Moins de 10 minutes avant le début de la séance, Raouf Gulbul arrive tout sourire, encadré par trois de ses collaborateurs dont le jeune avocat Athon Murday. Devant sa pile de dossiers, le témoin du jour les examine et prend quelques notes.

L’exercice accompli, Gulbul discute avec ceux venus assister aux travaux de la commission d’enquête sur les drogues. Il plaisante avec les journalistes puis va voir le secrétaire de la commission avec qui il a eu maille à partir, jeudi dernier. «How are you?» lance-t-il à son interlocuteur qui ne prend pas la peine de le regarder. «Fine», lui lance le secrétaire de la commission tout en continuant à écrire sur sa fiche. Les deux hommes finissent toutefois par échanger quelques mots brièvement.

La première rangée de l’auditoire est habituellement occupée par les policiers chargés d’assister Paul Lam Shang Leen et ses assesseurs. L’ancien candidat du MSM s’y dirige et s’étonne de l’absence de l’assistant surintendant de police (ASP) Hector Tuyau. Celui-ci arrive peu de temps après. «Mister Tuyau! Ki pozision?» s’enquiert le témoin. «Ça va?» demande Gulbul en lui serrant la main. Tout en plaisantant que des caméras ne sont pas là pour saisir la poignée de main. L’ASP rit à la plaisanterie, lui et son interlocuteur regagnent leurs places.

«You are on my radar»

Le président de la commission et ses deux assesseurs sont arrivés. La session commence. «Je ne sais pas si vous avez eu le temps de vous préparer. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave», lance l’ancien juge en guise d’introduction. Il se lance illico dans des questions au sujet de transferts sur le compte du fils de Gulbul, qui habite en Grande-Bretagne.

L’avocat détaille les transferts effectués sur le compte de son fils. Tous, assure-t-il, pour couvrir ses frais d’études. Certains transferts, explique Gulbul, relevés bancaires à l’appui, ont été effectués par sa femme. Notamment une somme de Rs 400 000. L’exhaustivité des détails fournis agace déjà Lam Shang Leen. «Did I ask you to provide that?» Non, concède l’avocat qui insiste toutefois pour donner les détails qu’il juge importants tout en faisant passer des relevés bancaires à la commission. «I can read», s’exaspère le président de la commission.

Celui-ci stoppe net le cours de son questionnement et regarde en direction de l’avocat Athon Murday, arrivé avec Gulbul plus tôt. Il lui demande de quitter la salle. «Because you are on my radar», prévient l’ancien juge, avant de reprendre le cours de l’audition de Gulbul. Il s’intéresse à ce qui avait été discuté, jeudi dernier, par rapport à Parwiza Jeeva. Lam Shang Leen dit avoir examiné des documents émanant de cette femme condamnée pour trafic de drogue. Notamment une lettre qui fait état de l’arrestation de Jeeva et de la volonté de celle-ci de retenir les services de Gulbul. «Qui a écrit cette lettre?» demande le président de la commission. L’avocat affirme qu’il ne l’a pas écrite.

«Someone is lying»

Lam Shang Leen ne lâche pas l’affaire. Un jour après l’écriture de la lettre, Gulbul s’est rendu au bureau de l’Anti Drug and Smuggling Unit, observe-t-il. Avant de demander à l’avocat l’identité du client qu’il allait défendre. Le candidat malheureux du MSM aux législatives de 2014 explique être allé représenter le détenu Mahmod. Mais ayant pris connaissance du dossier, Gulbul dit avoir renoncé à représenter celui-ci. Il insiste : Mahmod n’a pas retenu ses services mais il lui a été demandé de le faire. L’avocat ne précise pas de qui la suggestion a émané et inonde la commission de détails sur l’affaire.

Ses réponses traînant en longueur, Paul Lam Shang Leen multiplie les questions. Mais Gulbul continue sur sa lancée. L’ancien juge tire un coup de semonce : «I will have to be very rude if you try to stop me!» La tension monte d’un cran. Gulbul persiste : «You have summoned me to explain.»  Lam Shang Leen bondit sur sa chaise et rappelle que les réponses longuettes de l’avocat n’intéressent pas la commission. «So don’t waste time!» L’avocat n’a aucune intention de céder. «I am not here to waste anyone’s time. I’m here to give explanations.»

Les deux hommes perdent quelques minutes à discuter des VAT invoices signées par l’oncle de Parwiza Jeeva. Gulbul affirme que cela n’a pas été le cas, rappelant qu’il dépose sous serment. Le président de la commission ne cède pas de terrain. A son interlocuteur, il précise que cette personne a également déposé sous serment. «So someone is lying», réprimande l’ancien juge.

