On dit que la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit. Je pensais qu’il en allait de même pour les coups de foudre. Que l’éclair d’un amour soudain porté à un corps, un être, se consume dans ce corps ou cet être jusqu’à l’extinction. Après, plus de feu possible.

Je me disais que ça s’appliquait au Prix du Jeune écrivain (PJE). Lauréat en 2014, j’avais eu l’absolu bonheur de côtoyer des gens d’exception, des jeunes comme moi avec qui j’ai tissé des liens tellement forts que je les pensais impossibles à reproduire. J’avais tort.

I

Arrivée à Paris, le 19 mars. Le froid me fait claquer les dents, je meurs de fatigue après un long et inconfortable vol. Je prends un taxi jusqu’à l’auberge, quelques lauréats déjà sont là. Les présentations se font (Diane de Rennes, Alex du Québec, Nafissatou du Burkina Faso), on déjeune dans un petit restaurant pas loin avec Laura, notre jeune accompagnatrice, Guy le photographe et Régine, sa femme. Sur le chemin du retour, on croise Anne-Sophie (de Belgique) et nous prenons le métro pour le Salon du livre.

Porte de Versailles. Les autres lauréats arrivent, je fais la connaissance de Guillaume (de Clermont-Ferrand), Julia (de Paris), Malou (de Montpellier), Hadia (de Puteaux), Thomas (de Cahors), Joy (du Liban), Florie (du Truel), de Camille et Céline (de Suisse). Retrouvailles émues avec Ananda Devi également, celle qui m’a appris l’existence du concours il y a cinq ans déjà.

Retrouvailles émues avec Ananda Devi qui, de l’aveu d’Aqiil Gopee, a influencé son écriture. L’auteure est aussi membre du jury du Prix du Jeune écrivain. (Photo : Guy Bernot)

Retrouvailles émues avec Ananda Devi qui, de l’aveu d’Aqiil Gopee, a influencé son écriture. L’auteure est aussi membre du jury du Prix du Jeune écrivain. (Photo : Guy Bernot)

Après un débat sur « ce que nous disent les jeunes écrivains » au stand de l’Institut français, nous nous rendons au stand de Buchet Chastel où Alain Absire, le président du jury, proclame le palmarès. Nous découvrons notre collectif, La vie est une chose minuscule et autres nouvelles.

Suivent un cocktail et une séance de signatures ; certains d’entre nous font leurs premières dédicaces. Des parents fiers immortalisent le moment. Un homme d’un certain âge passe, voit le titre du livre et nous défigure : « Qu’ils sont morbides, les jeunes d’aujourd’hui. »

Nous quittons le salon pour aller dîner. Des bouteilles de champagne se vident, la fatigue me consume mais je tiens bon. Je suis assis à côté de Joy et de Hadia. Nous parlons d’écriture, de spiritualité, d’amour. Ça réchauffe.

Reproduction à taille humaine de la couverture de la collection de nouvelles primées, cette année, et signée par les différents contributeurs. (Photo : Guy Bernot)

Reproduction à taille humaine de la couverture de la collection de nouvelles primées, cette année, et signée par les différents contributeurs. (Photo : Guy Bernot)

 II

Une matinée libre qui se déploie jusqu’à un après-midi pâle ; nous nous rendons à la monumentale Comédie française pour voir Cyrano de Bergerac de Rostand. Un décor époustouflant, une performance intense.

Après le spectacle, rencontre avec Françoise Gillard et Christian Gonon – sociétaires qui liront des extraits de nos textes à Muret – dans les coulisses de la Comédie. Ils nous racontent le fonctionnement de la Comédie, nous font part de leur bonheur d’avoir découvert nos écrits. Dehors, nous prenons des poses folles devant la caméra de Guy.

Le lendemain, rendez-vous avec notre éditrice, Pascale Gautier, dans les locaux de Buchet Chastel. Elle nous raconte les mécanismes de l’édition et nous encourage à lui envoyer nos prochains manuscrits.

La nuit tombée, nous nous hâtons jusqu’au boulevard de Vaugirard pour assister à Vénus et ses amis poètes, une lecture scénarisée des lettres échangées par la membre du jury Vénus Khoury-Ghata avec d’autres écrivains à travers les années. Des thèmes durs abordés dans une poésie trouble, parfois drôle, parfois bouleversante. Vénus commence certaines lettres avec ‘Chair x’ et les finit avec ‘je t’embrase’, que je trouve beau.

III

On libère tôt l’auberge pour se rendre à Orly. Nafissatou est malade, elle a peur de l’avion qu’elle n’a pas l’habitude de prendre. On la rassure du mieux qu’on peut.

Arrivée à Toulouse et départ en voiture jusqu’à Muret. Certains d’entre nous sont logés chez des bénévoles ou dans des hôtels mais la majorité se retrouve dans l’appartement de la Théâtrerie où nous germe l’idée d’une fête impromptue. Nous filons à Carrefour.

Après le dîner commence la fête, qui n’a en fait pas grand chose d’une fête. Réunis dans le salon, nous débattons sur le féminisme et la légitimité du terme ‘francophonie’ en vidant des cannettes. Arrivé trois heures du matin, on se fait des massages et des confessions.

IV

Matinée libre. Je me rends à Toulouse avec Malou, Camille, Florie, Nafissatou et Thomas. Le temps est bon, les structures magnifiques. Nous passons le plus clair de notre temps dans un marché de vieux livres, ensuite nous déjeunons dans une crêperie. Apprenant que nous sommes attendus à Muret, nous nous pressons de rentrer.

