L’opposition ne se prive pas d’utiliser la «honte» de Vishnu Lutchmeenaraidoo contre le gouvernement. Dépêché au front pour tenter de minimiser la bourde de l’ancien ministre des Finances de Sir Anerood Jugnauth (SAJ), Zouberr Joomaye ne fait pas grand cas de la «saute d’humeur» de l’actuel ministre des Affaires étrangères. Tandis que Ravi Rutnah relève, sur Radio Plus, que Lutchmeenaraidoo a jadis été un grand économiste afin de mieux insinuer que celui-ci est désormais dépassé. Toutefois, l’ancien ministre des Finances n’a pas à avoir honte seul. Il doit la partager avec tout le gouvernement.

On a un peu trop facilement tendance à occulter la place prépondérante que Lutchmeenaraidoo a occupé lors de la campagne électorale de 2014. Dans un numéro de nostalgie savamment orchestré autour du tandem SAJ/Lutchmeenaraidoo, la défunte alliance MSM/PMSD/ML avait promis à la population un deuxième miracle économique. Assurant qu’il allait placer le pays sur une trajectoire de croissance de 5%, le premier budget du ministre des Finances d’alors a toutefois été cannibalisé par le démantèlement irréfléchi du groupe BAI.

Tentant de reprendre la main, SAJ, alors Premier ministre, a aussi sombré dans un numéro de prestidigitation économique avec sa Vision 2030 et sa risible promesse d’un second miracle économique. A coup de 100 000 créations d’emplois annoncées pour jusqu’en 2019, ou encore un PIB par habitant de 25 384 dollars en 2030 produits grâce à Rs 185 milliards d’investissements privés répartis dans 11 secteurs d’activités.

SAJ l’a rêvé, Pravind Jugnauth ne l’a pas fait. Pour cause, à peine de retour au ministère des Finances et pas encore Premier ministre, le leader du MSM a privilégié une approche moins ronflante. Notamment en tablant sur 4,1% de croissance lors de son discours du budget en 2016. Encore raté. Car l’économie n’a grandi «que» de 3,6% en 2016, puis de 3,8% en 2017 et 2018. Même si son ambition était plus modeste, Pravind Jugnauth n’a pas non plus produit les résultats qu’il souhaitait.

Ce n’est pas pour cela qu’il n’y a pas eu de miracle. En fait, il y en a bien eu un. En effet, des capitaines d’industrie, observateurs économiques et analystes s’accordent à dire qu’une économie de marché comme celle de Maurice produit malgré tout de la croissance même dans un contexte où le gouvernement ne consent ni à des mesures incitatives ni à de nouvelles politiques économiques pour faire croître l’économie nationale. Ainsi, dépendant de si on se place dans le camp des précautionneux ou des optimistes, on estime que d’elle-même, l’économie locale grandit entre 3% et 3,5% l’an ceteris paribus et sans perturbations conjoncturelles venues de l’étranger.

Cette hypothèse tend à illustrer à quel point les deux derniers gouvernements ayant dirigé le pays ont, au final, un bilan économique anémique. En effet, entre 2011 et 2014, alors que Navin Ramgoolam était Premier ministre, la croissance économique n’a atteint qu’une moyenne faiblarde de 3,45%. Si Pravind Jugnauth réussit à faire grandir l’économie de 4,1% en 2019, la moyenne de croissance du PIB depuis les dernières législatives sera d’environ 3,68%. Soit très loin du «miracle» annoncé à maintes reprises entre fin 2014 et fin 2015.

Ceci dit, l’histoire politique et économique du pays nous apprend assez ironiquement que les électeurs n’ont que peu faire des statistiques de croissance. En effet, entre 1996 et 2000, Navin Ramgoolam a réalisé une meilleure croissance annuelle moyenne  (5,84%) que n’importe quel autre gouvernement depuis 1982. Cela ne l’a toutefois pas empêché de se prendre une raclée électorale en septembre 2000.

Pravind Jugnauth doit avoir pleinement mesuré cela à trois mois de son discours du budget­­ ─ le dernier de ce mandat. S’il devra être inventif pour accélérer la croissance, c’est sans doute en matière d’annonces sociales et autour des questions de pouvoir d’achat que le chef du gouvernement cherchera à marquer des points lors de son discours. Ce sont ces mesures que les Mauriciens retiendront en se rendant dans l’isoloir. Et non les chiffres du dernier bulletin de Statistics Mauritius ou de la Banque de Maurice. Depuis assez longtemps, ils n’éprouvent aucune honte à voter selon des considérations personnelles et non par rapport à la performance économique globale d’un gouvernement.

 

 

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