Le congrès-anniversaire du Parti travailliste (PTr) de ce dimanche s’est déroulé selon un scénario convenu. Un peu d’histoire. Beaucoup de rappels sur la contribution du parti à la construction du pays. Quelques pics aux adversaires. Une demi-heure d’autodéfense du leader… qui a été le seul à parler. Un discours rassurant sur l’avenir de la formation politique et son rajeunissement. Tout était prévisible, jusqu’à ce que Navin Ramgoolam clame, dans les dernières minutes de son discours, son « intention d’amener un programme radical » pour le PTr.

Si les 75 ans du parti avaient été placés sous le signe du progressisme, les 80 ans marqueront, selon Ramgoolam, son tournant « radical ». Le radicalisme est loin d’être une tendance politique anodine. Elle a mû les plus fervents militants antiesclavagistes. Inspiré ceux qui ont réclamé le suffrage universel. Ragaillardi ceux qui, dès le 19e siècle, ont voulu prévenir les dérives du capitalisme à outrance. Plus globalement, les radicaux ont abandonné le confort du centre pour afficher des idées plus tranchées ‒ parfois libérales, parfois conservatrices. Le « programme radical » de Ramgoolam est-il donc un gimmick de discours ou une réorientation de l’action des rouges ? Comment, d’ailleurs, le PTr peut-il être radical ?

A entendre Ramgoolam, ce n’est pas sur sa candidature au poste de Premier ministre que les rouges vont prôner la rupture. Yousuf Mohamed le confirmait mercredi dernier lors de son interview en direct sur ION News : Ramgoolam est aux rouges ce que Bérenger est aux mauves. Leur plus grande force… et en même temps leur plus grande faiblesse. La radicalité, au PTr, pour le moment, ne passe donc pas par la tentation de laisser Arvin Boolell prendre la tête du parti. Encore moins d’organiser une primaire, pour désigner celui qui le dirigera lors des prochaines élections.

La radicalité ne se trouve d’ailleurs pas non plus vers le rajeunissement du parti. Certes, Ramgoolam a prévenu que des anciens devront faire la place aux jeunes. Toutefois, si les cadres dirigeants sont remplacés à 90% par des jeunes, mais que ce sont les même 10% d’éléphants qui continuent à mener le bal, le changement n’aura été que cosmétique. Faisant du rajeunissement un attrape-nigaud dont l’efficacité se confine à Facebook ou YouTube peut-être.

A l’auditorium Octave Wiehé, ce dimanche, Ramgoolam a donné l’impression de revenir à certains de ses fondamentaux. Notamment en ressortant sa rhétorique anti-gros capital. Or, on a vu ce que son approche radicale, consistant à « démocratiser l’économie », a donné dans le passé. Il n’y a pas eu de génération spontanée d’une nouvelle classe d’entrepreneurs. Quelques groupes se sont, certes, développés tous azimuts. Mais la stratégie a aussi tristement dopé aux stéroïdes certains conglomérats qui ont confondu expansion raisonnée et hégémonie factice. Les conduisant à sombrer dans un fracas indescriptible.

La radicalité, le PTr semble l’avoir trouvée sur la question du financement des partis politiques. Mais il est aisé de prôner la rupture de l’omerta sur l’argent en politique quand on a été pris la main dans le sac. Car ironiquement, Ramgoolam et Bérenger étaient tout à fait hermétiques sur la question du financement politique durant la dernière campagne électorale. Plus prosaïquement, le PTr aura beau privilégier une approche radicale sur la question, une campagne électorale ne se gagnera pas qu’autour de la promesse d’assainir la place de l’argent en politique.

Sur quel terrain le parti peut-il donc espérer se démarquer ? Très probablement, la dernière frontière pour n’importe quel parti politique local consiste à dépasser la stratégie de développement considérée comme étant inévitable. Elle consiste à laisser tomber le sucre pour se diversifier dans l’agroalimentaire. Promouvoir l’économie océanique. Monter en gamme dans la production manufacturière et diversifier nos marchés en allant notamment conquérir l’Afrique. Ajouter de la valeur à nos industries financières et des TIC. Mais aussi se défaire d’une approche eurocentriste dans notre stratégie touristique.

A bien des égards, il est difficile, voire suicidaire, de ne pas faire cela en économie. Mais il y a bien un terrain sur lequel on souhaiterait voir un parti adopter une approche plus radicale ‒ celle des terres. Depuis les années 2000, les gouvernements successifs ont eu comme obsession, face à l’obligation de générer de grands projets d’investissement, de permettre la conversion de superficies de plus en plus grandes de terres en projets immobiliers.

Le gouvernement actuel a beau dire qu’il a adopté une stratégie « smart ». Toutefois, les Jinfei, Neotown ou Airport City d’hier ont laissé la place à une flopée de projets qui nécessiteront la conversion d’une superficie de terrains sans précédent dont une bonne partie sera transformée en villas, maisons et appartements devant accueillir les 100 000 expatriés qui ont vocation à venir travailler à Maurice ou y passer leur retraite. La radicalité, pour un parti comme le PTr, consiste peut-être à renoncer à une stratégie reposant sur des quick wins fonciers pour se recentrer sur ce qui peut préserver le patrimoine local en prévenant une stratégie de développement au service du béton.

Les rouges comptent apparemment instituer des think tanks et des commissions pour réfléchir notamment à cela. Ils offriraient un beau cadeau d’anniversaire à la nation s’ils prônaient un vrai changement de stratégie économique. Se recentrant autour de la tendance qui a animé le parti lors de sa création en 1936 : la rupture avec l’ordre établi.

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