L’élan de sympathie pour les 11 mauriciens de foi rastafari arrêtés vendredi est considérable. Ils continuent à occuper les devants de la scène médiatique et à susciter une somme considérable d’attention et de soutien sur les réseaux sociaux. Parce qu’ils sont portés par des vents favorables.

D’abord, il y a le discours de ceux prônant la légalisation. Les associations luttant contre la toxicomanie ou le VIH-Sida arguent, par exemple, que les auteurs de petits larcins volent, le plus souvent, pour s’acheter une dose de drogue dure. Presque jamais pour se payer un sachet d’herbe. Ils remarquent également que la population carcérale est largement constituée de petits dealers d’herbe, voire dans certains cas, de consommateurs.

Dans leur empressement à militer pour la cause, les pro-légalisation s’enferment toutefois dans une posture binaire. Oubliant qu’il y a une palette de possibilités dans le champ juridique. Allant de la dépénalisation à la libéralisation pure et simple en passant par la légalisation. Si la légalisation peut être restrictive, la dépénalisation peut prendre des formes plus subtiles. Comme une discrète directive générale donnée à la police de ne pas arrêter les consommateurs de gandia et/ou renoncer à transmettre certains types de dossiers au bureau du Directeur des poursuites publiques.

Ensuite, il faut bien l’admettre, le traitement accordé aux manifestants rastafariens de vendredi a été l’occasion pour les opposants, de tous acabits, du gouvernement d’obtenir de l’attention gratuite. D’une part, à cause de la manière dont la police a géré les manifestants et, d’autre part, à cause d’un sir Anerood Jugnauth cohérent dans ses intransigeances historiques par rapport aux drogues. Mais au-delà du Premier ministre, c’est la manière de procéder de la police qui a le plus contribué à nourrir les récriminations.

De la mort en cellule d’Eddy Labrosse en 1993 à celui de Rajesh Ramlogun en 2006, la police et son attitude envers les suspects et détenus ont suscité de nombreuses polémiques. L’épisode le plus traumatisant étant, bien évidemment, la mort de Kaya en détention en février 1999 et les événements sanglants qui ont suivi. C’est donc sans surprise que les manifestants, des rastas comme le défunt chanteur, ont ressenti un syndrome de persécution. Se considérant comme un groupe de victimes en puissance.

Enfin, la presse – étant le reflet d’une société et de son ressenti mais aussi peuplé de nombreux journalistes et de responsables éditoriaux favorables à la cause de la dépénalisation– a largement contribué à véhiculer un discours presque à sens unique. Pour faire simple : un groupe ethnique minoritaire et inoffensif utilisant une drogue douce à des fins religieuses a été victime de la violence aveugle de la police. Ce raccourci journalistique a toutefois le désavantage d’occulter quelques éléments pourtant fondamentaux.

Premièrement. On pourra s’éterniser en débats futiles, il n’empêche que l’article 21 de la Dangerous Drugs Act dispose que nul n’est censé avoir en sa possession un « dangerous drug ». Soit notamment « any plant or part thereof » dont le cannabis. Dans un pays qui a déjà interdit l’importation et le commerce du papier à rouler, les manifestants ne pouvaient ignorer qu’en tenant un plant de gandia entre les mains, ils étaient clairement en infraction de notre loi pénale et s’exposaient à une arrestation. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la loi a vocation à être appliquée !

Deuxièmement. En se rassemblant devant le poste de police des Casernes centrales, les manifestants de vendredi dernier ne pouvaient quand même pas croire que les forces de l’ordre allaient les laisser obstruer l’entrée de l’une des deux principales gares de Port-Louis. Et ce, à une heure de pointe. Ils allaient être évacués, manu militari s’il le faut. Si le principe de leur interpellation n’a donc rien de surprenant, l’usage excessif de la force à l’égard de manifestants qui n’ont pas fait montre de comportements violents doit être condamné.

Troisièmement. Alors que de violentes crises de laïcisme frappent les bien-pensants du pays quand Somduth Dulthumun, Jocelyn Grégoire ou Cehl Meeah utilisent le religieux pour influer sur des politiques publiques, les rastafariens bénéficient d’une prodigieuse immunité quand ils se comportent de la même manière. L’assouplissement des mesures répressives autour de la consommation de cannabis pour des raisons sociales, médicales ou politiques est une chose. Réclamer purement et simplement la dépénalisation au nom d’un quelconque précepte religieux en est une autre.

Il y a des combats qui se mènent avec logique et à travers un argumentaire construit. Or, les rastas rendent un bien mauvais service à ceux qui argumentent de manière intelligible pour la dépénalisation du cannabis à Maurice. En soutenant inconditionnellement la demande religieuse des rastafariens, des citoyens aux combats admirables soutiennent aussi la montée en puissance d’autre chose : la religion, l’opium du peuple.

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