Bhishma. C’est le nom d’un important personnage du Mahâbhârata qui fait le terrible vœu de ne pas s’unir ni avoir d’enfant afin de servir l’empire et son souverain. Son sacrifice est récompensé par un don. Celui de ne mourir que lorsqu’il le souhaite. Bhishma choisit alors de pousser son dernier soupir que quand il sera certain que le royaume est protégé. Cette faculté – qui devient aussi sa malédiction – conduit le guerrier vaincu sur le champ de bataille à se maintenir en vie sur son lit de mort composé de centaines de flèches ayant transpercé son corps. Sir Anerood Jugnauth (SAJ), loin de posséder la même vertu que Bhishma, est tout aussi prisonnier que le personnage de légende.

Presque immédiatement après l’arrivée au pouvoir de l’Alliance Lepep, ceux qui côtoyaient SAJ ont mesuré à quel point il était diminué. Ne passant que quelques heures au Prime minister’s Office chaque jour et éprouvant toutes les difficultés à assumer la plénitude des tâches et responsabilités de son poste de chef du gouvernement.

Les journalistes ont été aux premières loges pour témoigner de sa dégénérescence. Il se réfugie dans un fauteuil à chaque cocktail auquel il doit assister. Etant incapable de rester debout sans appui pendant plus de quelques minutes. Il se fait aider par ses gardes du corps pour gravir la moindre marche. Frappé d’incontinence verbale, sa verve de jadis a été remplacée par des propos les uns plus vulgaires et fielleux que les autres. Nous n’avons rien dit… ou si peu. Par respect. Par pudeur.

En annonçant son retrait pour «very soon», en septembre 2016, l’ancien Premier ministre a donné l’impression qu’il allait jouir d’un repos bien mérité. Peut-être comme simple backbencher. Mais en prenant la tête du gouvernement quatre mois plus tard, Pravind Jugnauth a confié à SAJ un Mentor ministership aussi important que stratégique. Car couvrant le champ de la sécurité intérieure et de la défense. Officiellement donc, le gouvernement ne peut se passer de la présence et des conseils du vieux briscard.

En réalité, la situation est bien moins reluisante. Celui qui était diminué au point de ne pas pouvoir diriger le gouvernement l’est tout autant pour assumer ses fonctions actuelles. Chargé de superviser le dossier de la réforme électorale, SAJ ne s’y est que peu intéressé. Laissant à Nando Bodha le soin de conclure un exercice qui a abouti à une escroquerie politique.

Si parfois, le ministre mentor stupéfie ses interlocuteurs par son sens de la répartie, le reste du temps, il les inquiète par sa léthargie. Ou alors par son opposition forcenée aux velléités progressistes du chef du gouvernement – comme sur la politique pénale au sujet des toxicomanes.

SAJ est bien ancré au gouvernement. Peu importe si cela est son souhait ou pas. D’abord parce qu’il incarne un symbole : une présence rassurante pour une partie des Mauriciens. Ensuite, et c’est le plus important, parce que sa démission comme élu forcera le gouvernement à affronter l’électorat de Piton/Rivière-du-Rempart. Où, contrairement à Belle-Rose/Quatre-Bornes, le tandem MSM/ML ne pourrait pas se permettre de jouer aux abonnés absents lors d’une partielle compliquée à gagner.

Pravind Jugnauth ne peut que constater l’évidence. L’ancien Premier ministre est plus utile à sa majorité en restant au Parlement qu’en appréciant une retraite bien méritée à La Caverne. SAJ est devenu le Bhishma de Pravind Jugnauth. Un prisonnier contraint à veiller sur le royaume de son fils jusqu’à ce que celui-ci soit suffisamment apte à le défendre seul.

L’illustration la plus désolante de cette situation nous a été fournie ce vendredi. Quand plusieurs titres de presse ont été pris par une frénésie dégueulasse de faire du buzz et de générer des clics à partir des malheurs d’un vieillard. Des journalistes aussi irrespectueux qu’immatures ont ainsi rivalisé d’inventivité pour présenter un SAJ endormi sous un jour morbide. Ces vautours qui ont fondu sur un quasi-cadavre politique en ont oublié la solennité de la question abordée ce jour-là. Soit la défense de la souveraineté de Maurice devant la Cour internationale de Justice à partir de ce 3 septembre.

Un fils – n’importe lequel – détesterait sans doute que son géniteur soit méprisé de cette manière. Mais Pravind Jugnauth est un Premier ministre et un chef politique avant tout. Tant pis donc, si le traitement infligé à son prisonnier de père lui est supportable.

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