Conflit d’intérêts ?

Peroomal Veeren refait parler de lui à la commission d’enquête. Lam Shang Leen demande à Gulbul s’il a représenté le trafiquant de drogue en 2005. L’avocat explique qu’il ne l’a pas représenté dans cette affaire. «Did I say in this case?» s’emporte le président de la commission. Pendant que Gulbul bat en retraite. Etait-il en communication avec Veeren ? Il est normal pour un avocat d’être en contact avec son client, observe le témoin.

Gulbul explique que la mère de Veeren l’a sollicité, lui a expliqué l’affaire avant de lui demander de rendre visite à son fils en prison. «L’avez-vous rencontré ?» , questionne Lam Shang Leen. La requête de l’avocat de consulter ses notes incommode son interlocuteur. Excédé, il l’aide à se souvenir. «You didn’t. You sent your junior»,  reprend-il. Gulbul donne des détails. Il a rencontré Veeren le 15 avril 2008 mais pas au moment où Jeeva avait été arrêtée. L’avocat choisit ses mots : c’est le 21 février 2010 qu’il est allé voir Veeren en prison pour la dernière fois. «Peut-être» , répond toutefois l’avocat quand il lui est demandé s’il a pu être en contact, notamment téléphonique, avec Veeren.

Lam Shang Leen pousse le témoin à lui en dire plus. Savait-il que Jeeva avait dénoncé Veeren dans sa déposition ? Gulbul repart dans une longue digression avant d’avouer qu’il le savait. La confirmation, intervenue après de longues minutes, agace le président de la commission. «You are wasting time», reproche-t-il.

La tension s’installe à nouveau. Gulbul affirme qu’il a sa manière de répondre : «We are here to inquire, not to fight.» Oui, confirme nonchalamment l’ancien juge, visiblement peu intéressé par les explications du témoin. A qui il fait remarquer sa manie de se référer à ses dossiers en permanence. «It’s not fair. You cannot say so»,  proteste l’avocat. «Can I proceed?», demande Lam Shang Leen. «Of course you can» temporise Gulbul.

Relation entre amants

Le président de la commission reprend les mots de Jeeva qui a déposé devant la commission. «You told her», tonne Lam Shang Leen avec gravité en expliquant que la condamnée a affirmé que Gulbul lui a dit qu’elle allait passer 45 ans en prison, si elle n’implique pas Veeren. «I never said so», assure l’avocat.

Des relations avocat-clients, c’est la relation entre amants qui attire l’attention de la commission. Paul Lam Shang Leen évoque «l’amour fou» de Jeeva pour Peroomal et de leurs conversations téléphoniques alors que tous deux étaient en détention. «We live in a democracy, she is free to love anyone», plaide avec sarcasme l’avocat. L’ancien juge bifurque et revient sur les instructions que la mère de Veeren aurait données à Gulbul. Le détour agace le témoin qui le fait savoir. «I am putting the question», recadre avec autorité Paul Lam Shang Leen.

Gulbul affirme n’avoir eu de communication avec Veeren qu’à travers sa mère et reprend la chronologie des évènements et de la procédure. «I will stop you here», crie presque le président de la commission. «Did you phone him?» De guerre lasse, Gulbul admet calmement : «Il a pu m’appeler, mais je n’en ai pas le souvenir».

Quelques questions sur le frère de Jeeva refont monter la tension entre les deux hommes. Lam Shang Leen demande à Gulbul s’il a effectivement demandé à l’avocat Samad Goolamaully de représenter le frère de Jeeva et de le faire changer sa version des faits. Le président pousse le témoin dans ses retranchements : «Veeren a dit sous serment : ‘J’ai payé Goolamally avec de l’argent sale.’ Saviez-vous cela ?» Non, se défend Gulbul. Qui explique ne pas pouvoir être au courant de ces choses, Veeren ayant 26 représentants légaux.

Lam Shang Leen s’emporte

Veeren cède la place à Joseph Jacharree Bottesoie. Il égrène les accusations portées contre l’avocat par ce trafiquant de drogue. «Vous avez essayé de le corrompre», assène Lam Shang Leen avant de rajouter que le détenu s’en est plaint auprès du Chef juge et du Commissaire des prisons. Gulbul explose : «I was framed in this matter». Parti sur sa lancée, il n’entend même pas le président lui demandant l’identité de la personne qui l’a piégé. Il tend un document à la commission. Cela n’intéresse pas Lam Shang Leen qui lui demande de répondre à sa question. Gulbul ne veut pas entendre raison malgré les nombreux rappels à l’ordre du président. «Mr Gulbul!!!» s’emporte l’ancien juge… en vain.

