Il existe trop de zones d’ombre autour des projets de smart cities, dont Heritage City, soutiennent des membres du Parlement populaire. Ceux-ci s’interrogent sur la pertinence de ces villes intelligentes pour Maurice mais aussi sur le manque de consultation au niveau de la société civile sur des projets qui viendront transformer en profondeur notre paysage, sans pour autant booster notre économie.

Catherine Boudet, porte-parole du Parlement populaire, déplore le manque de consultation populaire sur les projets de smart cities. Relevant le fait que l’avis du public a été sollicité pour la transformation de Port-Louis – alors que la State Land Development Corporation est déjà chargée de concevoir la maquette – mais pas pour Heritage City ou les autres villes intelligentes annoncées par le ministre des Finances pour 2016. «La population est mise devant le fait accompli», affirme-t-elle.

Le gouvernement a pensé uniquement en termes économiques, déclare Niven Mauree, urbaniste, en délaissant l’impact social et environnemental de tels projets. Un plan du projet au complet, insiste-t-il, aurait dû être soumis au public avant de le finaliser.

Ces nouvelles villes intelligentes ont été présentées comme autonomes en matière d’eau et d’énergie, note Joe Soredoo. Toutefois, souligne l’architecte, les présentations faites jusqu’ici ne dessinent pas les contours de cette autonomie. Et de se demander si, au final, les smart cities ne viendront pas puiser abondamment dans les ressources existantes, aux dépens du reste de l’île.

Il règne, en outre, une «cacophonie» au sein du gouvernement avec divers ministres venant chacun avec leur plan de ville intelligente, selon Boudet. Qui s’interroge aussi sur la nomination, sans appel d’offres, de STREE Consulting pour élaborer le plan de Heritage City. Cette firme, selon elle, n’a pas été choisie par le gouvernement mauricien mais imposée par les Emirats Arabes unis.

Bruno Sauvreemootoo, architecte, se demande ainsi s’il y a eu une étude pour mesurer les risques de construire une ville à proximité du Bagatelle Dam. Le site identifié pour Heritage City se situe à Minissy, à Moka. La nouvelle ville administrative risque-t-elle de se retrouver sous les eaux ? s’interroge-t-il. Cela en raison de débordement du barrage en cas de fortes pluies ou d’inondation, comme c’est le cas à Port-Louis depuis quelques années.

Jay Soredoo, pour sa part, ne voit pas comment ces projets viendront améliorer la vie de ses concitoyens. Egalement architecte, il a participé à l’atelier sur les smart cities organisé par le Parlement populaire et, comme d’autres, à la conférence de presse de ce mercredi 9 mars. Et se demande qui seront ceux qui feront l’acquisition des logements qui y seront construits.

Les fonctionnaires déjà propriétaires de leurs maisons devront-ils vendre leurs demeures afin d’acheter les appartements qui seront mis en vente ? se demande-t-il. Certes, dit Soredoo, ces personnes seront plus proches de leur lieu du travail. Mais ce concept, poursuit-il, semble plus adapté aux grands pays, « où il y a une grande distance entre leurs maisons et leur lieu de travail ».

Se pose alors la question de la souveraineté de notre territoire, selon le Parlement populaire, qui reprend dans un communiqué certains paramètres diffusés par le Board of Investment. Si «25%  de  la  propriété  résidentielle  pourra  être  vendue  aux  Mauriciens », cite le PP,  cela implique que les trois quarts restants sont ouverts aux étrangers. Bruno Sauvreemootoo estime alarmant que le gouvernement souhaite accueillir 300 000 expatriés qui, selon lui, seront reconnus comme citoyens mauriciens contre un investissement de 15 000 dollars. « A l’avenir, nous allons devoir laisser voter les étrangers car à un moment ou à un autre, ils feront partie de notre paysage politique », soutient-il.

Le gouvernement, du reste, n’a pas fait appel aux promoteurs locaux mais s’est tourné d’emblée vers des investisseurs étrangers, note l’architecte Joe Chan. Or, les banques locales auraient pu être encouragées à injecter des fonds contre certains avantages, selon lui.

Revenant sur Port-Louis Smart City, Catherine Boudet fait remarquer qu’il est prévu que le Champ-de-Mars soit remplacée par une aire de détente, un «Disneyland local», souligne-t-elle et l’hippodrome déplacé. Cela alors que celui-ci, érigé en 1812, est «le plus vieil hippodrome de tout l’hémisphère Sud et le deuxième plus ancien hippodrome au monde».

Joe Chan estime, lui, qu’au lieu de transformer la capitale en ville intelligente, il aurait mieux fallu trouver une solution aux problèmes existants. Dont celui de congestion routière qui découle du mauvais planning de la ville, selon l’architecte. L’aménagement des nouvelles gares pour augmenter la capacité de parking et accueillir les marchands ambulants, affirme Pritoo Parmanand, architecte, causera encore plus de problèmes à l’avenir.

Ce sont des personnes non qualifiées dans le domaine qui vont démarcher les investisseurs, dénonce John Oliver Fanfan, étudiant en économie. Ce qui, dit-il, risque de mettre le pays en péril. Certes, les travaux pour Heritage City et les autres villes intelligentes boosteront pendant un temps l’économie locale, poursuit John Oliver Fanfan. Cependant, la plupart des investisseurs étant étrangers, les revenus ne seront pas reversés à 100% dans la caisse locale.

L’étudiant en économie avance par ailleurs que le taux d’inflation montera en flèche à la fin des travaux. Les personnes employées sur les chantiers et ailleurs quant à la la construction des nouvelles villes, explique-t-il, se retrouveront sur le pavé.

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