Mariage d’amour ou de raison ? Tout dépendra du versant de la montagne sur lequel vous êtes debout. Navin Ramgoolam l’a assuré dans un entretien exclusif à ION News, hier, que la confiance a été rétablie entre Paul Bérenger et lui. Si une certaine méfiance s’était installée entre les deux hommes, c’est parce que Navin Ramgoolam, fidèle à son style, ne montrait aucun signe d’empressement pour tout finaliser. Alors que son partenaire Paul Bérenger, sur qui pesait tout le poids des critiques de l’opinion – pour avoir cautionné la prorogation de l’Assemblée nationale afin de « koz koze » – semblait, lui, vouloir danser plus vite que la musique, oubliant même parfois que c’est Navin Ramgoolam qui détenait, au final, les précieux sésames afin de dicter tout le calendrier politique.
Paul Bérenger se souvient certainement encore de ce faux bond de 2010 – quand les pro-PTr-MMM œuvraient dans l’ombre pour ce rapprochement, ses rencontres au sommet entre les deux hommes, fuitées dans la presse – et qui, au final, n’aboutira à rien. Navin Ramgoolam s’était laissé séduire par un président en exercice qui, pour sauver son fauteuil, proposait un raccommodage avec le parti que dirigeait son fils. Sir Anerood Jugnauth avait lui-même avoué par la suite qu’il avait négociait cette alliance bleu-blanc-rouge avec Ramgoolam. Et celle-ci devait battre à plate couture l’alliance du cœur.
En véritable chat échaudé, Paul Bérenger a marché sur des œufs depuis mars dernier. Six mois de tractations. Le pays a été témoin des valses des deux leaders. Les ententes et mésententes ont été légion… Le commutateur a carrément disjoncté avec les « On-Off ». Si Navin Ramgoolam a dû faire face à la fronde au sein de son parti – avec les réfractaires au retour de Kailash Purryag, les anti-Boolell, qui ne voulaient pas de l’homme de Rose-Belle comme chef de file, les associations socioculturelles qui décidaient de la répartition des tickets à la place du leader Rouge –, il est un fait que Paul Bérenger a eu beaucoup plus de pressions.
Lui qui avait demandé, en quelques mois, à ces instances de voter en faveur du Remake 2000, puis de l’anéantir, a dû affronter la résistance de sa base. Cet après-midi à Ambrose, il ne va jamais l’oublier, quand des militants et certains « envoyés » du MSM exigeaient de lui qu’il reprenne les discussions avec le MSM. La scène était des plus irréalistes, Paul Bérenger quittant son bureau politique, hué par la petite foule massée devant la salle de réunion des mauves.
Cette alliance PTr-MMM, le leader mauve y a cru depuis le début. Tout comme il a plus d’une fois douté de la sincérité de Navin Ramgoolam qui, plus d’une fois, est revenu sur des points importants qui, selon Paul Bérenger, étaient déjà réglés. Cet accord écrit, beaucoup plus, un engagement moral des deux hommes, est venu rassurer les sceptiques chez les mauves, mais réveiller le volcan endormi chez les rouges. Certains, à l’instar d’Hervé Aimée et de Vasant Bunwaree, ont dit tout haut leur opposition. Ils essayent d’ailleurs de rallier à leur cause ceux qui ne sont pas en odeur de sainteté et qui devront abandonner tout espoir d’une nouvelle investiture.
Navin Ramgoolam devra convaincre son politburo et son comité exécutif vendredi. Ce qui ne serait pas une partie de plaisir car depuis lundi soir, la résistance s’organise. Mais le leader des rouges gardera certainement le suspense sur les têtes qu’il va guillotiner pour éviter une hécatombe dans ses rangs. On connaît la rhétorique. C’est un travail dans l’intérêt du pays, et non pour deux hommes. Navin Ramgoolam convaincra ses lieutenants que c’est une alliance qui va travailler « très bien », même s’il y aura des divergences de vues. Aux St Thomas de sa troupe, il dit déjà que « nos différences de style sont finalement complémentaires ».
Paul Bérenger au poste de Premier ministre, et dirigeant le conseil des ministres, représente des vendredis stressants pour certains car ils connaissent la rigueur et le souci du travail bien fait de l’homme. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles Navin Ramgoolam a souhaité cette alliance. C’est pour mettre de l’ordre car il a plus d’une fois avoué à son entourage qu’il n’est pas satisfait de la performance de certains de ses ministres. Dans le prochain gouvernement, les élèves devront bien faire leur homework, au risque de se voir taper sur les doigts.
Le cap est franchi. Dans l’histoire politique de Maurice, c’est l’une des rares fois où un gouvernement en place s’allie avec l’opposition en exercice afin de former la nouvelle alliance politique qui briguera les prochains suffrages. « Tout ce qui est légal n’est pas forcément moral », insistent les opposants à l’alliance rouge-mauve, qualifiée d’alliance pour le rassemblement des Mauriciens par Navin Ramgoolam.
Les Mauriciens, aussi sceptiques soient-ils, ont quand même leur wish list, ô combien compréhensible. Améliorer le pouvoir d’achat, résorber le chômage, une lutte acharnée contre la précarité, un salaire décent pour ceux au bas de l’échelle, combattre la fraude et la corruption, restaurer la confiance dans les institutions et l’égalité des chances. C’est, en quelques mots, ce qu’attend le peuple.
Navin Ramgoolam et Paul Bérenger sont conscients que leur adversaire le plus coriace ne sera sans doute pas le MSM, mais la colère d’une population qui n’a que trop serré la ceinture. La prochaine échéance électorale ne devrait pas tarder si les instances rouges/mauves plébiscitent cette union en fin de semaine. Les deux hommes pourront ainsi donner un coup de pied à l’accélérateur de la campagne électorale. Deux leaders, deux styles, deux parcours, pour une IIe République.