L’avocat cite de larges extraits d’un jugement dans une affaire où Dev Hurnam et lui s’étaient affrontés devant la Cour suprême. Gulbul critique sévèrement l’avocat radié du barreau. «I have specific questions», tente d’interrompre Lam Shang Leen mais rien n’arrête le témoin qui s’en prend à Hurnam de nouveau. Dépité, le président de la commission décide de suspendre la séance de dix minutes. Dans son emportement, Gulbul ne comprend même pas que la séance vient d’être suspendue et poursuit sa diatribe. «Mr Gulbul, let’s take a break and refresh», dit posément Lam Shang Leen au témoin, qui se calme enfin.

Gulbul a retrouvé le sourire. Il a les yeux sur Hector Tuyau, il traverse la salle d’audience pour aller voir l’ASP. «Ki mo pe lir koumsa?» demande Gulbul en faisant allusion aux mots écrits par Tuyau sur sa page Facebook à l’intention des «avocats mafieux, policiers véreux, gardiens de prison pourris et autres facilitateurs aux marchands de la mort». Un peu hésitant, le policier cherche à couper court à la conversation mais devant un Gulbul insistant, il finit par lâcher : «Monn mett mo leta despri.»

Paul Lam Shang Leen redémarre l’audition avec une question sur Bottesoie et son accusation selon laquelle l’avocat a essayé de le soudoyer pour qu’il accuse un autre trafiquant : Rajen Velvindron. Gulbul redémarre une longue mise en perspective. Le président de la commission le coupe à nouveau. L’avocat finit par dire qu’il estime que c’est Dev Hurnam qui l’a piégé. Lam Shang Leen s’étonne que le «good friend» de l’avocat ait pu ourdir un complot contre lui.

Gulbul étrille Shamloll

C’est désormais sur l’un des «juniors» de Gulbul que l’ancien juge jette son dévolu. Lam Shang Leen parle d’une personne sans jamais citer son nom. Elle a déposé sous serment. Même si l’avocat n’aime pas le mot «junior», cette personne a dit qu’elle a travaillé avec lui après avoir rejoint le barreau en 2013. Après son audition par la commission d’enquête, Lam Shang Leen croit savoir que les journalistes l’ont poursuivie jusqu’à son bureau. Où la personne leur a montré des messages WhatsApp échangés avec Gulbul.

«De qui parle-t-on ?» demande le membre du MSM. Amusé par la question, le président de la commission se montre taquin. «Vous savez bien de qui je parle !» Gulbul réplique, il dit ne pas savoir ce que Tisha Shamloll a partagé avec les journalistes. Moqueur, Lam Shang Leen remarque toutefois que l’avocat s’est rendu à «Radio Plus, lakaz mama», pour répondre à la jeune juriste tout en prétendant ne pas savoir ce que celle-ci a dit devant la commission d’enquête.

L’ancien juge égrène les accusations portées contre Gulbul par sa «junior». Shamloll a notamment affirmé que son mentor lui a demandé de faire des «dirty works» et qu’elle le considère comme un «worst trafficker». Elle a dit tout cela sous serment, assène Lam Shang Leen.

Pendant que Gulbul rassemble quelques dossiers pour répondre, il s’emporte : «She is the epitome of lies.» Le témoin ne se calme pas, il affirme que Shamloll a représenté d’importants trafiquants de drogue. Face au président de la commission qui hausse le ton afin de le calmer, Gulbul continue à fulminer tout en tendant des documents vers la commission.

Excédé, l’avocat parle de Shamloll, de son mariage, de ses relations avec son mari. Le président de la commission, également au bord de l’explosion, prévient : «Mr Gulbul, I’m giving you a last warning. You know the power of the commission, but I don’t use it.» L’avocat n’en a cure, il fait régulièrement le va-et-vient entre le box et ses dossiers posés à moins de deux mètres de lui. Incommodé par la bougeotte du témoin, l’ancien juge suspend à nouveau la séance pour dix minutes : «Ok, we’ll have to break because you are going up and down. We can’t work like that.»

Messages intimes

De retour devant la commission d’enquête, Gulbul fait à nouveau l’objet d’un feu roulant de questions sur Tisha Shamloll. Le président lui demande ainsi d’expliquer si la jeune avocate a travaillé pour lui. L’avocat fait l’historique de sa relation professionnelle avec Shamloll. «I have never given her a seat in my chambers», prévient-il toutefois.

Lam Shang Leen lui demande ensuite si c’est bien à partir de son principal numéro de téléphone et de son mail qu’il a communiqué avec la jeune avocate. Gulbul confirme. Pour l’ancien juge, les documents que Shamloll a fournis à la commission indiquent qu’elle a travaillé pour le témoin. Celui-ci demande à voir les documents. La requête ne plaît pas au président de la commission. Qui coupe court en haussant le ton : «I said it bears your number.» Gulbul tente sa chance : «Can I have a look ?» Intransigeant, l’ancien juge campe sur sa position : «I am telling you. You just confirmed it’s your number.»

