Elizabeth ne trouve plus le sommeil. Elle pense à la situation dans laquelle ses proches restés au pays se trouvent pour se remonter le moral. Bloquée dans un port des Caraïbes, à l’instar d’une centaine d’autres Mauriciens à travers le globe, elle vit un cauchemar éveillé. Chaque jour qui passe, les mêmes questions la taraudent : est-ce qu’elle va pouvoir rentrer ? Dans combien de semaines encore ?

La peur d’attraper le nouveau coronavirus et d’en mourir fait aussi partie des interrogations de la soixantaine de compatriotes qui se trouvent sur le même bateau qu’elle. La trentaine, elle se demande ainsi si elle a fait le bon choix de prendre de l’emploi comme réceptionniste sur un paquebot voilà six mois…

Avec Kevin, son époux cuisinier, ils voulaient profiter du fait qu’ils n’aient pas encore d’enfant pour voir le monde, contrairement à leurs proches qui n’en ont pas eu les moyens. Il y avait aussi la possibilité d’avoir une vie meilleure, le salaire étant supérieur à celui offert dans le circuit hôtelier mauricien.

Avec le Covid-19, Elizabeth et Kevin se retrouvent prisonniers, la pandémie ayant plus particulièrement affecté des croisiéristes. Leur rêve s’est écroulé comme dans un film d’anticipation. «Kevin est tombé malade à plusieurs reprises. Il a été appelé à travailler 11 heures quotidiennement bien que les clients aient débarqué. Avec l’accumulation de la fatigue et tout ce qui se dit autour de la maladie, il stresse», confie Elizabeth via WhatsApp.

Elle souhaite ardemment rentrer à Maurice même si leur contrat n’expire que dans deux mois. «Les passagers ont débarqué dans différents ports. Le capitaine a convié l’équipage pour une réunion. Il nous a demandé d’être courageux, de patienter, que nous sommes une seule famille. Depuis, des collègues d’autres nationalités ont pu rentrer chez eux», glisse-t-elle avec une pointe d’agacement.

«Kevin a préféré demeurer en cabine. Il ne devait travailler que 8 heures. Il a le moral à zéro. Comme si cela ne suffisait pas, nous devons rassurer la famille à Maurice. Il y a mes vieux parents chez lesquels nous vivons qui se font un sang d’encre», poursuit-elle en espérant que la maladie disparaîtra aussi vite qu’elle est venue.

L’inquiétude gagne aussi Bertrand, la trentaine, coincé sur un paquebot dans le Golfe persique avec une dizaine de Mauriciens et des collègues d’une dizaine de nationalités. Après six ans à rouler sa bosse sur les cinq continents, Et dire qu’ils étaient tous à Port-Louis au début du mois.

«Je devais rentrer à Maurice fin mars. Je serais prisonnier à bord pendant un bout de temps, car aucun port ne nous laisse débarquer même si aucun cas d’infection au Covid-19 n’a été décelé à bord», explique-t-il. Il tente de voir le bon côté des choses : il profite des cours allant de la photographie au yoga, de même que des soirées à thème et des pool parties, proposées pour meubler son temps libre.

Un accès illimité à tout ce qui était réservé aux clients compense le confinement. «Que ce soit au niveau des activités, de la boisson, de la nourriture, nous sommes gâtés. Le travail a également été allégé. Malgré tout, nous sommes très inquiets. Les passagers sont tous descendus à Oman, nous non. Là où nous mouillons actuellement, des tests de température ont été effectués sur nous. Tout est normal», déclare Bertrand.

La nuit, les discussions tournent invariablement autour de la maladie. Au fait qu’elle touche surtout les personnes d’un certain âge. Ce qui leur fait penser à leurs parents au pays. Chacun se serre les coudes en espérant qu’un vaccin sera développé. «L’équipage est relax tout en étant conscient de la gravité de la situation. J’ai l’impression qu’à bord, nous ne nous rendons pas compte de ce qui se passe à terre», dit-il en estimant que sa situation est bien meilleure que celle des autres employés de bateaux de croisières confinés dans leurs cabines.

A Port-Louis, l’Hôtel du gouvernement dit ignorer le nombre exact de Mauriciens travaillant sur les bateaux de croisières. Ils n’ont pas non plus reçu de requêtes de leur part pour rentrer au pays. «Beaucoup sont liés à un contrat. Ils pensent aux lendemains», explique un haut fonctionnaire.

Pourtant, le ministère du Travail était censé leur soumettre depuis quelques semaines une liste de ceux qui écument les mers. Surtout que deux Mauriciens travaillent sur le Diamond Princess, un foyer d’épidémie avec 712 cas d’infections et 10 morts. En quarantaine sur le paquebot et testés négatif, ils ont été placés en quarantaine à leur arrivée à Maurice et ont pu rentrer chez eux deux jours plus tard lorsque les tests se sont révélés de nouveau négatifs.

*Les prénoms ont été modifiés car ces salariés sont tenus par une clause de confidentialité.

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