Avec trois semaines de recul, il est un peu idiot de continuer à se demander si le PMSD a eu raison de quitter le gouvernement si longtemps avant l’échéance électorale. Car le constat s’impose désormais : le pays a déjà basculé dans une période de pré-campagne électorale qui s’annonce longue et pleine de rebondissements.

Un remaniement au forceps. En examinant la liste des 20 ministres actuels, il faut bien admettre qu’au moins la moitié d’entre eux sont incapables de produire des résultats. Chacun ayant son handicap : de la maladie et l’âge des uns en passant par l’absence d’aptitudes réelles des autres pour diriger leurs administrations. Sans oublier l’obsession de quelques-uns d’amasser ce qu’ils peuvent le temps de ce mandat. Convaincus, qu’ils sont, qu’ils ne redirigeront pas un ministère de sitôt. Si on tient compte de la faiblesse du casting gouvernemental et de l’impératif du tandem sir Anerood et Pravind Jugnauth de maintenir certains équilibres ethniques, le remaniement, que d’aucuns prévoient pour avant fin janvier, s’annonce douloureux et périlleux.

Puisque certains députés de l’opposition confondent aisément leur fonction avec le plus vieux métier du monde, le gouvernement n’aura aucun mal à faire son marché chez eux. Mais le remaniement qui en résultera sera un lose-lose. Tant il est impossible d’arriver à un résultat satisfaisant tout le monde. Récompenser le Muvman Liberater avec davantage de ministères ? Les députés recalés du MSM en prendront ombrage. Nommer Roshi Bhadain aux Finances, l’ego de Pravind Jugnauth et l’espoir – induit – de Mahen Seeruttun en seront contrariés. Quitte à nourrir de nouvelles frustrations et causer d’autres départs, SAJ et Pravind Jugnauth sont pourtant obligés de constituer leur nouvelle équipe bien avant la rentrée parlementaire du 28 mars.

Un nouveau patron indécis. Mais sous la direction effective de qui ? Voilà quatre long mois que SAJ a raté une occasion de se taire en annonçant que le leader du MSM lui succédera avant la fin du mandat de ce gouvernement. Cet aveu a considérablement perturbé le fonctionnement du pouvoir. Car il a consolidé la perception selon laquelle il existe deux pôles de décision au sein de la majorité. Comme en attestent les atermoiements autour du projet Heritage City. Désormais, on évoque un transfert soft du pouvoir du père au fils. A la faveur du remaniement, et d’une abdication qui ne dit pas son nom, SAJ céderait notamment le ministère de la Défense et de l’Intérieur ainsi que les communications externes à Pravind Jugnauth.

Contrôlant de facto les leviers du pouvoir, Pravind Jugnauth opérerait alors comme Premier ministre de l’ombre. Ceux qui pensent que cet arrangement pourrait marcher se trompent toutefois. D’abord, parce que la Constitution prévoit que le Premier ministre dirige le gouvernement et préside le Conseil des ministres. Et on ne voit pas SAJ ne faire que de la figuration vendredi après vendredi ! Dans la pratique, l’exercice de ces pouvoirs et prérogatives par Pravind Jugnauth soulèvera bien assez vite la question de l’admissibilité juridique d’un tel arrangement. Pendant ce temps, les malins continueront à miser alternativement sur le père ou le fils, dépendant de leurs intérêts et agendas du moment.

Mais même s’il exerce la plénitude des fonctions du chef du gouvernement, sans en avoir officiellement le titre, Pravind Jugnauth devra surmonter sa principale faiblesse. Elle est double : caractérisée par son incapacité à trancher les têtes mais aussi à prendre des décisions difficiles et à s’y tenir. La fonction fait l’homme, dit-on. Face à ces nouveaux défis, le leader du MSM se montrera peut-être aussi déterminé que SAJ l’a été, il y a 30 ans. Toutefois, à l’impossible nul n’est tenu.

Un adversaire d’un nouveau type. Car Pravind Jugnauth et son gouvernement – surtout si SAJ tire sa révérence – seront vite confrontés à un OPNI. La construction de cet objet politique non identifié est quasiment achevée. Son ingénierie s’est nourrie d’enseignements divers : la somme des faiblesses de Pravind Jugnauth ; la perception que le gouvernement ne tiendra pas promesse ; la défiance envers un Parti travailliste toujours contrôlé par Navin Ramgoolam ; le besoin de renouvellement de la classe politique et, enfin, le constat que sans réforme électorale majeure, notre système politique ne favorisera toujours pas l’émergence d’un nouveau courant politique aux prochaines élections.

La somme de ces constats, ajoutée à la conviction d’apporter une bonne dose de transparence et de gouvernance au sein d’un parti politique d’un type nouveau, conduit des hommes du MSM, du Parti travailliste (PTr), du MMM et d’ailleurs à discuter assidûment depuis quelque temps. Les élections ne se préparant pas trois mois à l’avance, l’évidence semble donc s’imposer : il faut se jeter à l’eau… et vite. Dans les semaines et mois à venir, il n’y aura donc rien d’étonnant à constater des démissions, pas que des députés du gouvernement mais aussi de l’opposition. Qui iront s’agglomérer au sein de cet OPNI qui nuira aux deux camps lors de son décollage.

Une opposition unie. Qu’on ne s’y trompe pas néanmoins. Une fois que ceux qui sont à vendre auront été achetés, le front de l’opposition mènera la vie dure au gouvernement. Chacun aura sa propre motivation. Parti tôt de l’alliance gouvernementale, Xavier Duval lèvera les lièvres là où il le pourra afin de démontrer que l’action gouvernementale est foncièrement mauvaise et qu’il a donc eu raison de le quitter. L’agenda du PTr est aussi très clair : tout faire pour installer un sentiment de « mil fwa Navin » dans le pays. Pour y arriver, quoi de mieux que de sortir l’artillerie lourde face à un Pravind Jugnauth promu challenger du leader des rouges et quelques-uns des hommes clés de son entourage qui traînent des casseroles sales et bruyantes.

Réduit au simple rang de député, Paul Bérenger et les siens ne feront pas de la figuration non plus. Les plus cyniques – ils se trouvent aussi au MMM – font remarquer qu’attaqué sur tous les fronts, c’est avec une certaine ouverture d’esprit que le MSM pourrait discrètement revenir à la table des négociations avec le parti du cœur. Les plus vicieux arguent, eux, que le chef des mauves pourrait alors planter un doux baiser de Judas sur un MSM affaibli pour mieux faire alliance avec un OPNI de passage. Bien évidemment, « sur la base d’un programme électoral » !

Un pays abandonné. A analyser les intérêts politiques des uns et des autres, on en a oublié le pays. Occupé à regarder par-dessus son épaule, à désamorcer les bombes ou à protéger ses hommes indélicats, Pravind Jugnauth deviendra peu à peu l’esclave du temps politique. Forcé, en permanence, à réagir de manière tactique à la dernière trouvaille de l’opposition. Cette pré-campagne électorale le forcera à passer autant de temps à s’occuper de ses adversaires politiques que des affaires – autrement plus importantes – de l’Etat.

Peu importe qui gagnera alors les prochaines élections. Ce sont trois, quatre ou peut-être cinq années que les Mauriciens auront perdu. Et pourtant, lors de la prochaine campagne, ces mêmes électeurs se laisseront peut-être à nouveau berner par une nouvelle promesse creuse. Dans un pays aussi religieux que le nôtre, il n’y a rien d’étonnant qu’on croit autant aux miracles.

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