Après sa première audition en septembre dernier, Akilesh Deerpalsing est de retour devant la commission d’enquête sur Britam. Bhushan Domah lui demande s’il a participé à des réunions durant lesquelles la vente des actions de Britam Kenya a été discutée. L’ancien conseiller de Roshi Bhadain et membre du conseil d’administration de la Financial Services Commission explique avoir participé à des réunions où on discutait du dossier BAI en général. Forcément, explique-t-il, le dossier Britam faisait partie des sujets de discussion. Mais Deerpalsing affirme que c’était avant tout des réunions d’information et non de décision.

Le président de la commission d’enquête bifurque rapidement sur un document remis par Afsar Ebrahim, partner chez BDO, lors de son audition il y a deux jours. L’ancien juge s’étonne du fait que le témoin a remis le même document à la commission en septembre dernier et lui demande où il l’a obtenu. Deerpalsing explique que lors de l’audition du Permanent Secretary du ministère des finances en août 2017, Vidianand Lutchmeeparsad avait fait référence à une réunion de négociations tenue au Kenya.

«Choqué» par cette rencontre, dont il dit ne pas avoir eu connaissance, le témoin explique avoir pris contact avec BDO. En l’absence de Yacoob Ramtoolah, ancien administrateur spécial de BAI, Deerpalsing dit avoir sollicité Ebrahim. Afin de comprendre qui avait demandé à ce haut fonctionnaire de se rendre à Nairobi.

Domah le coupe, expliquant que durant sa longue carrière, il a développé un certain flair quand un témoin commence à se perdre dans des détails de ce type. «You know they are making up a story», assène-t-il. «With all due respect», le témoin affirme, maintient avoir voulu comprendre ce qui s’était passé.

Le président de la commission cherche à nouveau une confirmation. Deerpalsing a-t-il demandé le document ? Celui-ci confirme avoir parlé à Afsar Ebrahim. Il précise que celui-ci lui a affirmé qu’il n’avait pas été demandé à Lutchmeeparsad de se rendre au Kenya.

Sattar Hajee Abdoula est dubitatif. Il demande au témoin en quelle capacité il a demandé à BDO des documents sur l’affaire BAI. «In no capacity», reconnaît Deerpalsing en expliquant avoir surtout voulu préparer son audition de septembre dernier. L’assesseur de la commission d’enquête ne lâche pas. «It makes no sense», accuse Hajee Abdoula que le témoin appelle d’autres témoins pour réclamer des documents. Il ironise : dans ce cas, Deerpalsing aurait dû appeler tous les témoins, pourquoi seulement BDO ?

Bhushan Domah veut comprendre la nature de la relation entre le témoin et BDO. Il n’y en a pas, se défend le proche de Roshi Bhadain. «Alors pourquoi leur demander des documents ?» questionne à nouveau le président de la commission. Deerpalsing recommence son explication. Il dit avoir lu des compte-rendus «factually wrong» dans la presse et a souhaité remettre les choses en contexte à l’aide de ce document.

L’explication ne convainc toujours pas Hajee Abdoula qui estime que, lors de sa précédente audition, le témoin aurait tout simplement pu dire qu’il n’était pas au courant de la réunion tenue au Kenya. «I did say that», proteste Deerpalsing.

L’assesseur de la commission confronte le témoin aux propos d’Ebrahim. Qui, selon Hajee Abdoula, avait dit ne pas avoir remis le document à quiconque. «You are here to assist us with what you know and not with what you didn’t know», réprimande l’assesseur. Deerpalsing accuse le coup.

«You could have allowed BDO to do that», suggère Domah. Face à cette réflexion, Deerpalsing tente à nouveau de s’expliquer. «You’ve repeated that enough!» coupe l’ancien juge. L’autre assesseur de la commission s’en mêle. «Is this good practice?» s’interroge Imrith Ramtohul sur le fait qu’un comptable recherche des documents auprès d’un cabinet conseil. Pour la énième fois, Deerpalsing tente d’expliquer qu’il cherchait à préparer son audition. «It is not your duty», tance Domah. Hajee Abdoula prend le relais, estimant qu’il est «triste» de constater ce genre de comportement. «This is my comment, I’m not asking you for your opinion», ironise-t-il face à Deerpalsing.

L’ancien juge cache mal son exaspération. «You are taking us around and around and around.» Le témoin essaie une nouvelle fois de donner sa version, une copie d’une lettre émanant de l’Etat kenyan a été déposée. «It is not your duty», coupe à nouveau Hajee Abdoula qui lui rappelle que les membres de la commission prennent la peine de lire «thoroughly» les documents déposés. Deerpalsing persiste : cette lettre démontre l’existence de «fraudulent activities» qu’il entend dénoncer au Central Criminal Investigation Department. Le président de la commission d’enquête s’en prend à nouveau au témoin. «Don’t feel cornered in any way. You must analyse the consequences of your acts. This is my kind advice», lance-t-il à Deerpalsing avant de mettre fin à son audition.

Tout comme l’ancien proche collaborateur de Roshi Bhadain, Vidianand Lutchmeeparsad est de nouveau convoqué devant la commission d’enquête, ce 26 avril. Bhushan Domah explique que des éléments «very intriguing» sont apparus devant la commission par rapport à la réunion du 11 novembre 2015 tenue au Kenya. Le président de la commission demande au témoin s’il peut produire le document qu’il avait évoqué lors de son audition d’août 2017.

