La bataille juridique autour d’African Network Information Centre (AFRINIC), le registre Internet régional basé à Maurice pour le continent africain, continue de prendre des tournants dans le système judiciaire mauricien, la Cour suprême ayant décidé le mois dernier de lever le gel qu’elle avait elle-même ordonné sur ses avoirs en juillet. Malgré sa nature hautement technique, le différend entre AFRINIC et Cloud Innovation, basée aux Seychelles, a attiré l’attention des médias et suscité la controverse bien au-delà des côtes mauriciennes, car il aborde des questions plus larges entourant le développement numérique de l’Afrique et les niveaux d’inégalité d’Internet séparant le continent africain de ses pairs.

Depuis plusieurs semaines, la presse internationale en parle. Alors qu’une bataille juridique a été entamée, il semblerait que rien ne soit gagné d’avance. AFRINIC est l’un des cinq Registres Internet Régionaux (RIR) mondiaux. Cette organisation à but non lucratif, enregistrée à l’île Maurice, est responsable de la gestion et de la distribution d’adresses IP et de numéros de systèmes autonomes (ASN), pour l’Afrique et l’océan Indien.

La situation juridique actuelle d’AFRINIC trouve ses racines dans l’un des plus grands scandales à avoir jamais secoué le monde peu connu mais d’une importance critique des RIR. Ernest Byaruhanga, un ressortissant ougandais qui a cofondé AFRINIC il y a dix-sept ans, était au cœur de ce que les médias sud-africains ont surnommé le « Great African IP Address Heist », dans lequel plus de quatre millions d’adresses IPv4 d’une valeur estimée à 80 millions de dollars ont été détournées.

Le fait qu’Ernest Byaruhanga ait abusé de sa position centrale pour profiter de la part de blocs allouée à AFRINIC constitue donc un abus de confiance majeur. Ernest Byaruhanga, cependant, n’était pas le seul employé de haut niveau à jeter une ombre sur les opérations de l’organisation. Comme l’ont révélé les reportages de MyBroadband d’Afrique du Sud et de l’activiste Ron Guilmette plus tôt cette année, le chef de l’informatique et de l’ingénierie d’AFRINIC de 2012 à 2016 était Neriah Sossou, qui avait été reconnu coupable de fraude bancaire aux États-Unis en 1998, mais était également un proche collaborateur du premier PDG (et compatriote togolais) Adiel Akplogan.

En 2019, Ernest Byaruhanga a démissionné de manière inattendue à la suite d’allégations selon lesquelles il aurait été impliqué dans l’acquisition et la vente illégales de blocs de propriété intellectuelle d’une valeur estimée à 50 millions de dollars. Plus inquiétant encore, AFRINIC a semblé prendre peu de mesures sur la question, au lieu de cela, trottant les mêmes lignes qu’ils avaient utilisées lorsqu’ils avaient précédemment été interrogés sur des transactions douteuses : qu’une enquête était en cours et qu’aucun autre commentaire ne serait fait jusqu’à ce qu’elle ait atteint sa conclusion.

Le nouveau PDG Eddy Kayihura a essayé de restaurer la réputation d’AFRINIC aux niveaux interne et international, mais dans la pratique, Eddy Kayihura a supervisé des mesures plus sévères, telles que revendiquer le droit de récupérer des adresses après qu’un titulaire a modifié leur utilisation, revendiquer le droit de revoir unilatéralement les utilisations à tout moment et tentant d’empêcher les utilisateurs d’exercer toute activité en dehors des 55 pays désignés par AFRINIC, qui ont maintenant mis l’entreprise dans une bataille légale.

Bien qu’AFRINIC puisse insister sur le fait que leurs blocs d’adresses IP ne doivent être utilisés que dans les pays africains, ils sont loin d’avoir suffisamment d’adresses pour soutenir le rythme de croissance qui permettra aux économies africaines d’égaler les niveaux mondiaux de développement numérique. Au-delà des adresses IP, ce dont le développement d’Internet en Afrique a vraiment besoin, c’est avant tout un capital supplémentaire conséquent.

Selon un article d’Africa Times daté du 17 novembre dernier, la Banque mondiale estime que le continent africain dans son ensemble a besoin de 100 milliards de dollars d’investissements pour réaliser l’accès universel à Internet d’ici 2030, et en mars 2020, seulement 39,3 % de la population totale de l’Afrique était en mesure de se connecter à Internet, contre 62,9 % de ceux vivant hors d’Afrique. Comme le montrent clairement les conclusions de Google et de la Société financière internationale de la Banque mondiale, les bénéfices d’un investissement supplémentaire dans la connectivité Internet en Afrique seront substantiels, avec une augmentation de 2,5 % du PIB par habitant pour chaque augmentation de 10 % de la connectivité numérique.

« Si les ressources internet sont essentielles, les organisations qui les gèrent et les distribuent ne sont pas irremplaçables. Le continent africain se porterait mieux à déléguer la gestion des adresses IP à un autre organisme, fonctionnant comme un véritable registre et non comme une super cour panafricaine », fait ressortir le journal Juriguide.

Source : Africa Times et Juriguide

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