Si la vie a repris son cours depuis des d’années dans le sud de Manhattan, pour certains, l’ombre du 11 septembre plane toujours. Yvonne Phang est professeur d’économie au Borough of Manhattan Community College, situé à deux rues de l’ancien site des tours jumelles. En 2001, elle revient travailler dans la zone trois semaines à peine après l’effondrement des tours. Seize ans plus tard, on lui découvre un cancer.

68 cancers reconnus comme liés au 11 septembre

« En 2017, j’ai développé un cancer du sein. J’ai eu une double mastectomie, quatre mois et demi de chimiothérapie et des sessions quotidiennes de radiothérapie. Je n’avais pas du tout connecté ma maladie au 11 septembre parce que c’était il y a si longtemps. Un an après mon traitement, une amie a entendu une publicité à la radio au sujet du fonds de compensation pour les victimes. Elle m’a appelée. Elle a dit : ‘Ecoute, tu étais si proche de Ground zéro pourquoi tu ne regardes pas ?’ »

Yvonne découvre alors qu’elle est éligible au World Trade Center Health Program et aux fonds de compensation pour les victimes. « Je pensais que c’était que pour les pompiers. A l’époque, les civils n’étaient pas du tout informés. C’est encore le cas maintenant », explique la professeure.

Aujourd’hui, elle le sait. Les nuages de cendres et de débris toxiques qui ont plané au-dessus de Manhattan pendant des semaines sont responsables de sa maladie. Le World Trade Center Health Program a établi une liste de 68 cancers reconnus comme liés au 11 septembre. Le cancer du sein en fait partie.

Plomb, amiante, kérosène, béton pulvérisé dans l’air

Les milliards de tonnes de matériaux de construction du World Trade Center ont brûlé pendant 99 jours sur le site de Ground Zero. Ils ont libéré dans l’air des quantités inédites de produits chimiques, dont des dioxines, de l’ambiante et d’autres substances cancérigènes.

À l’époque, le gouvernement affirme que l’air est sûr. Les pompiers de la ville de New York participent aux opérations de fouilles sur le site des tours jumelles pendant des semaines, souvent sans masque de protection. Rich Roeill était l’un d’entre eux. 20 ans plus tard, il paie aussi le prix fort.

« Après le 11 septembre, je suis tombé malade. J’ai eu des problèmes respiratoires. J’ai fait une crise cardiaque en 2016. J’ai aussi eu des problèmes de mémoire. J’ai fait tester mon sang. Et, j’avais un niveau de plomb et de cadmium extrêmement haut. Ces produits proviennent de la plomberie, des ampoules, des ordinateurs, des téléphones et des câbles qui se trouvaient dans le World Trade Center et qui ont été réduits en poussière », détaille Rich Roeill.

100,000 personnes malades

Depuis 2001, on estime que 100,000 personnes ont développé une maladie liée au 11 septembre. Plus de 3000 ont perdu la vie.

Il y a 10 ans déjà, plusieurs études pointaient du doigt les nuages de poussières qui augmentent les risques de maladie. Michaël Weiden, médecin en chef au département des sapeurs-pompiers de la ville de New York, est l’un des premiers à étudier leur toxicité : « Ce qu’on a fait dans le département des pompiers, c’est regarder le taux de cancer chez les pompiers qui avaient été exposés et on l’a comparé aux taux des cancers de tous les New-Yorkais en général. Et, nous avons découvert que pour certains cancers il y avait parfois une augmentation de 10, 15 voire 20% », explique le pneumologue.

Dans le hall du département des sapeurs-pompiers de la ville de New York, un grand tableau noir est accroché au mur. On peut y lire les 270 noms des secouristes et pompiers du département décédés des suites d’une maladie liées au 11 septembre. Et, ce médecin s’attend à voir la liste s’allonger.

« Vous remarquerez qu’il a laissé beaucoup d’espace libre, parce que nous nous attendons à encore beaucoup de maladies pour les 20 ou 30 prochaines années », prédit Michael Weiden.

Une nouvelle vague de maladies

New York craint aussi une nouvelle vague de maladies chez les résidents du quartier. Deux écoles primaires se trouvaient dans la zone d’exposition. Il y a 20 ans des jeunes enfants âgées de 6 à 12 ans ont été en contact avec un environnement extrêmement toxique.

Lila Nordstrom avait, elle, 17 ans le 11 septembre 2001. Un mois après l’effondrement des tours, elle retourne en classe. Son école se trouve à 700 mètres de Ground Zéro. Des débris du World Trade Center sont stockés à quelques mètres du bâtiment.

« Très vite, des étudiants ont commencé à voir le nez qui saignait, des maux de tête, des maux de gorge et tout le monde avait une toux chronique. On ne pouvait pas rentrer dans le bureau de l’infirmière. Il y avait 60 personnes qui faisaient la file. A ce moment-là, le conseil de l’éducation nous a dit que tout cela ne serait que temporaire, que cela n’aurait pas d’impact à long terme et qu’on devait faire comme si tout allait bien », enrage la jeune femme de 37 ans.

Depuis, Lila se bat pour les droits des étudiants. Avec son association, elle tente de tous les retrouver pour les informer.

« Il y a beaucoup de personnes de mon âge qui ont quitté la ville après le 11 septembre. Nous sommes allés à l’Université et puis, New York, c’est cher, donc ils ont déménagé et beaucoup de personnes n’ont pas entendu parler des aides parce que dans les médias on parle énormément des pompiers et des secouristes. Mais, on ne parle pas vraiment des résidents. Donc, l’idée c’est de les informer, de leur dire qu’ils ont aussi accès aux programmes médicaux », martèle l’ancienne étudiante.

Des fonds fédéraux accessibles jusqu’en 2090

Le cabinet d’avocat Barasch and McGarry représente plus de 200 000 membres de la communauté du 11 septembre (pompiers, résidents, étudiants, travailleurs et professeurs). Sur son site internet, il presse les civils à récolter les informations nécessaires pour accéder aux fonds fédéraux, même s’ils sont en pleine santé avant que les preuves ne disparaissent avec les années.

« Pour être éligible au World Trade Center Health program et aux fonds de compensation pour les victimes, il faut prouver qu’on était dans la zone d’exposition. Et ça, ça devient de plus en plus difficile. Souvent, il faut deux ou trois témoins qui étaient avec la victime. Il faut préciser où ils étaient mais aussi ce qu’ils faisaient et ces témoignages disparaissent avec les années », expose Dominique Penson avocat au sein du cabinet Barasch and McGarry.

L’ancien président américain Donald Trump a repoussé de 2020 à 2090 la date limite jusqu’à laquelle des demandes pourront être déposées.

Il y aura 69 années de sursis pour les victimes des maladies du 11 septembre qui ont fait à ce jour plus de morts que les attentats.

Source : rtbf.be

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