Le document a été laissé dans un hôtel à Nairobi, explique Lutchmeeparsad. Domah le recadre : la commission cherche une réponse claire. Est-il en mesure de déposer le document ? Non, s’excuse le témoin avant de proposer un «extract» du document à la commission. Le président s’intéresse à ce qui s’est passé après la réunion, y a-t-il eu une rencontre entre amis après ? Oui, confirme le témoin. Le Mauricien Kris Lutchmeenarraidoo était présent ainsi qu’un cadre de BDO Kenya.

Lutchmeeparsad précise également que l’ambiance était à la fête car la négociation avait été couronnée de succès. «What success?» demande Domah. Le témoin explique que la partie kenyane avait accepté de payer le même prix d’achat pour les actions de Britam que les Sud-africains. Le PS d’alors du ministère des Finances explique également que les documents de ce jour-là ont été remis à son ministère et au Financial Secretary Dev Manraj.

C’est désormais au tour du président du conseil d’administration du National Property Fund Ltd (NPFL) d’être interrogé. Gautum Saddul explique comment l’agenda des réunions du conseil d’administration du NPFL était arrêté. Le témoin explique à un moment que le CEO ou le président du conseil d’administration décidait de ce qui allait être à l’agenda du board. Ce n’est pas le rôle du CEO, recadre Domah. Devant les explications parfois confuses du témoin, le président de la commission d’enquête s’emporte. Déplorant que pour beaucoup de personnes, les réunions de conseils d’administration ne sont que des «latab bazar» où on se réunit pour la forme.

Domah veut comprendre pourquoi il était urgent d’entériner la vente des actions de Britam. Parce que le gouvernement l’avait approuvé, explique le témoin. «Mais qui vous l’a dit ?» reprend l’ancien juge. Saddul explique que c’est le «parent ministry», alors dirigé par Roshi Bhadain, qui avait transmis l’information.

Hajee Abdoula prend le relais. Qui était donc l’actionnaire principal de Britam ? «The ministry of Financial services», tâtonne Saddul. L’assesseur cache mal son agacement. Domah cherche à savoir pour quelle raison une réunion urgente a été appelée au sujet de Britam. «Oui», répond le témoin, visiblement confus.

«Ok, we’ll go slowly», calme Hajee Abdoula avant de redemander à Saddul qui avait demandé qu’une réunion urgente soit organisée. BDO, explique le président du board du NPFL. La réponse fait bondir l’assesseur. «You make instructions. You cannot take instructions!»

Imrith Ramtohul s’étonne d’un email de BDO en date du 16 juin 2016 contenant une draft resolution sur la vente devant être discutée lors de la réunion du board du 20 juin. L’assesseur dit ne pas comprendre la précipitation. «The approval came quickly. On a été mis devant le fait accompli. We had nothing to do with that», se justifie Saddul en guise de conclusion à son audition.

Un autre membre du conseil d’administration du NPFL est appelé à témoigner. Shakuntala Gujadhur-Nowbuth, actuellement deputy PS à l’Agro-industrie, avait fait partie du board de NPFL. Elle explique le déroulement des réunions du conseil d’administration, notamment pourquoi une des réunions a eu lieu chez BDO, alors que NPFL n’avait qu’un bureau temporaire à Ebène. Il n’y avait eu qu’une réunion d’information et non de discussion sur la décision du principal actionnaire de Britam de vendre ses actions. Il n’y a pas eu de discussions, le board n’a fait qu’entériner la décision déjà prise par l’actionnaire.

Hajee Abdoula s’étonne. D’habitude, c’est un conseil d’administration qui prend une décision qui est ensuite mise en œuvre. Dans ce cas-là, précise Shakuntala Nowbuth, c’est la décision du Conseil des ministres qui avait préséance. «An officer of the ministry of Good governance told us that Cabinet had taken the decision», explique le témoin en précisant bien que le board avait «pris note de» et non approuvé la décision.

Deux autres anciens membres du conseil d’administration se sont succédé devant la commission, leurs témoignages sont similaires. Richard Lee Kim Chong qui s’étonne des «unusual board meetings» dont les procès-verbaux n’étaient pas circulés aux membres par la suite. «We had nothing to do with this», en déplorant les méthodes utilisées pour appeler les réunions du board ou la nature des décisions prises. Le témoin précise que dans certains cas,  d’autres membres du conseil d’administration et lui ne voulaient pas approuver certaines décisions. Se sentant «pressured» de la part du ministère de la Bonne gouvernance et des proches collaborateurs d’alors de Roshi Bhadain. La décision de vendre avait-elle été soumise à l’opinion d’un «independent advisor» ? demande Imrith Ramtohul. Non, indique le témoin en expliquant que la question était jugée urgente. Ce qui explique pourquoi le board, au lieu de dire qu’il «agree» à la décision, a préféré signifier qu’il a seulement «take note».

Cette situation incongrue, explique le témoin, est aussi née du fait que le NPFL n’a toujours pas de constitution et qu’à ce titre, le conseil d’administration n’a pas une compréhension réelle de ce qu’il peut faire ou pas.

«Thank you, it was lovely», remercie Bhushan Domah en écoutant le témoin.

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