Séance photos pour les 14 lauréats du Prix jeune écrivain avec le photographe Guy Bernot. (Photo : Guy Bernot)

Séance photos pour les 14 lauréats du Prix jeune écrivain avec le photographe Guy Bernot. (Photo : Guy Bernot)

Le grand jardin du restaurant Moulin de Rudelle. Après une séance photo avec Guy, nous participons à une rencontre avec les membres du jury qui nous sont « livrés ». Nous leur faisons part de nos curiosités, doutes et questionnements par rapport à l’écriture. Ils répondent comme ils peuvent.

Nous avons ensuite droit à un repas de gala. Camille prend des photos de nous avec son appareil photo et Julia nous apprend une astuce pour avoir l’air « sexy » sur les photos : entrouvrir les lèvres, plisser les yeux et ne surtout pas sourire.

V

Nous nous rendons de bonne heure au lycée Pierre d’Aragon où des lycéens et collégiens ayant lu et étudié nos textes nous attendent. Nous sommes assis sur une estrade, les questions pleuvent. Nous répondons comme nous pouvons. La séance se clôt avec l’annonce du Prix du Jeune lecteur qui est décerné à Hadia pour sa nouvelle ‘À tes souhaits’. Après, moment moins formel avec les lycéens qui nous font signer des feuilles vierges (« pour quand vous serez célèbres ») et nous font poser pour des selfies.

Les lauréats 2016 ont discuté avec des jeunes du lycée Pierre d’Aragon de leurs textes.

Les lauréats 2016 ont discuté avec des jeunes du lycée Pierre d’Aragon de leurs textes.

Nous déjeunons avant de nous rendre à l’hôtel de région de Toulouse. Débat avec les écrivains du jury sur ‘Pourquoi écrire ?’ Les réponses varient : pour certains, l’écriture est un engagement, pour d’autres, une quête.

Retour à la Théâtrerie. On finit d’écrire nos discours.On se rend à pied au théâtre pour la cérémonie de la remise des prix. Après une introduction de Marc Sebbah, le président-fondateur du prix, les comédiens et deux musiciens s’approprient la scène. De curieux objets voilés y sont éparpillés et se révèlent à mesure que sont lues les nouvelles : une robe parsemée de cœurs, un cristal lumineux et des peintures, entre autres. C’est un grand moment. Nos mots initialement écrits dans le silence prennent vie dans la bouche des comédiens, s’agitent comme des monstres fantastiques par une nuit d’orage. Après la lecture de chaque deux textes, les lauréats respectifs montent sur scène avec leurs parrains/marraines du jury, parlent d’eux, de leurs motivations, de leurs espérances. Nafissatou se voit déjà à Beverly Hills, d’autres cherchent d’abord à terminer leur premier roman.

Les nouvelles des 14 lauréats prennent vie sur scène grâce aux sociétaires de la Comédie française, Christophe Gonon (photo) et Françoise Gillard. (Photo : Guy Bernot)

Les nouvelles des 14 lauréats prennent vie sur scène grâce aux sociétaires de la Comédie française, Christophe Gonon (photo) et Françoise Gillard. (Photo : Guy Bernot)

Après la remise des prix, cocktail et dédicaces. Nous allumons le gros gâteau – un livre en chocolat – du PJE, signons le grand livre et posons pour les photos.

Vient très vite le moment pour certains de rentrer. Les adieux sont durs, les mots se perdent dans la gorge. On se promet de s’écrire. Un groupe Facebook a déjà été créé. Des yeux mouillés se vident.

Les femmes membres du jury se sont accordées pour assister à la soirée de remise des prix. (Photo : Guy Bernot)

Les femmes membres du jury se sont accordées pour assister à la soirée de remise des prix. (Photo : Guy Bernot)

VI

Retour à la Théâtrerie aux petites heures du matin. Je tente de ranger mes vêtements éparpillés dans ma valise et d’y enfoncer le plus de livres possible. Mon vol, prévu plus tôt que celui des autres, est dans quelques heures seulement ; mon sommeil sera court. Je dis déjà au revoir aux lauréats restants pour ne pas avoir à les réveiller en partant.

Vers 6h30, Julia me réveille. Un taxi nous attend.

*

L’aéroport me rend triste. Des visages passent, je cherche vainement les traits de mes amis faits en une semaine. Les accents d’Alex et de Nafissatou résonnent encore dans ma tête, je pense à Anne-Sophie avec qui, réalisant que certains lauréats n’avaient pas de famille le jour de la remise des prix, j’en ai fondé une (Anne-Sophie la nièce, l’oncle Aqiil, la tante Camille, le cousin Thomas, les jumeaux Alex et Nafi, Malou la grand-mère et Guillaume le lévrier), aux longs câlins de Joy, à la lecture improvisée de ma nouvelle par Diane dans la chambre des filles à l’auberge, aux conversations avec Florie, Hadia, Céline. J’ai Julia avec moi mais nous nous quitterons bientôt, aussi.

Dans l’avion, j’ai la place du hublot, mon regard se perd dans un flot de nuages, je pense à la foudre endormie dans leurs ventres.

Photos : Guy Bernot

Les lauréats de la 31e édition du Prix du jeune écrivain. (Photo : Guy Bernot)

Les lauréats de la 31e édition du Prix du jeune écrivain de langue française. (Photo : Guy Bernot)

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