faisant table rase d’un passé tumultueux.

Ambition. L’enjeu, c’est l’avenir. Et Navin Beekarry a définitivement de l’ambition en contemplant ce qui l’attend. L’homme peut se le permettre. Il est un expert international dans les délits financiers. Cette expertise pourrait demain lui être utile pour accéder à l’échelon supérieur de la Financial Crime Commission (FCC) actuellement en gestation. Aujourd’hui, toutefois, cette ambition doit être exclusivement mise au service du combat contre la corruption.

Les deux directeurs généraux de l’ICAC ayant précédé Beekarry ont tous deux suggéré des amendements à la POCA. Le nouveau directeur sera, lui, en présence d’une décision du Privy Council d’ici un an à 15 mois interprétant clairement la question du conflit d’intérêts. Si la FCC n’est pas déjà une réalité d’ici là, Navin Beekarry aura alors renoué avec l’institution pendant suffisamment de temps pour suggérer un toilettage de la POCA susceptible de consolider l’ICAC. Affichant ainsi une ambition renouvelée sur ses actions.

Si on ne lutte pas contre la corruption en 2016 comme on le faisait en 2005, les principes du combat demeurent les mêmes. Les principes qui doivent animer celui chargé de mener le combat n’ont pas, non plus, changé. Désormais, c’est à Navin Beekarry d’en faire la démonstration. Car il a une classe de puissants à mater et une population défiante à convaincre.

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