Gulbul répond au coup de colère de son interlocuteur par du sarcasme. Jouant le naïf, il demande : « Are you cross-examining me ? Because I was summoned here to be examined.» Avant de proposer à la commission de contre-interroger Tisha Shamloll. «You will see all the truth», assure  l’avocat. Pendant que Gulbul essaie de convaincre son interlocuteur, celui-ci regarde distrait en direction du secrétaire de la commission.

Lam Shang Leen revient à la charge. Narquois, il évoque les emails échangés entre Shamloll et Gulbul. «Some are very intimate, conclut-il, je pourrais…» Il s’interrompt. Le témoin le reprend : «Is that a question?» Oui, confirme le président de la commission. Il n’y avait rien d’intime entre nous, se défend l’avocat. Pendant ce temps, l’ancien juge lit ses notes. Et les vacances à Rodrigues ? demande-t-il. Lui a-t-il envoyé un billet ? Gulbul esquive.

Ce sont les messages WhatsApp échangés entre l’avocat et Shamloll qui attisent désormais la curiosité de la commission. «Vous voulez jeter un œil ?» suggère Lam Shang Leen. Oui, sur tout, demande Gulbul. L’ancien juge refuse, rappelant à son interlocuteur qu’il a le loisir de lire certains messages sur son propre WhatsApp.

Le contenu des messages est scruté. Qu’est-ce qui était «bumpy» ? demande l’ancien juge en commentant un message envoyé à Shamloll par l’avocat. Les petites routes de Rodrigues, justifie Gulbul. «Mais dans l’un des messages, vous parlez aussi d’aphrodisiaque» renchérit Lam Shang Leen. Gêné, le témoin fait mine de n’avoir pas compris la question.

Les voyages de Gulbul

Paul Lam Shang Leen s’éloigne très vite des légèretés. Il demande au témoin s’il a déjà donné à Shamloll de l’argent pour être déposé sur le compte de l’indien Fazal Hussein. Jamais, affirme Gulbul qui retrace en longueur les circonstances dans lesquelles il a rencontré ce ressortissant indien condamné pour trafic de drogue. L’ancien juge montre ouvertement son ennui face aux explications du témoin. «Vous avez fini ?» demande-t-il en tentant d’écourter les explications de l’avocat.

Celui-ci se propose de répondre à d’autres questions. «I never asked her to appear for drug traffickers.» Ce sont les clients de Shamloll, son argent, qui va dans son compte, s’emporte Gulbul. Qui rappelle à la commission que Tisha Shamloll a été réprimandée par le Bar Council en 2014 pour avoir mal parlé à un prisonnier. Il égrène des accusations à l’égard de l’avocate qu’il décrit comme une «menteuse» qui veut «naviguer dans le monde».

L’évocation des escapades de l’avocate conduit Lam Shang Leen à interroger le témoin sur le voyage qu’il a entrepris à La Réunion en compagnie de celle-ci. «C’était un voyage d’affaires ou pour le plaisir ?» cherche à savoir l’ancien juge. Le déplacement était professionnel, explique l’avocat. Précisant au passage que Yousuf Mohamed l’avait également accompagné pour une affaire de compte mail piraté. Pour Gulbul, Shamloll a insisté pour faire partie du voyage. «Nothing unprofessionnal happened there», jure-t-il.

Il devance la question de la commission sur la possibilité qu’il ait effectué des appels sensibles lors de son séjour à La Réunion. L’avocat tend sa carte sim achetée à l’île sœur : «You will find if I went there to make inappropriate calls.» Avant de jurer qu’il n’a pas effectué d’appels vers des prisons à Maurice alors qu’il se trouvait à La Réunion.

Lam Shang Leen insiste. Pourtant, Veeren a avoué avoir effectué des appels internationaux à La Réunion. «Nous devons vérifier s’il vous a appelé», prévient le président de la commission face à un Gulbul coopératif.

Après un peu plus de deux heures, l’audition tire à sa fin… pour ce lundi 30 octobre. Lam Shang Leen annonce la couleur pour la prochaine audition. La commission veut en savoir davantage sur les voyages de Gulbul, comment ils ont été payés, avec quel argent. Et aussi, s’il a voyagé seul ou en famille. «If you don’t answer, you will be in trouble», menace le président de la commission.

Raoul Gulbul se présentera de nouveau devant la commission d’enquête sur la drogue, ce lundi 6 novembre.

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