Elle est porteuse de notre passé et de notre présent. C’est la Bibliothèque nationale de Port-Louis. Cette institution est fréquentée par quelques étudiants, des journalistes, quelques rares chercheurs et… des rats. Parmi les huit ordinateurs à la disposition du public, seuls deux sont en bon état. Point de service Wi-Fi mais les utilisateurs peuvent avoir accès à l’Internet à travers les deux postes. Malheur aux chercheurs et utilisateurs s’ils y débarquent un jour où l’OPAC (Online Public Access Catalogue, qui permet aux utilisateurs d’avoir accès à leur base de données bibliographiques) ne marche pas… Pour une île Maurice qui rêve de se doter de smart cities, le minimum qu’on puisse offrir comme service serait une bibliothèque nationale à l’ère 2016.

Il y a quelques mois, un groupe de personnes s’était mobilisé pour essayer de sauver l’une de nos fiertés nationales, les Salines de Tamarin. C’est l’un des derniers témoins de cet art tropical qu’est la fabrication de l’or blanc : le sel. La libéralisation du marché du sel, une politique datant de 2012, a amorcé la perte des producteurs de sel locaux. Rien n’est fait pour protéger cette pratique artisanale qu’est la fabrication de sel et rendre ce produit local rentable. Les amoureux de notre patrimoine seront déçus car ils ne pourront sauver l’un des précieux vestiges de notre passé.

Il y a quelques semaines, ce sont les photos du Moulin à Poudre, non, parlons plutôt de ce qui reste de ces vieux bâtiments datant de la colonisation française de notre île, qui ont fait le tour de Facebook. Le Moulin à Poudre, un des éléments de notre patrimoine architectural, fut utilisé pour la fabrication de la poudre à canon pour l’armée de Napoléon. Eh oui, notre petite île servait bien à quelque chose à l’époque. Avant cela, cette pratique se faisait à l’arsenal de Balaclava où survint cependant une explosion en 1771.

Après la prise de l’île par les Anglais, les bâtiments du Moulin à Poudre, qui se trouvent à Pamplemousses, seront tour à tour utilisés comme prison d’Etat, cour stipendiaire, cour de district de Pamplemousses, pénitencier et léproserie. Toutefois, après l’abandon des locaux, les pierres du Moulin à poudre qui, autrefois, parlaient pour nous raconter notre histoire, sont victimes d’actes de vandalisme.

Revenons au présent. Photos à l’appui, l’une des historiennes de notre petite île a lancé, début décembre, un appel à travers Facebook pour faire savoir ce qu’il advient des ruines de ce qui était, il y a encore quelques années, l’un de nos trésors architecturaux. Des voleurs participent activement à la destruction de ce site historique en pillant les pierres des bâtiments. Dernier développement dans l’affaire ? Une plainte a été logée au poste de police de la région par le National Heritage Fund. Que voulez-vous que fasse cet organisme parapublic, alors que le monument en question tombe sous la responsabilité du ministère de la Santé ? Il faudrait peut-être persuader les propriétaires de prendre soin de leurs biens ? [suite du texte après la photo]

le moulin a poudre

Le Moulin Poudre, à Pamplemousses, est pillé par des voleurs de pierres. (Source: Facebook)

Nos patrimoines historiques ne nous rapportent rien en termes économiques. Rares sont les touristes qui s’intéressent à l’Histoire et aux monuments de notre île. Pourquoi donc dépenser pour les protéger ? A quoi sert la conservation des monuments et sites historiques si c’est pour ne rien faire par la suite pour leur rénovation et les maintenir en état ? Le Moulin à Poudre n’est pas le seul site historique en péril. Le théâtre de Port-Louis et le Plaza sont aussi dans un état critique, pour ne pas dire comateux.

Le problème n’est pas seulement le manque de volonté politique et de financement. Il relève plutôt d’un manque de personnes compétentes pour conseiller nos chers ministres des Arts et de la Culture, de l’Education et du Tourisme et un manque de collaboration entre ces différents ministères. Il est temps de repenser notre politique de conservation du patrimoine tangible et intangible. Patrimoine qui n’équivaut pas seulement à l’Aapravasi Ghat, au Morne et au sega tipik !

En fréquentant notre Bibliothèque nationale, je suis à chaque fois ramenée à une réalité : Maurice est un pays du tiers-monde. Si on n’a pas les moyens de protéger et de préserver notre patrimoine, comment faire de Maurice la « capitale culturelle du monde » ? Si on ne peut former des personnes compétentes avec des connaissances historiques, comment faire de l’art et de la culture un pilier de notre économie ? [suite du texte après la photo]

Un document d'archives à la Bibliotheque nationale

Etat déplorable d’un document historique aux Archives nationales

Maurice ne possède pas de bibliothèque digne de servir de support à l’Education Hub auquel rêvait l’ancien régime (mais aussi le nouveau). Avant de songer à la création d’un nouveau musée, il faudrait peut-être songer à la sauvegarde et à la numérisation de nos vieux documents historiques que sont les journaux se trouvant à la Bibliothèque nationale. Tant qu’on y est, peut-être qu’il serait aussi temps de songer à améliorer les services de nos archives qui datent de l’ère margoz. Dire qu’on s’était doté du titre de Cyber island !

Sauvons avant d’agrandir, sauvons le passé avant de nous lancer dans de nouveaux projets de développement. Car une société sans passé ne vaut pas grand-chose.

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