Un flop. Le mot n’est pas trop fort pour décrire la manif que « l’opposition » a organisée vendredi dernier. Le PMSD, malgré ses rassemblements de 10 000 sympathisants, a démontré son incapacité à mobiliser ses troupes hors de ses évènements « tamtam ». Le fanfaron Navin Ramgoolam, qui affirmait pouvoir « amenn pli boukou dimoun », a peut-être su attirer la majorité des 1500 à 2000 personnes qui sont venues manifester. Mais la cacophonie et la désorganisation qui ont régné lors de la marche ne lui donnent aucune raison de pavoiser. Déjà, on pointe du doigt quelques coupables.

Le premier est le timing. « Battre le fer pendant qu’il est encore chaud » est une maxime qui n’est pas toujours opportune. Organiser la manifestation seulement quatre jours après l’ascension de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre était une mauvaise idée. Ramgoolam a eu des doutes sur la rapidité avec laquelle la mobilisation s’est faite. Mais influencé par l’obsession de Xavier Duval d’être sur tous les fronts et rassuré, peut-être aussi, par la volonté du MMM de participer à la mobilisation, Ramgoolam n’a pas suivi son instinct qui lui dicte si souvent de ne pas se précipiter.

Le deuxième coupable – ou plutôt le deuxième groupe de coupables – se trouve à l’intérieur du Parti travailliste. Quelques cadors rouges ont sciemment saboté la marche. Pour eux, l’idée même d’une manif était mauvaise. Ils n’ont donc rien fait pour s’assurer d’une présence importante des partisans de leurs circonscriptions. Ni efficacement coordonné leurs efforts avec ceux du PMSD. Ils ont néanmoins fièrement paradé au pas de course à côté de leur chef alors qu’ils suggéraient deux jours plus tôt que le PTr se retire de la manif. Résultat : on a surtout vu des partisans rouges venus de Port-Louis et du Nord alors que les contingents de Flacq et d’autres villes étaient anémiques.

Le troisième coupable n’est autre que Paul Bérenger. Mais le leader du MMM a des circonstances atténuantes. Si certains de ses lieutenants étaient enthousiastes, lui n’a pas été emballé par l’idée de la marche. Mais il s’est laissé convaincre. Notamment lors de la réunion regroupant parlementaires et cadres des principaux partis de l’opposition, lundi dernier. Traumatisé par son association avec Ramgoolam en 2014, Bérenger s’efforce de se tenir le plus loin possible de ce dernier. Ainsi, le leader des mauves cherchait le moindre prétexte pour retirer ses troupes. Ramgoolam le lui en a offert un quand il a fanfaronné sur le fait que la majorité des manifestants seraient des travaillistes.

Résultat : la manif de vendredi s’est déroulée dans un désordre indescriptible. Au galop, en rangs dispersés et dans la cohue. Duval et sa bande ; Ramgoolam et les siens ; et même la petite troupe de Rama Valayden ont fait le tour de l’Hôtel du gouvernement au pas de course. Ramgoolam et Duval se sont apparemment vus et serré la main mais la presse n’a même pas pu en faire état. Tant ils étaient entourés et emportés par leurs troupeaux ruant dans les rues. Le visage de Ramgoolam accablé par la chaleur. L’agacement et l’angoisse de Duval, forcé de regagner l’Hôtel du gouvernement sous forte escorte. C’est tout ce que nous retenons du désordre de ce vendredi.

Mais est-ce à dire que Pravind Jugnauth peut se réjouir d’avoir le champ libre face à une opposition désunie ? Pas vraiment. Car une semaine après son couronnement, des questions pratiques attendent d’être solutionnées par le nouveau Premier ministre. Le succès de son mandat dépendra très largement de sa capacité à gérer ses hommes. Aussi bien en tant que chef du gouvernement qu’en tant que gardien du Trésor de la nation.

Or, on n’a toujours pas compris comment il compte s’entourer et surtout avec qui. Ainsi, que va-t-il faire de la girouette Dev Manraj ? Qui a changé de maître quatre fois en l’espace de trois ans : Ramgoolam, Lutchmeenaraidoo, Bhadain puis Jugnauth. Quel sort réserve-t-il à l’ultra controversé Prakash Maunthrooa ? Qui fait planer sur le Prime minister’s office une atmosphère qui ne plaît ni aux investisseurs locaux et encore moins aux étrangers. Gérard Sanspeur restant aux Finances, Pravind Jugnauth doit encore se trouver un bras droit efficace – et, espérons-le, intègre –  pour l’épauler au PMO.

En parlant d’efficacité, Pravind Jugnauth doit aussi quelques éclaircissements au pays au sujet de son père. Car le leader du MSM vient d’imposer une escroquerie politique de premier ordre à la nation. A cause de la peur-panique du pouvoir d’affronter une élection partielle à Piton/Rivière-du-Rempart, les Jugnauth ont défié la logique en créant le poste de Minister mentor également responsable de la Défense et de Rodrigues.

Sir Anerood Jugnauth n’a plus le « fardeau » du Premier ministre à porter. Mais il occupe le 3e rang du gouvernement. Ce qui le place de facto dans la position de diriger le pays dès que Pravind Jugnauth et Ivan Collendavelloo seront en déplacement à l’étranger. Cela arrivera certainement en plusieurs occasions ! Mais requinqué et miraculeusement en pleine possession de ses moyens physiques, intellectuels et moraux, SAJ est désormais en mesure de non seulement prodiguer de précieux conseils à ses collègues ministres et à leur chef ; mais aussi de s’occuper du ministère « gimmick » de la Défense et celui, plus concret, de Rodrigues.

En conséquence, le nouveau patron du gouvernement estime que les contribuables doivent payer plus de Rs 2,4 millions par an à SAJ pour qu’il continue à « mentor » les autres ministres du gouvernement. En sa double capacité de Premier ministre et ministres des Finances, Pravind Jugnauth doit justifier l’utilité de payer SAJ aussi grassement pour les quelques heures qu’il passera dans un bureau et les quelques conseils qu’il aurait pu prodiguer du confort de son salon à La Caverne.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que le même SAJ, alors Premier ministre et étant donc dans une position de savoir, nous a régulièrement gratifié de ses « I am not aware », « mo pa kone » et autres expressions d’étonnement ou d’ignorance. Depuis lundi dernier, le prédécesseur de Pravind Jugnauth se doit d’être aware de ce que font tous les ministres, y compris le premier d’entre eux. Afin de leur prodiguer ses précieux conseils facturés plus de Rs 2,4 millions l’an. Avouez que c’est une situation loufoque !

Mais elle traduit ce qu’est le gouvernement de Pravind Jugnauth : c’est-à-dire une version à peine remaniée de celui de SAJ. Ce dernier a déjà lamentablement échoué en s’entourant de médiocres collaborateurs. Pravind Jugnauth a beau avoir été couronné, il sait sans doute que la valeur de son règne sera directement tributaire de celle des collaborateurs qu’il se choisira. Le pays attend les premiers signaux forts. Si toutefois, le Premier ministre est incapable de les envoyer et s’engonce dans une politique « de continuité », l’opposition n’aura même pas à manifester. Ce sont les électeurs qui se chargeront de dire au chef du gouvernement ce qu’ils ont pensé de sa performance.

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