Une ferme d’aquaculture de 52 000 mètres carrés, capable de produire près de 3 000 tonnes de poulpes par an, soit un million de spécimens de 3 kg en moyenne, devrait entrer en fonctionnement aux îles Canaries.
Derrière un épais rideau noir, onze poulpes reproducteurs mâles éclairés par une barre de néons de faible intensité nagent dans un vaste bassin de 25 mètres carrés. Entourés de conduits garantissant les bonnes conditions de température et de qualité de l’eau, les uns s’approchent du bord en « marchant » sur leurs longs tentacules gris, à la rencontre des visiteurs, tandis que d’autres s’enlacent de leurs bras sur le fond noir de la cuve.

C’est ici, au sous-sol du Centre de recherche biomarin de l’entreprise espagnole Nueva Pescanova, située à O Grove, au bord de la ria d’Arousa, le plus grand estuaire de Galice, dans le nord-ouest de l’Espagne, que sont menées depuis 2018 les expériences qui doivent aboutir à l’ouverture de la première ferme d’élevage commercial de poulpes au monde. « Cela fait des dizaines d’années que les scientifiques tentent de compléter le cycle de vie du poulpe. Ni le Japon ni la Corée n’y sont parvenus. En ce qui nous concerne, nous sommes prêts, se félicite Roberto Romero, le directeur aquaculture de Nueva Pescanova pour l’Espagne. Le poulpe est devenu une des espèces les plus demandées, en particulier depuis que les Etats-Unis se sont mis à le consommer. Il s’agit d’un super aliment, riche en protéines et faible en graisse, sa valeur sur le marché est élevée et sa croissance suffisamment rapide pour que les perspectives de rentabilité soient bonnes. »

Dans le bassin adjacent à celui des mâles, séparées par un mur, cinq femelles reproductrices virevoltent autour des tuyaux en PVC qui font office de refuges, où elles s’apprêtent à pondre leurs cordons chargés en moyenne de 200 000 à 300 000 œufs microscopiques. Si tout se passe selon les plans de l’entreprise, en 2023, une ferme d’aquaculture de 52 000 mètres carrés, capable de produire près de 3 000 tonnes de poulpes par an, soit un million de spécimens de 3 kg en moyenne, devrait entrer en fonctionnement à 2 000 kilomètres plus au sud, dans le port de Las Palmas, à Gran Canaria, aux îles Canaries.

Densité confidentielle
Pour les défenseurs des animaux et de l’environnement, cependant, ce projet est un « non-sens écologique ». Portés par la répercussion du documentaire oscarisé La Sagesse de la pieuvre, qui a révélé au grand public l’intelligence fascinante de cet animal aux trois cœurs et au réseau neuronal décentralisé, ils se sont mobilisés ces derniers mois pour en dénoncer la « cruauté ».

« Le poulpe est un animal sauvage, solitaire et territorial. Les études réalisées jusqu’à présent montrent qu’il développe un comportement agressif en groupe, allant jusqu’au cannibalisme. C’est aussi un animal très curieux et intelligent : le seul mollusque capable de se servir d’outils, comme les coquillages qu’il utilise pour se cacher et se protéger. Et, comme il est dépourvu de coquille, il est très fragile et peut se blesser facilement, explique Elena Lara, docteure en biologie à l’université autonome de Barcelone, porte-parole de l’ONG Compassion in World Farming en Espagne et membre de l’Aquatic Animal Alliance (Alliance des animaux aquatiques, AAA), une coalition de plus de 110 ONG et de scientifiques du monde entier mobilisée contre le projet. Nous sommes très inquiets du bien-être de cet animal dans les conditions de captivité et de forte densité d’une ferme intensive, construite dans l’intérêt culinaire de quelques-uns. »

Source : Le Monde

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