A l’instant où vous lisez ceci, le ministre des Finances est peut-être déjà à son bureau. Ou alors toujours en convalescence médicale et politique, pour une durée indéterminée. Ce qui est sûr, c’est qu’à un moment, jeudi dernier, sir Anerood Jugnauth avait tranché. Faisant de Vishnu Lutchmeenaraidoo le premier «remanié» en puissance du gouvernement Lepep. Pourtant, aucune tête n’est tombée. Même si l’ordre d’exécution avait bien été rédigé. Bien des raisons expliquent pourquoi Vishnu Lutchmeenaraidoo peut conserver son portefeuille. Tandis que d’autres indiquent que la « magie » du co-auteur du miracle économique de la fin des années 80 s’est considérablement émoussée, le conduisant sur une voie de garage. Voyons donc ce qui fait tenir l’homme. Ou alors ce qui pourrait le faire tomber…

Le ticket. On a tendance à l’oublier. Le deuxième personnage le plus important de l’Alliance Lepep après SAJ n’est ni Xavier Duval, ni Ivan Collendavelloo, ni Pravind Jugnauth, mais bien Vishnu Lutchmeenaraidoo. Durant toute la campagne électorale de 2014, l’Alliance Lepep et surtout le tandem SAJ/Lutchmeenaraidoo ont joué sur la nostalgie des années du « miracle ». Promettant que le duo allait renouer le pays avec la période faste d’il y a 30 ans. Lutchmeenaraidoo n’a ainsi qu’une unique fonction au gouvernement. S’il y est, c’est pour en être le ministre des Finances. S’il n’occupe pas ce poste, il n’a vocation ni à être ministre des Affaires étrangères, ni simple député.

Le pacificateur. On dit le leader du MSM proche de Roshi Bhadain. Or, loin de prendre fait et cause pour le ministre de la Bonne gouvernance, le chef du parti soleil a accordé une oreille bienveillante à Lutchmeenaraidoo lors de deux récentes rencontres. Le leader du MSM a sans doute été mis en présence d’arguments convaincants par ce dernier. Amenant ainsi le fils à temporiser la décision du père, résolu à trancher. Peut-être même, aussi, à le convaincre de ne pas réunir le conseil de guerre ‒ prévu ce dimanche ‒ durant lequel l’ordre d’exécution aurait à nouveau été à l’agenda

La solidarité. Le ministre des Finances n’a pas que des admirateurs au gouvernement et au Conseil des ministres. Toutefois, du haut de son âge vénérable ‒ il a presque 72 ans ‒, de son affabilité ainsi que de sa capacité à planer au-dessus des contingences terrestres et humaines, l’homme attire la sympathie. Si on ajoute à cela sa récente bronchite incapacitante et la perception bien entretenue qu’un jeune loup cherche sa peau, Lutchmeenaraidoo n’a pas manqué d’engranger quelques utiles et parfois sonores témoignages d’amitié. Ils lui ont été utiles.

L’héritage. Le jugement du procès en appel du leader du MSM est imminent. Si la décision est favorable à l’ancien ministre des Technologies, de la Communication et de l’Innovation, il est fort probable qu’un mini-remaniement ait lieu. Il n’est pas dit que le Premier ministre veuille s’infliger deux rounds de tractations avant de redistribuer les portefeuilles. Si Lutchmeenaraidoo ne fait pas l’affaire, le grand public pourrait le savoir en même temps que Pravind Jugnauth effectue son retour au gouvernement. Ayant été ministre des Finances en deux occasions, ce portefeuille semble constituer la voie royale du patron du MSM pour assumer la fonction suprême. Que ce soit par anticipation ou en briguant un mandat de Premier ministre lors des prochaines élections. Difficile, alors, de ne pas se demander si un ancien ministre des Finances n’est pas le plus probable successeur de l’actuel.

Le dossier à charge contre Vishnu Lutchmeenaraidoo est des plus solides. Qu’il soit remanié, voire éjecté du gouvernement, maintenant ou plus tard, ne sera donc nullement une surprise. Pour des raisons multiples…

Déphasage. Celui qui promettait un miracle dit qu’il ne peut faire de magie. Celui qui doit jongler avec les chiffres explique qu’il ne croit pas en eux. Celui qui a la tâche de régler les problèmes pratiques prend tellement de hauteur jusqu’à se perdre dans les nuages. Le mandat de Lutchmeenaraidoo aux Finances est fade jusqu’ici. Les indicateurs économiques en témoignent. Le désintérêt relatif du grand public pour le personnage aussi. Occupé à ne pas préparer un Budget alors que le précédent a été oublié en à peine une semaine. Mais aussi obnubilé par l’idée de faire champignonner plus d’une dizaine de smart cities à travers l’île quand les experts indépendants pensent que seuls deux, voire trois pourraient éventuellement voir le jour.

Ciblage. Le ministre des Finances a beau avoir quelques amis sur les bancs de l’opposition, celle-ci semble résolue à faire de lui une cible de choix à la prochaine rentrée parlementaire. Performance économique, projets bancals, une MauBank branlante : Vishnu Lutchmeenaraidoo pourrait bien constamment être sur les charbons ardents au Parlement à partir du 29 mars. Paul Bérenger, loin d’épargner son ancien camarade de parti, pourrait même bien se mettre en tête de démontrer qu’il est tout, sauf à sa place, aux Finances.

Comparaison. Bhadain est un taureau fonçant sur tout ce qui bouge. Lutchmeenaraidoo, un dromadaire capable de traverser un désert sans se presser. Or, le premier, en permanence dans l’action, a semblé tirer vers lui le centre de gravité économique du gouvernement. Sur tous les fronts, Bhadain annonce des projets, initie des collaborations et négocie (parfois mal) tandis que Lutchmeenaraidoo donne désespérément l’impression de ne gérer qu’un quotidien morne. Au moment où le pays semble avoir besoin d’idées et de dynamisme, l’actuel ministre des Finances ne semble disposer ni de l’un, ni de l’autre. Alors que les mêmes éléments sont en trop-plein chez Bhadain.

Affaire. Puis, il y a ce prêt de 1,1 million d’euros contracté par Lutchmeenaraidoo à la SBM (depuis, il a affirmé qu’il n’a emprunté que 400 000 euros). Ce n’est pas le taux d’intérêt de 1,5% sur un prêt en euros qui pose problème. Mais les conditions dans lesquelles le ministre des Finances a bénéficié de cette facilité bancaire. Et plus précisément, s’il a joui d’un traitement spécial, comparé à d’autres clients de la banque. Notamment par rapport à l’absence de garantie offerte. Le ministre des Finances ne peut se contenter de dire que toutes les règles ont été respectées. Il doit s’expliquer. Notamment en indiquant à quelles activités d’investissement il s’adonne et avec quelle plus-value attendue.

Roshi et Vishnu sont sur un bateau. Ne nous inquiétons pas de qui tombe à l’eau. Tant que celui qui reste au sec est compétent, dynamique et intègre.

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