Qu’importe si le pouvoir en place est bleu, mauve, orange, marron foncé ou gris clair. Le gouvernement qui dirigera le pays en novembre devra présenter un budget. Se pourrait-il toutefois que ce soit l’actuel titulaire du poste – Navin Ramgoolam – qui le fasse ? Passons en revue les raisons qui pourraient conduire Navin Ramgoolam à tenter le coup.

SSR et SAJ l’ont fait. Le Premier ministre aime l’Histoire et se fait un devoir de rappeler la portée historique de ses grandes décisions. Or jusqu’ici, il est l’unique membre du club des Premiers ministres de Maurice n’ayant jamais présenté un budget. En effet, Ramgoolam a lui-même rappelé lors d’une récente conférence de presse que sir Seewoosagur et sir Anerood Jugnauth, alors chefs du gouvernement, ont tous deux présenté des Appropriation Bills. Quant à Paul Bérenger, avant d’accéder à cette fonction, il en avait déjà présenté 4 en tant que titulaire des Finances entre 2000 et 2003 ainsi qu’en 1982. S’ils l’ont fait, pourquoi pas Ramgoolam ?

Bérenger l’y pousse. Paradoxalement, c’est le comportement de Paul Bérenger qui pourrait amener Navin Ramgoolam à prononcer son premier discours du budget. En effet, le leader de l’opposition ne rate aucune occasion d’affirmer que la dissolution de l’Assemblée nationale est imminente. Mais s’il y a une chose que déteste Ramgoolam, c’est perdre le contrôle du calendrier ou même d’en donner l’impression. Le Premier ministre a régulièrement rappelé, ces dernières semaines, que son mandant prend fin en 2015. A force de répéter que les élections générales sont « derrière la porte », Bérenger et, dans une moindre mesure, Pravind Jugnauth, pourraient amener Ramgoolam à jouer la montre. Avec pour effet collatéral la présentation du budget.

L’émancipation. Le Premier ministre aura du mal à l’admettre, mais il a pris ombrage de la performance de certains de ses ministres des Finances. Si Xavier Duval a régulièrement rappelé que c’est d’abord le budget du gouvernement, largement élaboré en concertation avec Ramgoolam, cela n’a pas toujours été le cas avec Rama Sithanen notamment. Celui qui a présenté les budgets entre 2005 et 2010 a largement assumé la paternité de la « Réforme Sithanen » – telle que baptisée par les médias. Reléguant Ramgoolam et son conseiller économique Andrew Scott au rôle d’observateurs, presque passifs. Le Budget 2015 pourrait donc être l’occasion pour Ramgoolam de s’affirmer dans un rôle autre que celui de chef du gouvernement. En tentant de réussir le délicat exercice d’équilibre d’un discours du budget perçu comme business/growth-friendly tout en étant populaire.

D’autres raisons devraient toutefois pousser Ramgoolam à éviter  la présentation du Budget 2015.

Un calendrier international chargé. Ramgoolam l’a lui-même rappelé samedi dernier. Plusieurs déplacements à l’étranger l’attendent durant les semaines à venir. Il se rend bientôt aux Comores, aux Etats-Unis, à Samoa et au Zimbabwe. Avec une moyenne de 4 jours d’absence du pays par déplacement, les engagements internationaux du pays le priveront de plus de deux semaines ici. Difficile d’accorder son attention pleine et entière à l’évènement économique le plus important de l’année dans ces conditions…

D’autres chats à fouetter. Un ministre des Finances peut se permettre d’être absorbé quasiment en permanence pendant un mois ou un peu plus par la préparation du budget. Toutefois, ce même luxe n’est pas permis à un Premier ministre. Certes, Navin Ramgoolam dispose, en Dev Manraj, d’un secrétaire financier en qui il a une totale confiance. Et à qui il a d’ailleurs entièrement confié la tâche des consultations pré-budgétaires. Mais Navin est Ramgoolam, et déléguer n’est pas son fort! Donc même si le Premier ministre se résigne à externaliser un maximum de ses prérogatives de ministre des Finances à Manraj et à quelques cadres de ce ministère, il devra irrémédiablement focaliser son entière attention sur la préparation du budget pendant au moins deux semaines. Le pays, toutefois, ne peut pas se permettre le luxe de fonctionner sans Premier ministre pendant cette période.

Au-delà de toutes les considérations politiciennes et personnelles, le Premier ministre devrait renoncer à accoucher de ce budget pour une raison fondamentale. Si le budget est présenté durant la deuxième semaine de novembre, le gouvernement sera alors à six mois de la fin de son mandat. On peut arguer que dans ces conditions de temps, un gouvernement sortant devrait éviter d’engager le suivant. Surtout si la perspective d’une élection difficile et l’envie de se faire réélire conduit le ministre des Finances à privilégier un exercice électoraliste aux répercussions amères sur le déficit budgétaire et la dette publique.

Si toutefois Ramgoolam s’obstine à suivre les pas de SSR et de SAJ, il ne reste plus qu’à lui souhaiter de se transformer en un Houdini du budget mêlant la rigueur de Sithanen au populisme décomplexé de Lutchmeenaraidoo tout en préservant nos finances publiques. Mais ne rêvons pas. A l’impossible, nul n’est tenu.

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